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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ÉCRITURE


grand nombre de critiques non croyants (ces derniers font le plus grand cas de cette alTirmation ainsi entendue, lorsqu’ils essaient de distinguer les étapes d’une évolution de la cène). La Vulgate a même accusé davantage ce sens, en traduisant ainsi le grec : in communicatione fraclionis panis. « Les disciples persévéraient dans la participation à la fraction du pain. » (L’expression rappelle les mots -/.oivù)v ! a -coC (T(ô[xaTo ; ToO XptTToj la communion au corps du Christ.) Voir aussi la Peschito et la version saliidiquc. Enfin, les premiers chrétiens s’attachaient avec constance aux prières. L’article Taïç semble faire allusion à des prières spéciales qu’on associait à la célébration des saints mystères. Fillion, loc. cit. ; Leclercq, op. cit. On a observé que les divers actes mentionnés sont ceux qui étaient en usage dans les offices chrétiens : prédication apostolique, vie en commun, fraction du pain, prières. F. Probst, Liturgie der ersten Jahrhunderte, "Tubingue, 1870, p. 23, voit même dans la xotvMvia le repas fraternel ; et selon lui, la phrase du livre des Actes énumérait les quatre opérations de l’assemblée chrétienne, tels qu’on les retrouve à Troas. Voir aussi Batiffol, op. cit., p. 36. Le texte est-il aussi précis ? Il semble téméraire de l’affirmer. En tout cas, la fraction du pain semble bien désigner ici l’eucharistie.

La fraction du pain est encore mentionnée un peu plus loin, 46 : « Chaque jour, les disciples étaient fidèles à aller en union d’esprit (ou mieux ensemble) dans le temple et rompant le pain à la maison (ou de maison en maison), ils prenaient leur nourriture avec joie et simplicité de cœur, louant Dieu. » Beelen, Fillion et plusieurs exégètes pensent qu’il ne s’agit pas ici de l’eucharistie, mais des repas ordinaires que les chrétiens pouvaient faire dans leur maison. Ces commentateurs s’appuient sur l’absence d’article devant le mot à’prov, pain, et sur le contexte : les fidèles prenaient leur nourriture avec joie. Pourtant il est difficile d’admettre qu’à un si court intervalle, la même manière de parler ait deux sens différents, et un bon nombre d’exégètes de toute école voient ici encore la fraction eucharistique. Batiffol, op. cit., p. 36, 37, pense que les versets 44-46 émanent d’une source judéo-chrétienne et présentent, sous une forme plus concrète, les données que le verset 42, de source paulinienne, aurait abrégées et rendues abstraites. Il voit dans cette phrase l’indication des deux habitudes qui caractérisent la vie religieuse des premiers chrétiens : la fréquentation du temple et la célébration de l’eucharistie. Ces deux actes leur donnent un bonheur paisible, que Luc décrit à l’aide d’une expression biblique connue : ils prenaient leur nourriture en joie et simplicité de cœur. Cette explication se heurte à une difficulté. La phrase grecque permet-elle de séparer ainsi les mots : « rompant du pain à la maison » de ceux qui suivent : « ils prenaient leur nourriture avec joie… » ? Goguel, op. cit., p. 129 ; J. Réville, op. cit., p. 95, et plusieurs commentateurs catholiques, Felten, op. cit., p. 98 ; Leclercq, op. cit., col. 783, croient, et à bon droit, ce semble, qu’il faut les rapprocher. Ce passage attesterait donc l’existence dans la communauté primitive d’une fraction du pain eucharistique faite au cours d’un repas simple et joyeux, accompagnée de louanges adressées à Dieu. Si la grammaire n’oblige pas absolument à préférer cette interprétation, le sens connexe des deux verbes voisins rompre le pain et prendre la nourriture porte à les réunir. Le texte du Cantabrigiensis favorise ce sentiment.

De ces deux versets, on peut conclure que la fraction ou l’eucharistie était célébrée dans la première communauté de Jérusalem ; que ce rite avait une très grande importance, puisqu’il est mentionné deux

fois dans une brève description de la vie chrétienne, qu’il n’était pas un geste profane et vulgaire identique à un usage d’un repas ordinaire, et sans doute qu’il était célébré comme il l’avait été par le Christ, au cours d’un repas simple et joyeux, terminé par des prières. C’est dans les maisons privées par opposition au temple qu’il s’accomplissait. Rien ne prouve que l’eucharistie ne comprenait pas la distribution d’une coupe. Jadis Corneille de la Pierre voulait conclure, de l’emploi des mots fraction du pain, que les laïques communiaient alors seulement sous l’espèce du pain ; aujourd’hui certains critiques non croyants estiment pouvoir se servir de cette locution pour affirmer que, primitivement, la coupe n’avait aucune place dans le rituel de la cène. Brandt, op. cit., p. 292 sq. Voir aussi Goguel, op. cit., p. 86, 130. C’est abuser du silence du livre des Actes. L’eucharistie est mentionnée ici comme appartenant au culte chrétien : le mot fraction la fait assez connaître au lecteur. Aujourd’hui nous disons : « Je me suis confessé, » ce qui signifie : « j’ai eu la contrition » et « j’ai reçu l’absolution. »

Cependant M. Schermann ne veut voir dans ces deux passages des Actes que l’habitude qu’avaient les premiers chrétiens de Jérusalem de prendre en commun leurs repas ordinaires. Das Brotbrechen im Urchristentum, dans la Biblische Zeitschrifl, 1910, t. viii, p. 162-170. Il me semble qu’il a raison pour le second cas (E..Mangenot).

4. Saint Jean.

Le quatrième Évangile, dans son récit de la dernière cène, ne rapporte pas l’institution de l’eucharistie. Ce silence a été exploite à tort par certains critiques désireux d’établir que le sacrement ne remonte pas à Jésus. Saint Jean n’a pas l’intention d’écrire une biographie du Sauveur. Il ne semble même pas que cet évangéliste se propose de compléter les Synoptiques, bien qu’en réalité il l’ait fait dans une certaine mesure. Son principal but est didactique et dogmatique : il écrit pour que ses lecteurs « croient que Jésus est le Christ, le Fils de Dieui et que, croyant, ils aient « la vie en son nom » , xx, 30, 31. Sa thèse est établie sans qu’il ait besoin de raconter l’institution de l’eucharistie. Au reste, cette narration était connue, ce sacrement était en usage, à l’époque où il rédigeait son œuvre. Enfin, au c. vi de son Évangile, il avait exposé la doctrine sur la communion, son contenu, ses effets, sa nécessité, il n’avait rien à ajouter. Puisque Jésus a promis de donner son corps et son sang, il a tenu parole. Saint Jean n’aurait pas raconté que le Sauveur s’était engagé à offrir sa chair en nourriture si, en fait, les chrétiens, ses contemporains et lui-même n’étaient pas persuadés qu’ils avaient reçu du Christ cet inestimable don. Cf. Lebreton, toc. cit., col. 1554 ; Calmes, op. cit., p. 375. Le quatrième Évangile atteste donc, à sa manière, l’institution de l’eucharistie par Jésus.

Les critiques non catholiques eux-mêmes n’attachent plus d’importance à ce silence de l’évangéliste. Quelques-uns d’entre eux, au contraire, croient apercevoir dans le récit johannique de la cène et dans les discours d’adieu des allusions à l’eucharistie. Loisy, Le quatrième Évangile, p. 704, affirme qu’o elle tient plus de place dans le quatrième Évangile que dans les Évangiles antérieurs où elle est expressément signalée ; » « son souvenir remplit tous les récits et discours de la dernière journée. » Ainsi, l’épisode du lavement des pieds est une allégorie qui « montre dans l’eucharistie un acte nécessaire de la vie chrétienne sans lequel on ne peut avoir part avec le Christ, c’est-à-dire sans lequel on ne peut être sauvé, un bain destiné à effacer les souillures contractées après le baptême. Goguel, op. cit.. p. 195-196. » Jésus, dans sa mort, s’est fait par amour le serviteur de l’homme ; l’eucharistie est le mémorial permanent de