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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ÉCRITURE


que saint Luc a utilisé l’Épître aux Corinthiens ; l’cvangéliste et Paul pourraient se servir d’une source commune, écrite ou orale. Quant aux deux prétendues maladresses qu’il est plus facile, dit-on, d’attribuer ù un copiste qu’à Luc, sont-ce vraiment des maladresses, n’ont-clles pu être voulues par l’évangéliste lui-même ? Bcrning, op. cit., p. 41.

L’étude exégétique du texte de D confirme les conclusions auxquelles aboutissent l’examen des témoignages et les recherches de critique textuelle. Sous la forme qu’elle a dans le codex Bczec, la recension courte ne peut s’expliquer. Personne n’a pu découvrir pourquoi, si la coupe du ; î. 17 est eucharistique, elle est mentionnée avant le pain, contrairement à l’ordre attesté par les autres témoins, les Pères et la pratique universelle. Soutenir qu’elle est une coupe pascale seulement aggrave la difficulté : pourquoi n’est-il pas question de la consécration du vin ? La tradition lui attribue pourtant une grande importance. Saint Luc, dira-t-on, ne voulait que marquer le lien entre la Pâque et la fête chrétienne et il suffisait à son but de mentionner la consécration du pain. Qui le prouve ? Et s’il en est ainsi, pourquoi s’est-il étendu plus longuement sur le rite mosaïque que sur la cérémonie nouvelle. Si telle était son intention, il dit trop ou trop peu. Puis on a le droit de se demander pourquoi le parallélisme des premiers versets s’arrête brusquement : 15 (manducation de la Pâque) s’opposait fort bien à 17 (présentation de la coupe) ; 16 (parole eschatologique sur la Pâque) correspondait à 18 (parole eschatologique sur la coupe). On attend donc après le récit de la consécration du pain celui de la consécration du vin. Enfin, leꝟ. 21 se rattache mal auꝟ. 19 a.

Pour résoudre ces difficultés et celles que lui paraît soulever le texte long, M. "Viteau, L’Évangile de l’eucharistie, dans la Revue du clergé français, 1904, t. xxxix, p. 8 sq., propose un remaniement complet du texte de la recension courte. L’ordre primitif serait le suivant : 14, 15, 16, 19 a, 17 (tel qu’on le lit aujourd’hui plus les paroles perdues de la consécration de la coupe), 18, 21, 22, 23. Le récit qu’on obtient est alors très cohérent, conforme aux souvenirs traditionnels. Mais comment expliquer le texte long ? Un copiste qui aurait connu ce passage — il l’aurait emprunté à un Évangile primitif — l’aurait inséré dans son manuscrit après leꝟ. 19 a. Comme il y avait alors deux consécrations de la coupe, cefie duꝟ. 17 fut supprimée et ce verset ainsi que le suivant furent placés après le il. 16. La supposition est ingénieuse. Mais elle est en réalité une suite d’hypothèses. Et si des difficultés disparaissent, d’autres surgissent : pourquoi un copiste a-t-il surchargé un texte déjà complet ? Pourquoi son addition commence-t-elle aux mots « donné pour vous » ? Comment attribuer le parallélisme si régulier de 15-18 à une série de bouleversements ? Quoi qu’il en soit d’ailleurs, il faut noter que, selon M. Viteau, si saint Luc n’avait pas écrit le récit de la consécration du vin dans les termes où elle est rapportée par le texte long, il avait du moins primitivement cité les paroles prononcées par Jésus sur la coupe eucharistique. Ce qui est authentique, ce n’est donc pas la recension de D, c’est une forme un peu moins courte et perdue aujourd’hui.

Au lieu d’imaginer cette explication qui manque de base, il est plus sage et il n’est pas impossible de faire l’exégèse du texte long. Les particularités dont il faut rendre compte sont les suivantes : pourquoi est-il question à deux reprises de la coupe, 17, 20 ? Pourquoi Jésus fait-il sur elle deux fois l’action de grâces, 17, 20 ? Pourquoi, dit encore Viteau, loc. cit., p. 8 sq., la manducation de la Pâque, dont parlent les versets 15 et 16, n’est-elle pas immédiatement suivie de la manducation du corps du Christ ? Pourquoi

l’action de grâces est-elle faite d’abord sur le vin ? Pourquoi, après avoir parlé de la coupe, Jésus s’interrompt-il afin de présenter le pain et de revenir ensuite à elle ? Pourquoi le vin est-il consacré le premier, distribué le second ? Pourquoi le donner une première fois pendant le repas, une seconde fois après ? Enfin, ajoute Viteau, pour échapper à ces difficultés, il ne suffit pas de dire qu’il s’agit des deux coupes différentes, l’une pascale, 17-18, l’autre eucharistique, 20, car, auꝟ. 17, il est parlé d’une coupe (le grec n’a pas l’article), au verset 20 de la (-6) coupe, c’est-à-dire de celle dont l’auteur a déjà parlé, il n’y en a donc qu’une. Si d’ailleurs on soutient le contraire, on se condamne à donner au même mot, rendre grâces, deux sens différents, et cela, à très petite distance. Car, au 1. 17, saint Luc écrit : « Jésus ayant pris la coupe et fait l’action de grâces, etc. » ; puisqu’il s’agit de la coupe pascale, le verbe a ici le sens de bénir. Auꝟ. 20, il est affirmé que le Christ traita le vin comme il avait traité le pain (voirꝟ. 19), donc qu’il fit l’action de grâces ; mais puisqu’il s’agit de l’eucharistie, cette fois le verbe signifie consacrer. Au reste, si la première coupe n’était que pascale, pourquoi Jésus la bénirait-il ; pourquoi l’évangéliste estimerait-il ce menu détail digne d’être relaté ; pourquoi entourerait-il d’une telle solennité un acte si ordinaire ?

I On pourrait d’abord être tenté de répondre avec saint Augustin, De consensu evangelistarum, 1. III, c. I, n. 2, P. L., t. XXXIV, col. 1157, plusieurs commentateurs anciens et quelques modernes, qu’il n’y a eu en réalité qu’une coupe, celle de l’eucharistie ; que les détails des versets 17 et 18 sont donnés d’une manière anticipée, les mots : « Je ne boirai plus du fruit de la vigne, » étant appelés en quelque sorte par ce que Jésus dit de la Pâque dont il ne mangera plus. L’hypothèse pourtant ne va pas sans difficulté et ne rend pas compte complètement de la double action de grâces ; elle ne correspond pas à l’idée que se ferait de la cène un lecteur non prévenu qui la connaîtrait seulement par le texte de Luc.

La plupart, sinon toutes les objections peuvent être fort bien résolues parles exégètes qui voient dans le texte long le récit de deux actions distinctes, la Pâque et la cène (Berning, Rose, van Crombrugghe, Schanz). L’évangéliste raconte d’abord la fête juive que Jésus a vivement désiré manger avec ses disciples. Il y fait circuler une des coupes prévues par le rituel et l’accompagne des mots : « Je ne boirai plus du fruit de la vigne. » Cette Pâque est décomposée en deux actes, pour pouvoir être mieux opposée à la cène qui comprend deux consécrations : le parallélisme est remarquable : 15 et 16, 17 et 18, 19 a et 19 b, 20 a et 20 6 se correspondent : chaque fois, il y a le récit de l’acte et l’indication du sens du rite. Toutes les difficultés disparaissent. Il est parlé deux fois de coupe, parce qu’il est question de deux calices distincts. La manducation de l’agneau pascal est suivie de la présentation d’une coupe pascale, la réception du pain eucharistique accompagnée de celle du vin eucliaristique. Ce n’est donc pas la coupe qui est consacrée en premier lieu. Jésus, après avoir présenté le viii, n’attend pas avant de le distribuer, il le donne une première fois et les disciples boivent ; puis de nouveau il le distribuera, mais cette fois il sera consacré. Le langage solennel du Christ sur la première coupe n’est pas inexplicable, même si elle est seulement pascale ; il a pu parler d’elle comme il a parlé de la Pâque, dans les mêmes termes. « L’article duꝟ. 20 pourrait bien n’être pas intentionnel : s’il se rencontre chez saint Paul, il fait défaut chez saint Marc et chez saint Matthieu ; et, le fût-il, il serait très bien à sa place au verset 20 pour désigner le calice xai’è ?o/.r, v, le calice eucharistique, tandis que, d’autre part, il ne convenait guère pour désigner