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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ÉCRITURE

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pas possible, qu’ils entendent au sens littéral les mots : Ceci est mon corps.

Toutes ces explications seraient superflues, disent plusieurs critiques (Schœfer, Schmiedel) ; le mot est ne prouve rien, car Jésus qui parlait araméen n’a pas dû l’employer. Il a dit : Voici mon corps. Loisy, op. cit., t. II, p. 520. Si le fait était exact, avant d’avoir le droit d’en tirer une conclusion contre la présence réelle, il faudrait démontrer que les mots : Voici mon corps doivent s’entendre au sens figuré. Or cette locution, aussi bien que la phrase grecque : Ceci est mon corps, et pour les mêmes raisons, ne paraît pas pouvoir être entendue autrement qu’au sens littéral. Il faut aussi noter qu’en araméen la copule est peut très bien s’exprimer. En fait, la Peschito, la version syriaque sinaïtique et la curetonienne l’expriment (voir en particulier Peschito, Marc, xiv, 22, où l’idée est fortement marquée). Enfin le texte grec des Évangiles émane d’auteurs qui connaissaient l’araméen. Pour remonter à l’original et essayer de le reconstituer, le lecteur moderne est obligé de prendre pour point de départ de son travail la transposition qu’ils ont faite des mots prononcés par Jésus et il ne peut la rejeter que s’il démontre que la traduction a été un contresens : toute autre méthode serait arbitraire. Berning, op. cit., p. 99, 204-205.

La même expression, qu’il faut interpréter de la même manière, a été prononcée sur le vin. « Jésus prit une coupe, » disent les deux évangélistes. Elle contenait du viii, puisque, après l’avoir distribuée, le Christ affirme qu’il ne boira plus du jruil de la vigne. Landauer a démontré que les Juifs, avant le ixi’sièclene se servaient pas dans les repas religieux d’une coupe unique, mais que chacun avait la sienne. Monatsclirifl fiir Gottesdienst und kirchliche Kunsl, t. ix, p. 363. Cf. E. Mangenot, Les Évangiles synoptiques, Paris, 1911, p. 466-468. L’acte qu’accomplit ici Jésus se distinguait donc déjà d’une manière toute spéciale des rites d.’la Pâque et du kiddûs.

Saint Marc et saint Matthieu ajoutent que Jésus rendit grâces. Prononça-t-il une formule de remerciement semblable à celle qu’à la Pâque le père de famille récitait sur la première coupe : « Béni soit Dieu qui a créé le fruit de la vigne ? a Fit-il un appel spécial à la toute-puissance divine ? Lagrange, op. cit., p. 355. Prise en son sens propre, l’expression favorise plutôt le premier sentiment. Jésus donna la coupe et ils en burent tous, dit saint Marc. Le Maître les y avait positivement invités, selon saint Matthieu, en disant : Buvez-en tous. Ce dernier mot s’explique, « parce que d’ordinaire chacun avait sa coupe ou qu’on aurait pu la remplir dans l’intervalle. » Lagrange, op. cit., p. 355. Voir aussi Knabenbauer. Les théologiens catholiques ont conclu que le morcellement de ce qui était dans la coupe, c’est-à-dire du don divin, le partage du sang du Christ n’entraîne pas une diminution de ce don, une moindre participation pour chacun au sang de Jésus. Les deux évangélistes ne se préoccupaient pas du problème du mode de présence sacramentelle ; mais ils laissent entendre clairement que chacun des disciples reçut ce que Jésus voulait donner à tous, c’est-à-dire son sang. Et ainsi leur langage peut servir à démontrer que le partage du contenu de la coupe n’altère pas la réalité, l’intégrité du sang consommé.

Jésus dit d’après les deux premiers Synoptiques : Ceci est mon sang. Comme l’affirmation prononcée sur le pain, et pour les mêmes raisons, ces mots ne peuvent s’entendre qu’au sens littéral. Le contexte achève de le démontrer : Ceci est mon sang, celui de l’alliance, lit-on dans saint Matthieu et saint Marc. Beaucoup de manuscrits précisent et portent : de la nouvelle alliance. On peut admettre que cette épithète a été introduite sous l’influence des textes de saint Paul et de saint

Luc. « Ce n’est qu’une question de nuance et le texte de Marc et de Matthieu n’est jias moins expressif. Si le sang de Jésus est le sang de l’alliance, il va de soi qu’il s’agit d’une nouvelle alliance. » Lagrange, lac. cit. Cf. Batiffol, op. cit., p. 47, 55. ►* Loisy, op. cit., t. ii, p. 523, suppose qu’il est fait allusion ici à l’immolation de l’agneau jiascal ; les Israélites qui le mangèrent et marquèrent leurs portes de son sang échappèrent au fléau de la mort, « les fidèles qui communient au corps et au sang de Jésus dans l’eucharistie reçoivent le gage de la vie éternelle. » Cette allusion n’est peut-être pas étrangère à la pensée ici exprimée ; mais elle ne semble pas au premier plan : le sang de l’agneau pascal ne scellait aucune alliance. L’affirmation conservée par saint Matthieu et saint Marc rappelle d’une manière plus saisissante le récit de l’Exode, xxiv. Moïse fait immoler des taureaux en sacrifices d’actions de grâces, répand une moitié du sang ^ur l’autel, asperge de l’autre le peuple en disant : Voici le sang de l’alliance, ’lîo’j TÔ aili.7. TY) ; Siaf)r ; xr, ;, paroles qui coïncident avec l’affirmation : Ceci est mon sang, celui de l’alliance, Toùto £(jTiv TÔ aij.a ij.o-j TÔ xr.ç ôia6v/.o ;. Lorsqu’on admet la présence réelle, tout s’explique à merveille. Jésus verse son sang sur la croix et le communique aux Douze pour s’unir à eux désormais. Et si on donne au mot Sia6f|/.^ le sens de testament (voir Heb., ix, 16), Jésus, en disant : Ceci est mon sang, celui du testament, annoncerait sans doute sa mort, mais aussi l’effusion de son sang. Heb., ix, 18, 22. Il est facile d’ailleurs de passer d’une idée à l’autre. Voir Gal., m. 15, 18. Que l’on voie dans les mots rapportés par les deux évangélistes une allusion à l’agneau, la fondation d’une alliance, la rédaction d’un testament, il s’agit ici de sang, de vrai sang, du sang de Jisus auquel participe le peuple. Telle est non seulement l’opinion des interprètes catholiques, mais celle d’un grand nombre de critiques indépendants. Or, Jésus a invité à boire ce qu’il offrait, les disciples ont bu ce qu’il leur présentait. C’est donc bien son sang que, d’après saint Matthieu et saint Marc, il leur a donné.

Le mot qui suit oblige encore davantage à admettre cette idée. Ce que présente Jésus, c’est son sang répandu, ce n’est donc pas l’image, la figure de ce sang. J. Réville a repris une vieille objection tirée de ce terme. Le mot èy.yjwôaevov est un participe présent. « Jésus ne parle pas « de son sang qui va être répandu, » mais n de son sang qui est répandu. » Or à ce moment son sang coulait encore dans son corps ; il ne peut donc pas s’agir de ce sang. » Op. cit., p. 110-111. « Ce sang est répandu, au présent, représentant le futur, quant à la réalité des faits, » répond Lagrange. Op. ci/., p. 355. Il observe aussi que dès la cène >< cette effusion est envisagée comme un sacrifice, et c’est en qualité de sang versé que le sang de Jésus figure dans la coupe. » Dès cet instant, le sacrifice est consommé, l’alliance scellée, les paroles de Jésus constituent une anticipation mystique du sacrifice de la croix. Des théologiens ont même essayé de démontrer par cet emploi du présent que la cène était un sacrifice. Peut-être faut-il dire aussi que la proximité de ce repas et de la mort de Jésus autorise l’emploi du présent, qu’â/.yjvvoij.svov représente l’imparfait sémitique et peut se traduire par le futur, que les rédacteurs des deux premiers Évangiles, écrivant à une époque où la cène était en usage, ont été tentés de mettre au présent le verbe qu’employa le Christ.

Enfin pour réfuter J. Ré ville, il suffit de lire les deux mots qui suivent : Ceci est mon sang, celui de l’alliance répandu pour beaucoup. Si on les rapproche de ces affirmations des mêmes évangélistes : « Le Fils de l’homme est venu… donner sa vie pour la rédemption de beaucoup, Matth., xx, 28 ; le Fils de l’homme est