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EUCHARISTIE D’APRKS LA SAINTE ÉCRITURE

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Juif, eu orfrant un sacrifice, se rapproche de Jahvé, puisqu’il met quelque chose sur son autel. Une partie de la victime appartient à Dieu, une partie revient à ceux qui l’offrent, ils ont contracté alliance avec le Seigneur, ils se sont approchés de la table de Jahvé. Tous les historiens d’Israël admettent cette conception.

Il est facile de conclure : le chrétien qui mange le pain, qui boit la coupe du Seigneur, entre en rapport avec le Christ, est en communion avec lui. La cène ne symbolise pas seulement le repas d’adieu et la présence d’hier, le repas d’espérance eschatologique et la présence de demain. Elle est le mystère d’aujourd’hui. La coupe met en contact avec le sang du Christ, le pain unit au corps du Seigneur. L’eucharistie est une alliance, elle fait entrer en possession de la grâce obtenue par l’immolation de Jésus. C’est dans les banquets des sacrifices païens que les démons opèrent leur œuvre, c’est à la cène que le Clirist accomplit la sienne. Et c’est pourquoi, comme il est dit au y. 17, les fidèles forment un même corps : la vie coule de la tête aux membres et par là même, elle unit les rnsnibres entre eux. Cette conception de l’eucharistie s’harmonise avec l’ecclésiologie de l’apôtre. Rom., xii, 5 ; Eph., IV, 45 ; I Cor., xii, 12-30. Le baptême était la circoncision nouvelle, l’eucharistie est l’alliance nouvelle.

Mais cette première conclusion n’épuise pas la pensée de l’apôtre. Quoi qu’aient soutenu certains interprètes catholiq’es, Batiffol, op. cit., p. 18-19 ; Lemonnyer, Les Épîlres de saint Faut, Paris, 1909, t. I, p. 141-142, le texte de l’Épître oblige à conclure que le fidèle mange le corps du Seigneur et boit son sang. Mgr Batiflol l’a reconnu plus tard. Ibid., 30 édit., 1907, p. 16.

Siint Paul compare ce qui est mangé par les Juifs, par les païens, par les chrétiens. "Or les Israélites et les gentils consommaient ce qui était sacrifié, les premiers les victimes mosaïques, les seconds les idolothytes. C’est ainsi qu’ils entraient en rapport soit avec l’autel de Jahvé, soit avec les démons. Comment les chrétiens seront-ils en contact avec le Christ ? Par la manducation d’une victime. Et, saint___Paul l’enseigne, c’est le Christ qui s’est immolé pour le fidèle. Le sacrifice des chrétiens est celui du Calvaire, la chair et le sang qui mettent les Corinthiens en communication avec Dieu, c’est la chair et le sang de Jésus offerts en sacrifice. Le pain que nous rompons, la coupe que nous bénissons nous permettent donc de manger cette chair et de boire ce sang. Ainsi le veut l’analogie qui est l’objet de tout ce développement.

Et les mots qu’emploie saint Paul confirment cette argumentation. Le pain est une y.oivwvca, une participation au corps du Christ ; la coupe est une /.otviovtoc, une participation au sang du Christ. Ainsi, l’élément lui-même est l’union, la constitue : on ne dit pas qu’il la symbolise ni même qu’il la produit, il l’est. Et ce qui ajoute à la force de cette remarque, c’est le soin avec lequel saint Paul semble ici avoir choisi ses mots, nuancé sa pensée. Il montre sans doute une analogie entre les trois rites, juif, païen, chrétien, entre les trois y.orji.rr.a ou communions qu’ils opèrent. Et cette comparaison est assez bien marquée pour que l’apôtre puisse construire son argument et déduire sa conclusion. Mais il se garde bien de parler dans les mêmes termes des effets produits. La manducation des viandes sacrifiées auxidoles fait entrer en communion avec les démons, prendre part à leur table. C’est encore ce langage qu’emploient les historiens de la religion grecque pour décrire l’action des mystères : la divinité est d’une certaine manière présente. Holtzmann, op. cit., t. ii, p. 184 ; Anrich, Das antike Mysterienwesen in seinemEinjluss auj das Clu-islentum, Gœttingue, p. 60 ; Chantepie de la Saussaye, Manuel

de l’insloire des religions, trad. franc., Paris, 1901. p. 565. Deux papyrus d’Oxyrhinque, qui eontieimenl des invitations à des festins religieux païens, sont un excellent commentaire de la parole de l’apôtre sur la lable des démons. « Charémon te prie de venir dîner demain à la table, si ; -/./.ei’vi, /, de Sérapis dans le Sérapeion ; » « Antonios, fils de Ptolemaios, te prie de venir dîner à la table, sî ; xlei/r, -/, du seigneur Sera pis, chez Claude, fils de Sérapion… » Grenfell etHunt, Tlie Oxyrinchus Papyri, Londres, 18911, t.i, n.llO ; t. iii, n. 523. La conception des Sémites est la même : pour s’unir au dieu, on verse le sang d’une victime qui sert de moyen terme et dont le sang remplace celui de l’homme et du dieu ; on est à la table de la divinité, on partage avec elle les mêmes mets. Lagrange, Études sur les religions sémitiques, 2e édit, Paris, 1905, p. 261. Quant à la manducation des victimes juives elle fait entrer, dit saint Paul, en communion avec l’autel. R’u-u n’est plus exact. Les chairs qu’on brûle sont la pari de Jahvé. Mais quelque chose de ce qui a été sur l’autel est remis aux fidèles, ils communient à l’autel. La transcendance de Jahvé est telle qu’on ne peut lui appliquer le concept païen : le juif ne manche pas avec lui, ne devient pas son convive, il reçoit quelque chose de ce qui lui a été offert, quelque chose qui vient de sa table.

Que dit l’apôtre au sujet des chrétiens ? Que l’eucharistie fait entrer en rapport avec Dieu, sa table, l’autel ? Pas précisément. Il écrit : Le pain n’est-il pas une participation au corps, la coupe une participation au sang du Christ ? Des nuances si bien caractérisées et si justifiées n’ont-elles pas leur raison d’être ?Un langage si précis ne doit-il pas être entendu au sens littéral ?

Cornely, Commentariiim in /a™ ad Cor., Paris, 1890, p. 293, propose un dernier argument. Pourquoi les fidèles forment-ils un seul corps ? Parce qu’ils mangent un même pain. Or, il n’en est ATaiment ainsi que si cet aliment est le corps du Christ. Est-ce vrai ? Sans doute, lorsqu’on admet la présence réelle, on comprend mieux comment la manducation de l’eucharistie réalise l’unité entre la tête et les membres du corps dont Jésus est le chef. Voir plus haut. Mais, comme l’observe Batiffol, op. cit., p. 19, 1a parole de saint Paul pourrait s’expliquer même si l’eucharistie mettait seulement d’une manière morale en rapport avec le Christ qui est le même pour tous, partout et toujours. L’apôtre n’a-t-il pas dit ailleurs : il y a un seul corps et un seul esprit, un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, Epli., IV, 4-5 ; nous avons été baptisés en un seul corps, I Cor., xii, 13 ?

Contre l’interprétation littérale de nombreuses objections ont été faites. La chair et le sang n’ont pas de part au royaume. I Cor., xv, 50. Le Christ ressuscité est donc un esprit. Impossible d’admettre que saint Paul parle de la manducation de son corps. J. Weiss, Der ersle Korintherbrief, Gœttingue, 1910, p. 257-258. Il faut répondre que le mot de l’apôtre ici invoqué est emprunté à un long développement, xv, 35-57, destiné à établir avec force explications, preuves, comparaisons, non pas qu’après la résurrection, il n’y aura plus de corps, mais que notre chair sera incorruptible, glorieuse, pleine de force, spirituelle. Jésus est l’exemplaire, le type des ressuscites, il a donc un corps, mais pourvu de ces qualités et glorifié. Voir E. Mangenot, La résurrection de Jésus, Paris, 1910, p. 154-166. Et c’est cette chair à laquelle fait participer l’eucharistie.

L’union par la cène, dit encore M. J. Weiss, est superflue. Déjà, d’après saint Paul, le baptême incorpore au Christ. Les partisans de la présence réelle ne le nient pas, ils constatent seulement que le langage de l’apôtre sur ces deux sacrements est diffé-