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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ÉCRITURE


Seigneur se réitéra d’elle-même, sans qu’un précepte positif l’imposât.

A. Andersen renchérit encore sur ces thèses et essaya de soutenir que l’idée de sacrement est introuvable dans la tradition des deux premiers siècles. Das Abendmahl in den zwei ersten Jahrhunderten nach Christus, Berlin, 1904 ; 2e édit., Giessen, 1906. Le texte primitif qu’on peut dégager des Synoptiques ne permet de voir dans la cène qu’un repas d’adieu et le souhait exprimé par le Christ de retrouver ses disciples dans le royaume ; rien ne fut institué par Jésus. Dans les premières communautés, il y avait une simple fraction du pain. Paul recommanda, en raison d’une vision, le i< repas du Seigneur » , repas cultuel, mais qui n’avait rien d’un sacrement : le pain représentait le corps du Christ, c’est-à-dire la société des fidèles. En le recevant, on s’unissait à la communauté ; en prenant le viii, le chrétien participait à la nouvelle alliance. Saint Jean, comme les Synoptiques, ne vit dans la cène qu’un repas d’adieu. De même, dans la Didaché, saint Ignace et saint Justin, il n’est parlé que de la fraction du pain et non d’un sacrement.

Goetz, Die heulige Abendmahlsfrage in ihrer geschichllichen Eniwickelung, Leipzig, 1904, après avoir exposé et classé toutes les théories des critiques, dresse le bilan des conclusions qui d’après lui s’en dégagent. La veille de sa mort, Jésus a dû faire quelque chose qui ressemblait d’une certaine manière à la cène. Au commencement du dernier repas, il aurait parlé de sa fin prochaine et du rendez-vous ultérieur. Puis, il aurait présenté aux disciples le pain et la coupe en disant : Voici ma chair et mon sang pour signifier qu’il voulait exercer sur leur vie spirituelle l’influence qu’exerce la nourriture sur la vie corporelle. Il n’a rien institué, il n’a pas donné l’ordre de répéter son geste symbolique. C’est Paul qui, dans une vision, a cru recevoir cette recommandation du Christ glorifié. C’est lui et saint Luc qui montrèrent dans l’eucharistie une représentation de la mort de Jésus considérée comme un sacrifice. C’est encore l’apôtre qui est responsable du rapprochement entre le rite chrétien et la fondation de l’alliance sinaïtique. Les usages et les vieilles idées juives facilitèrent la transformation du geste testamentaire de Jésus en une Pâque nouvelle abrogeant l’ancienne.

J. Réville, Les origines de l’eucharistie, Paris, 1908, remonte de saint Justin aux Synoptiques et cherche dans les données communes à tous les écrivains chrétiens la conception originelle de l’eucharistie. A la lumière de ces idées, il interprète les récits de l’institution et finalement extrait des Synoptiques ainsi étudiés le résidu qui représenterait la réalité historique. La cène a été le dernier repas que Jésus ait pris avec ses disciples, mais ni eux ni lui ne le savaient. Le Christ n’a donc pu ordonner qu’on la réitérât, il n’en a pas fait un mémorial de sa mort. Elle a été un repas pascal : il est donc vraisemblable qu’il y fût parlé dune alliance entre le Christ et ses disciples ainsi que de l’avènement prochain du royaume. Nous ignorons les paroles exactes prononcées par Jésus. Le pain devait être primitivement le corps de l’alliance, c’est-à<lire l’image sensible et matérielle de l’union du Sauveur et des disciples ; le sang faisait allusion soit à celui de l’agneau pascal, soit à celui du sacrifice du Sinaï. Dans les communautés primitives, la cône fut d’abord la continuation naturelle des repas que les disciples avaient l’habitude de prendre avec Jésus ; on remerciait Dieu des bienfaits reçus par le Sauveur, on romliait le pain en signe d’union et de communion, on afïlrniait la foi à l’avènement du royaume ; saint Paul, s’appuyant sur une tradition et.sur une révélation reçue du Seigneur, fil de ce repas un rite inslilué et ordonné par Jésus, destiné à commémorer sa mort

rédemptrice. L’apôtre reconnut dans le pain le symbole du corps mystique du Christ céleste ; dans le viii, celui du sang de l’alliance nouvelle qui se substitue à l’ancienne.

Loisy, Autour d’un petit livre, Paris, 1903, p. 236 sq. ; Les Évangiles synoptiques, Cefionds, 1907, t. ii, p.534 sq., croit que la dernière cène fut un repas ordinaire ou pascal au cours duquel Jésus distribua à ses disciples, comme il l’avait fait souvent pendant sa vie, le pain et le vin ; il n’y parla ni de son corps ni de son sang, mais, sentant que le dénouement était proche, il déclara qu’il ne mangerait et ne boirait plus avec les siens que dans le royaume où il leur donnait ainsi rendez-vous. Comment des paroles du Christ dériva le sacrement chrétien ? On ne le voit pas très clairement. On constate « par l’examen des récits de la résurrection que la foi au Christ ressuscité est intimement liée à la conception primitive de l’eucharistie. Jésus était déjà le Christ dans la gloire du royaume et en même temps il était avec les siens ; il y était surtout dans le repas commun qui rassemblait ses fidèles… C'était bien avec lui et en mémoire de lui que se tenait la réunion. Saint Paul n’a fait qu’interpréter le souvenir apostolique selon sa propre conception du Christ et du salut, de façon à voir dans le repas eucharistique, symbole effectif de l’union des fidèles dans le Christ toujours vivant, le mémorial du crucifié, de celui qui avait livré son corps, versé son sang pour le salut du monde. Ce doit être lui qui, le premier, a conçu et présenté la coutume chrétienne comme une institution fondée sur une volonté que Jésus aurait exprimée et figurée dans la dernière cène. » Paul attribuait sa conception à une révélation du Seigneur. Le quatrième Évangile ne veut rien savoir de cette institution et ne dit rien de cette volonté. L’eucharistie ne se remonte donc pas à une institution formelle de Jésus ; elle est née dans la communauté chrétienne, mais fut rattachie à un souvenir précis de la vie du Christ, celui du dernier repas qu’il prit avec ses disciples. Les Évangiles synoptiques, t. ii, p. 541.

M. Goguel, L’eucharistie, des origines à Justin Martyr, Paris, 1910, propose les conclusions suivantes, p. 282-291. Quand Jésus prévit l’imminence de la crise, il se mit à table avec ses disciples selon sa coutume. Comme d’habitude, il rompit le pain et bénit la coupe. « Voulant donner à ses amis un dernier enseignement, il se servit de ce qu’il avait devant lui pour leur faire comprendre par une image concrète et saisissante qu’il allait être séparé d’eux et que, quel que fût le sort qui l’attendait, il l’accepterait… comme voulu de Dieu. En disant : Ceci est mon corps, .Jésus dit à ses disciples : Je suis prêt à mourir pour vous comme j’ai vécu pour vous, afin de faire de vous des hommes qui se préparent à entrer dans le royaume. » Par la distribution de la coupe, il donnait aux siens rendezvous dans le royaume. Le Christ ne semble pas avoir pensé que son acte devait être répété. Dans la première communauté de Jérusalem, les disciples ont l’habitude de vivre en commun et de prendre ensemble leurs repas ; mais, au début, la mort de Jésus est un trop grand scandale pour qu’ils la méditent à cette occasion. Peu à peu, ils s’imaginent que la passion du Christ a été prédite par les prophètes, nécessaire pour le salut du monde. « Alors, il était naturel que, dans les repas communs des fidèles, on commémorât ce que Jésus avait fait et dit la dernière fois qu’il avait été à table avec ses disciples. De là on en vint tout naturellement à l’idée que le repas des fidèles était la commémoraison et la répétition de celui du Maître et qu’il en était ainsi en vertu d’un ordre exprès de Jésus. C’est sans^oute vers cette époque que la coupe fut introduite comme équivalent et doublet clu pain par suite d’une transformation de la coupe eschatologiquc pri-