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EUCHARISTIE D’APRES LA SAINTE ÉCRITURE


venu… donner sa vie pour la rançon de beaucoup, » Marc., X, 45 ; si on se souvient de la mention de l’alliance, on doit conclure que le sang de Jésus est offert en sacrifice. Ce mot n’est pas prononcé, il est vrai ; mais comme le remarque un critique non suspect d’être influencé par la théologie catholique : « Les paroles évangéliques prises dans leur sens nature renferment ce que la tradition chrétienne n’a pas cessé d’y trouver : la notion de sacrifice attachée à la mort de Jésus et la commémoraison de ce sacrifice dans l’eucharistie. » Loisy, op. cit., t. ii, p. 522. Or, « dans un sacrifice, la victime, après avoir été offerte à Dieu, est l’aliment du fidèle qui participe au sacrifice. » Batiffol, op. cit., p. 56. Le Sauveur n’a pris du via que pour le distribuer, le faire boire par les convives ; ce viii, c’est son sang versé sur la croix ; donc c’est ce sang versé sur la croix que reçoivent les disciples.

Il l’a été pour beaucoup et non pas seulement pour vous. Ce mot montre que l’immolation de la croix ne doit pas profiter aux Douze, exclusivement. Il insinue donc qu’ils ne doivent pas seuls participer à la victime du Calvaire. Beaucoup n’est pas opposé à tous : il y a antithèse entre la mort d’un seul et le salut du grand nombre. Lagrange, op. cit., p. 256.

Saint Matthieu précise encore davantage la pensée : le sang est répandu pour beaucoup en rémission des péchés. Dans la loi antique, il y avait un sacrifice pour le péché et, affirme l’Épître aux Hébreux, ix, 22, sans effusion de sang, il n’y a pas de pardon. Cette expression favorise donc encore le sentiment de ceux qui voient dans la cène une participation véritable au véritable sang de Jésus immolé pour la rémission des péchés.

Après avoir ainsi donné le viii, Jésus ajouta, affirment les deux évangélistes : Je ne boirai plus du fruit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai nouveau dans le royaume de Dieu. Les préoccupations d’adieu, d’avenir brillant, ne sont donc pas absentes, mais elles sont à l’arrière-plan, et ce n’est pas par elles qu’on doit interpréter toutes les paroles et tous les gestes de Jésus à ce moment. Ainsi rapprochés du don de l’eucharistie, ces mots laissent entendre que la cène est le mémorial de sa mort, que le pain et le vin sont le gage du futur rendezvous et comme une promesse des bienfaits réservés aux disciples dans le royaume à venir.

On a essayé de voir dans cette déclaration un argument contre la présence réelle. Jésus dit qu’il ne boira plus du fruit de la vigne. Donc, après les mots : Ceci est mon sang, c’est encore du vin qui est dans la coupe. Il est aisé de répondre. Pour que.lésus à ce mome : il ait |)U dire : Je ne boirai plu-, du fruit de la vigne, il suffit que le contenu de la coupe soit en ai)parence du vin ; c’était du viii, d’ailleurs, une demi-minute auparavant. Li parole du Christ s’explique donc très aisément. Au reste, saint I.uc place cette déclaration du Seigneur avant les mots : Ceci est mon sang. On peut se demander si ce n’est pas lui qui a r.iison. Dans cette hypothèse, l’objection ne pourrait même pas être prési-iilée.

Les adversaires de la présence réelle ont souvent fait val’)ir un autre argtiment tiré de celle même paDie de.Jésus..1. Ré.ille 1 1 présente encore, op. cit., p. 111 : 1 Toute la description implique que.Jésus ma ige et boit avec ses disciples ; au ^. 29 de Matthieu, 25 de Marc, il dit : Je ne boirai plus désormais de ce prxluit de la vi.4 le jusqu’à l’avènement du royaume de Dieu. Si « i ce produit de la vigne, » c’est-à-dire le vin, est au ꝟ. 28 le sang de Jésus, il doit l’être aussi au t. 2’J. 0.1 abo.itirail ainsi à cette monstruosité que, d’après nos deux évangélistes, Jésus aurait mangé son propre corps et bu son))ropre sang. » lit J. Hévillc ajoute une objecti’in du même ordre. « Il est inadmi sible que Jésus, attablé avec ses disciples juifs, les ait invités à bDire du sang véritable, puisque rien n’était plus formellement interdit aux Juifs, et nous savons que les premiers chrétiens de Jérusak’m, y compris les apôtres, restèrent à cet é^ard soumis aux prescriptions de la loi juive. Les évangélistes, en tout cas l’auteur du premier Évangile, connaissaient parfaitement les prescriptions de la loi à cet égard. »

J. Réville suppose que Jésus a réellement bu à la coupe sur laquelle il avait prononcé les mots : Ceci est mon corps. Or, parmi les catholiques, comme parmi les critiques incroyants, la question est controversée. Goguel, op. cit., p. 81, se rencontre avec le R. P. I>agrange, op. cit., p. 356, pour afiirmer qu’on ne peut rien conclure du texte évangélique. Sans doute, au repas pascal, le maître de maison g tûtait au pain et au vin avant de les distribuer : mais saint Matthieu et saint Marc montrent dans les deux rites accomplis par Jésus des actes d’un caractère nouveau, dans les aliments distribués des mets qui ne sont plus seulement ceux de la Pâque antique : nous ignorons donc si Jésus y a participé. La réflexion eschatologique ne doit pas davantage être invoquée : peut-être sa vraie place estelie avant l’institution de l’eucharistie. Et pour que Jésus dise : Je ne boirai plus du fruit de la vigne, il n’est pas nécessaire qu’il porte au même moment la coupe à ses lèvres. S’il était établi qu’il a pris du pain et du viii, on ne pourrait rien en conclure. Saint Jean Chrysostome, saint Thomas d’Aquin et beaucoup d’autres grands chrétiens ont admis que Jésus avait mangé son corps, bu son sang. Le fait est mystérieux comme la présence réelle et ses conséquences, il ne l’est pas davantage. Et on ne saurait le taxer de monstruosité.

Inviter les disciples à boire du sang n’est pas davantage invraisemblable. C’était du vin qui, en apparence, leur était présenté. Ainsi, le préjugé du juif était ménagé. Toute répulsion lui était évitée. C’est sous une forme accessible, agréable, que le corps et le sang de Jésus étaient distribués. La chair ne devant pas être broyée, toute crainte d’antliropoph ; igie disparaissait. Les disciples se savænt auprès d’un Maître qui les avait maintes fois émerveillés, ils étaient habitués à le croire sur parole et à considérer comme licite ce qu’il leur conimandiit de faire. On comprend que saint Matthieu et saint Marc n’accusent chez les Douze aucun trouble, aucune hésitation, aucune répugnance. Quand, après de nombreuses années de fidélité à la loi, un.Juif se convertit au catholicisnu-, il n’éprouve aucune peine à communier.

En dehors du récit de la cène, on ne trouve chez saint Matthieu et chez saint Marc aucun enseignement précis sur l’eucharistie. Beaucoup de Pères, d’exégètes, d’écrivains catholiques ont vu dans les multiplications des pains par Jésus, Marc, vi, 3’) 14 ; VII, 1-10 ; Matth., xiv, 13-24 ; xv, 32-39, des figures du don de son corps et de son sang. C’est aussi la pensée de plusieurs critiques non croyants. Loisy, op. cit., 1. 1, 1). 937 ; Goguel, op. cit., p. 190. Il est permis de rapprocher cet épisode de la célébration de l’eucharistie, sans nier d’ailleurs la réalité hislorique du miracle. Jésus voulut-il, en accomplissant ce prodige, préparer les disciples à l’acceptation du pain de la cène ? Peut-être. Mais, comme le théologien ne sait pas d’une manière indiscutable à quelles circonstances précises de ce fait doit ître attribué un sens spirituel, la lecture de ces récits ne le renseigne)ias ou le renseigne peu sur l’eurharistie.

L’étude des textes de saint Matthieu et de saint Marc aboutit aux conclusions suivantes. Au cours de son dernier rejias avec ses disciples, dans lui festin probablement jiascal, mais par un geste tout particulier, Jésus donna aux disciples son corps à manger, sous les