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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ECRITURE


seuls mois : Ceci est mon sang. D’ailleurs, l’idée d’une alliance qui scellerait l’absorption du sang par les fidèles est une pensée d’origine pagano-chrétienne : un juif aurait considéré cet acte comme.’!. une impiété, l’antique alliance avait été établie par une aspersion et non par une consommation du sang des victimes. Ce n’est pas Jésus, ce ne sont pas ses premiers disciples qui ont pu imaginer pareil concept. Goguel, op. cit., p. 84. Ce ne sont pas eux non plus qui considéraient le judaïsme comme une forme religieuse abolie et remplacée par un pacte nouveau : les premiers chrétiens sont de corrects et zélés observateurs de la Loi. Brandt, loc. cit. Non seulement la formule semble étrange, le rite ne le paraît pas moins : « Le corps et le sang ne s’opposent pas comme distincts l’un de l’autre et cependant, formant un tout par leur réunion, le second est une des parties constitutives du premier ; » donc, ils « n’appartiennent pas à la même couche de la tradition… ; si l’on avait voulu donner un parallèle au sang, on n’aurait pas ajouté le corps, mais la chair. » Goguel, loc. cit. On croit même que primitivement le rituel de la cène ne comprenait pas le vin : l’acte était connu sous le nom de fraction du pain, Act., ii, 42 ; pendant longtemps, il y eut incertitude sur le contenu de la coupe ; les récits de la multiplication des pains ne parlent pas du vin. Brandt et Goguel, loc. cit.

Ces arguments peuvent être réfutés. Il est inexact que pendant longtemps les fidèles aient hésité sur la liqueur à consacrer : le vin est mentionné par des témoins les plus anciens ; la thèse de Harnack sur l’eau, élément eucharistique, a été rejetée par les savants de toute école et son inventeur semble plus prudent. Les aquariens connus de l’histoire apparaissent soit comme des hérétiques manichéens ou gnostiques, soit comme des simples et des ignorants ; ils n’invoquent pas la tradition, mais des arguments philosophiques ou théologiques, leur théorie a toujours été rejetée par l’Église. Voir t. i, col. 1724-1725. Si le vin n’apparaît pas dans les récits de la multiplication des pains, on ne peut en être surpris, cet épisode est seulement une figure de l’eucharistie. A Cana, le vin seul est mentionné, faut-il conclure que primitivement le pain n’était pas en usage à la cène ? Quant au choix des mots fraction du pain pour désigner la communion, il est impossible d’en tirer la conséquence que dégage Brandt. Quelqu’un veut nommer l’eucharistie, il pense d’abord au pain qui est consacré en premier lieu. Cela fait, comme il se rend compte qu’il a été compris, il ne juge pas à propos de parler du vin. Si le livre des Actes faisait une description complète du rite, on devrait trouver étrange qu’il parlât seulement d’un élément ; mais il se contente de désigner la cène en deux mots ; cette locution doit être bien choisie, mais elle ne peut tout dire. Si on voulait la prendre d’ailleurs à la lettre, on devrait conclure que les premiers chrétiens rompaient le pain, mais ne le mangeaient pas. Aujourd’hui, les catholiques se servent du mot communion pour désigner l’eucharistie ; ils n’excluent par ce terme ni la fraction, ni la consécration.

Le corps et le sang se repousseraient-ils ? D’abord, il faut noter que le pain et le vin se complètent fort bien. Et on doit ajouter que si Jésus a voulu instituer un festin spirituel, il est fort convenable qu’il y ait placé les deux composants de tout repas, l’aliment et la boisson, par conséquent son corps et son sang. Mais il aurait dû parler de chair et de sang, objecte-t-on, s’il avait vraiment voulu présenter deux mets ; car, seuls, ces mots s’opposent. Au contraire, le sang fait partie du corps. Il faut observer d’abord que Jésus parlait araméen et que si nous croyons qu’il a présenté son corps et son sang, nous ignorons quel mot il a

employé pour désigner le premier. Voir lîerning, op. cit., p. 201-204. La chair, rsj.ul, désigne au sens propre ce qui n’est ni os ni sang ; et ce terme a le tort, lorsqu’il est pris dans une acception plus large, de signifier plusieurs choses : l’humanité ( « toute chair >), la parenté (deux en une seule chair), l’homme considéré au point de vue de sa faiblesse, la personne humaine. Parfois même, il est synonyme du mot " corps « . Ainsi, pour relater la promesse de l’eucharistie, saint Jean qui écrit à une époque où la formule « Ceci est mon corps » est connue, parle de la chair et du sang du Fils de l’homme, vi, 52-57. Il est donc impossible de tirer de l’emploi du mot corps un argument contre l’originalité de la formule : « Ceci est mon sang ; » et l’on comprend pourquoi le terme de chair n’est pas choisi. Au reste, il a quelque chose de plus grossier et de plus répugnant. Si l’eucharistie, ce qui est l’idée non seulement de Paul, mais des Synoptiques, est en rapport avec la passion, il faut conclure que les formules : Ceci est mon corps, ceci est mon sang, font image et montrent la mort même du Sauveur, le sa/ijr qui s’échappe de son corps. Enfin, s’il était vrai que le sang appelât par opposition la chair et non le corps, la présence de ce dernier mot prouverait que le’récit primitif n’a pas été modifié, un interpolateur ayant dû éviter toute gaucherie d’expression ; et ainsi le terme corps, dans un endroit où on ne l’attend pas, s’expliquerait seulement parce que le Christ l’aurait choisi et que nul n’aurait osé modifier sa parole.

Les arguments tirés de la présence du mot « alliance » ne sont pas plus concluants. Plusieurs critiques non catholiques admettent l’authenticité de cette mention (Spitta, Haupt, H. J. Ho]lzmann, R. A. Hoffmann, etc.). Saint Justin ne parle pas d’alhance, il est vrai. Mais son récit ne dérive pas d’une source spéciale, il vient des Évangiles et de Paul, il leur est postérieur, certainement incomplet ou plutôt abrégé : on n’y trouve ni la fraction, ni la déclaration eschatologique dont personne ne soupçonne pourtant l’authenticité. L’apologiste écrit pour démontrer à des païens qu’il n’y a rien de subversif dans la communion chrétienne ; la parole sur l’alliance eût été incompréhensible pour ses lecteurs. L’étaitelle aussi pour les disciples de Jésus ? L’idée d’alliance familière à saint Paul était-elle étrangère à l’enseignement du Christ, comme le ! soutient Loisy ? Op. cit., t. ii, p. 533, 538. D’abord, la notion d’un pacte scellé par le sang était connue des Juifs, le récit de l’Exode n’a pas été inventé par saint Paul ; les sacrifices rapprochaient de l’autel de Jalivé, faisaient entrer en communion avec lui, étaient propitiatoires. Il n’était pas nécessaire d’être un disciple de l’apôtre ni même de Jésus pour le savoir. Et si, comme le veut Loisy, loc. cit., p. 533, note 2, il n’est nulle part dans l’Évangile question de nouvelle alliance, les Douze pou aient, en raison de leur éducation première et de leur vieille foi, comprendre la formule de la cène. L’histoire de l’Ancien Testament est le récit des diverses alliances de Dieu avec les hommes (Noé, Abraham, les patriarches, les descendants de Jacob, les prêtres et les lévites, David, etc.), et les livres prophétiques annonçaient le futur pacte éternel, Is., lv, 3 ; lix, 21 ; lxi, 8 ; alliance nouvelle et sans fin, Jer., xxxi, 31 ; xxxii, 40 ; union de sainteté

et de paix, Ezech., xvi, 60, 62 ; xxxiv, 25 ; fiançailles

j irrévocables dans la justice, la grâce et la tendresse. Ose., II, 18 sq. Sans doute, les premiers chrétiens ne , rompirent pas avec la vie juive, n’émigrèrent i ; as hors 1 du temple. Néanmoins, ils pouvaient fort bien comprendre que l’alliance proposée par Jésus était non une destruction, mais un renouvellement, une conti^ nuation, un perfectionnement opéré par celui qui, loin de venir abolir la loi, voulait l’amener à sa plénitude. Si le Christ n’avait jamais expressément parlé