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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ÉCRITURE

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Dans le récit de Luc, le caractère pascal de la cène est fortement marqué. Il est expressément affirmé à six reprises (1, 7, 8, 11, 13, 15). Le repas que prend Jésus a une importance exceptionnelle : « J’ai désire d’un vif désir manger cette Pâque avec vous, » c’est un terme longtemps et très attendu. La cène est en rapport avec la passion : Jésus déclare qu’il prend ce repas avant de souffrir ; en rapport avec le royaume futur : la Pâque qui se célèbre est une figure de celle qui, plus tard, se réalisera pleinement ; deux fois cette perspective eschatologique est présentée (non seulement dans la leçon, courante mais dans toutes les autresrecensions, àl’exception de celle de laPeschito).

D’après le texte prédominant (et aussi d’après D, donc d’après tous les majuscules), Jésus prit d’abord une coupe, fit l’action de grâces et la distribua, disant : Je ne boirai plus du fruit de la vigne jusqu’à ce que le royaume de Dieu soit venu. Puis il prit du pain, fit l’action de grâces, le rompit et le donna à ses disciples, en disant ces mots (que contiennent toutes les recensions) : Ceci est mon corps, mots qui ont ici évidemment le même sens que dans saint Matthieu, saint Marc et saint Paul. Le texte courant ajoute : qui est donné pour vous ; nous avons signalé plus haut l’importance et la signification de formules semblables. Le sens est clair : « le corps de Jésus est livré à la mort pour le salut de ses disciples. » Loisy, op. cit., t. ii, p. 532. C’est la formule équivalente de celle que saint Luc emploie pour le sang : j7 est versé pour vous. L’idée de sacrifice est donc accusée à deux reprises. Par ces paroles, « Jésus s’assimile à une victime immolée, » avouent les critiques non croyants. Goguel, op. cit., p. 192 ; Loisy, op. cit., t. II, p. 522. Or, il n’a pas institué un sacrifice de pain et de viii, c’est donc son corps et son sang véritables qui constituent la victime ; et s’il en est ainsi, c’est son corps et son sang qu’il offre en nourriture et en breuvage aux disciples. Le sacrifice mentionné est-il celui de la croix ? Les participes présents (5 ; ôou.£vov, È/.yjvvo|x-vov), employés par saint Luc, attestent-ils qu’à la cène même, d’après lui, le geste de la consécration du pain et du vin constituent un sacrifice ? Beaucoup de théologiens catholiques et certains commentateurs ont choisi la seconde alternative. Rauschen, L’eucharistie et la pénitence, trad. franc., Paris, 1910, p. 34, note 1. Voirplushaut et art. AIesse. Après avoir consacré le pain, Jésus dit : « Faites ceci en mémoire de moi. » Puis il prononça sur la coupe des mots que déjà nous avons trouvés : les uns (cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang) dans saint Paul, les autres (qui est versé pour vous) dans saint Matthieu et saint Marc ; il est inutile de les expliquer de nouveau : ils attestent la présence i*éelle, l’institution de l’eucharistie par le Christ.

b) Multiplie ilion des pains, ix, 10-17. — Le récit de i-e miracle où les Pères et les écrivains chrétiens, sans mettre en doute la réalité du fait, ont souvent vu soit une figure de l’eucharistie, soit un prodige destiné à faciliter l’adhésion : iu dogme de la présence réelle, se trouve dans saint Luc comme dans les trois autres Évangiles. Voir plus haut. A noter l’identité absolue, dans les récits des trois Synoptiques, des mois (le la narration qui rappellent le mieux la cène :

Ayant pris les cinq pains et les deux poissons, et lyant levé les yeux au ciel, il prononça la bénédiction ri rompit les pains et il les donna aux disciples… Et tous mangèrent et furent rassasiés.

c) Les disciples d’Lmmaiis, xxiv, 13-35. — < Deux disciples étaient en route vers Kmmaiis… Jésus les joignit, mais… ils ne le reconnaissaient pas. > Ils rinvitèrent à rester avec eux. « Et il entra… Or, pendant fju’il était à table avec eux, il prit le pain, prononça une bénédiction, puis le rompit et le leur

donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent ; mais lui devint invisible à leurs yeux. »

Des exégètes catholiques anciens et modernes ont supposé que Jésus avait donné à ses hôtes le pain eucharistique. Certains critiques non croyants partagent ce sentiment. Goguel, par exemple, qui conclut que « la fraction du pain… apparaît » dans cet épisode « comme un signe de ralliement pour les chrétiens, » que « l’eucharistie était célébrée à chaque repas, » enfin qu’elle explique la nécessité de la mort du Christ et sa valeur. Op. cit., p. 193-194. Sans croire que Jésus ait « renouvelé » pour les disciples d’Emmaiis « le moment tragique de la dernière cène, » Loisy, op. cit., t. ii, p. 763, estime « que le souvenir de l’eucharistie » était « présent à l’esprit du narrateur. » Il tire même de ce fait des conclusions sur la manière dont se forma le concept de la cène. Voir plus loin.

En réalité, la narration ne dit pas si la fraction du pain à Emmaiis fut eucharistique. Loisy allègue « la solennité de la formule. » Elle n’offre rien d’extraordinaire. Elle ressemble un peu à celle de la cène, mais elle omet ce qui est essentiel, les paroles de Jésus. Le récit dit qu’il rompit le pain : sans doute ce mot désigna chez les premiers chrétiens le geste eucharistique ; mais il continua aussi à signifier l’acte vulgaire de quelqu’un qui brise un aliment pour le partager. Le Christ bénit, i-y/.6-(r, ’j-, le pain, à la vérité ; mais cet acte n’est pas nécessairement sacramentel, les Juifs et Jésus l’accomplissaient toujours avant de prendre leur nourriture. Et l’ensemble du récit tend plutôt à démontrer qu’il ne s’agit pas ici de l’eucharistie. Jésus était présent, avait parlé, expliqué les Écritures, réchauffé le cœur des deux disciples dans le chemin, avant la fraction du pain ; ce n’est pas elle qui le rend présent. Sans doute, c’est au moment où le Christ fait ce geste qu’il est reconnu ; mais à cet instant même il devient invisible. La fraction cul pour effet non de donner le corps et le sang de Jésus, mais de les faire disparaître. C’est le contraire de l’eucharistie.

d) La fraction du pain à Jérusalem dans la communauté primitive. Act., ii, 42-47. — Saint [Lue décrit les mœurs^des premiers chrétiens de Jérusalem :

42. Ils.persévéraient dans la doctrine des apôtres, et dans l’union, et dans la fraction du pain, et dans les prières. 13. La crainte était en toute âme et il se faisait beaucoup de prodiges et de miracles par les apôtres. 44. Tous ceux qui croyaient vivaient ensemble et ils avaient tout on commun. 4.5. Et ils vendaient leurs propriétés et leurs biens et ils en partageaient le produit entre tous, selon les besoins de chacun. 46. Chaque jour ils étaient fidèles A aller en union d’esprit (ou ensemble) dans le temple et rompant le pain à la maison (ou de maison en maison), ils prenaient leur nourriture avec joie et simplicité de cœur, louant Dieu.

Le V. 42 nous apprend que les convertis de saint Pierre persévéraient d’abord dans la doctrine des a]K*)trcs, c’est-à-dire sans doute coniiilétaient leur instruction en recevant l’enseignement des Douze. Est ensuite nommée la xotvojvi’a, c’est-à-dire les réunions (Lcclcrcq, art. Agape, dans le Dictionnaire d’archéologie chrétienne, t. i, col. 783) ; ou plutôt le fait de former un groupe religieux, une communauté unie par les liens d’une vive charité. Batiffol. op. cit., p. 35 ; Felten, Die Apostclgeschichte, Fribourg-en-Brisgau, 1892, p. 93 ; Fillion, La sainte liible, Paris, 1901, t. vii, p. 626 : Rose, Les Actes des apôtres, Paris, 1905, p. 27. Le contexte (44 et 45) oblige, en effet, à entendre en ce sens le mot « communion » . Les premiers chrétiens persévéraient aussi « dans la fraction du pain, >< c’est-à-dire dans l’eucharisLie, selon l’opinion de presque tous les exégètes catholiques et d’un