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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ÉCRITURE


des disciples ? Avait-il le caractère de festin pascal ou celui d’une autre cérémonie juive, le kiddûs, par exemple ? Était-ce un banquet d’adieu ? Une anticipation du repas eschatologique ? La cène était-elle liée il la mort du Christ et comment ? La figurait-elle, de quelle manière ? Quelles paroles prononça Jésus et quel était leur sens ? Instituait-il quelque chose, professait-il un acte dont il désirait la réitération ? L’ordounait-il ? Les récits de la cène sont-ils authentiques ? Représentent-ils une tradition primitive ? Quelles sont leurs sources ? Ont-ils été remanies ? Dans quel rapport sont-ils entre eux ? Peut-on distinguer diverses conceptions progressives de ce que devint l’eucharistie ? Sous quelles influences se sont-elles formées ou ont-elles pu être acceptées ? Tels sont les principaux problèmes soulevés. On peut dire que toutes les solutions imaginables ont été proposées, discutées et rejetées.

Vouloir établir une bibliographie complète est inutile : un grand nombre d’écrits parus n’ayant, de l’aveu même des critiques non catholiques, aucune valeur. Pour faire connaître l’état de la question et les principales hypothèses émises, il faut signaler seulement les travaux les plus importants, ceux qui ont attiré davantage l’attention, ceux qui ont émis quelque idée nouvelle. Le lecteur français désire aussi prendre contact intime avec les ouvrages écrits en sa langue, capables plus que d’autres de former l’opinion en son pays. Il voudrait, afin de trouver un peu d’ordre dans cet exposé, pouvoir distinguer logiquement divers systèmes : eucharistieparabole, eucharistie escliatologique, eucharistie-alliance, eucharistie d’origine juive, eucharistie mythique, eucharistie agape ou festin fraternel. Mais beaucoup de critiques non catholiques croient retrouver dans la cène primitive ou dans les évolutions de l’eucharistie plusieurs de ces conceptions. Force est donc de suivre, à peu près, l’ordre chronologique. L’énumération pourra paraître fastidieuse. Mais elle prépare les discussions nécessaires. Déjà elle montre combien fragiles sont des hypothèses qui s’entrechoquent et se détruisent ; puis il n’est pas inutile de constater à quels hardis procédés recourent et à quelles excentriques conclusions aboutissent parfois certains Interprètes ; il n’est pas désagréable d’observer que, malgré leur talent, leur ingéniosité, leurs efforts, les critiques non catholiques n’ont rien pu construire de solide et de définitif, qu’après vingt ans de travail ininterrompu, ils ne sont pas mieux renseignés qu’au premier jour.

liarnack, dans l’ouvrage cité plus haut, soutint que les éléments primitifs de l’eucharistie avaient été le pain et l’eau. Si donc un changement de matière avait pu s’opérer aisément, c’est qu’à l’origine l’attention portail non sur les objets consommés, mais sur les actions accomplies. On voulait sanctifier l’opération la plus importante de la vie, la nutrition. Jésus vait lui-même rattaché l’idée de sa mort conçue comme un sacrifice aux éléments ordinaires de l’alimentation, appelés à nourrir par le pardon des péchés l’âme qui les reçoit en rendant grâce pour la passion du Sauveur.

Weiszàcker, Das aposlolische Zeitallcr der christlichen Kirchr, l-ribourg-en-Brisgau, 181>2, admit que Jésus, la veille de sa mort, dans un repas pascal, avait distribué à ses disciples le pain et le viii, prononcé des paroles mystérieuses, invité les Douze à répéter son geste. Ce faisant, le Seigneur n’instituait rien, mais proposait une parabole qu’il n’expliquait pas. Saint Paul interpréta le symbole : le pain est l’image du corps qui est l’Église dont Jésus est la tête, dont les fidèles sont les membres. Le vin représente le sang et par conséquent la mort du Christ. La pensée de l’apôtre correspond à celle ((u’avall Jésus, mais qu’il n’a pas exprimée.

DK.T. ru ; TIIKOI.. CATitor..

I Jûliclier, Zur Geschichte der Abendniahlsfcicr in der iillesten Kirche, Fribourg-en-Brisgau, 1892, écrit, lui aussi, que la dernière cène fut un enseignement symbolique. Des quatre témoins, seuls Matthieu et Marc représentent la vérité historique sans addition postérieure. Ils ne mentionnent pas l’ordre de réitérer le dernier repas. Donc, ce banquet n’était pas une institution, mais un festin d’adieu. La pensée de Jésus était tout entière fixée sur sa mort qu’il savait imminente et dont il voulait annoncer le caractère douloureux et fécond. Aimant les paraboles, profitant comme toujours des circonstances, recourant comme d’ordinaire à deux figures pour exprimer une vérité unique, il comparait à son corps qui devait être broyé le pain rompu, à son sang qui devait être répandu le vin versé. La bénédiction de la coupe présageait les bienfaits ! dont la mort serait la source. L’usage de réitérer la j cène, la croyance à un ordre donné par Jésus de la rcj produire naquirent de l’impression profonde que dut j laisser dans l’âme des disciples le repas suprême et du 1 travail spontané des intelligences chrétiennes, en un j temps où la religion très ardente fut plus que jamais I apte à idéaliser et à créer. Sous l’influence de saint ] Paul, la communion fut considérée moins comme une’commémoraison de la mort du Christ que comme un souvenir des bénédictions obtenues par son sacrifice. ! Spitta, -D/e î ; rc/iris// ; ’c/ ! e/i Traditionen iiber Ursprung’und Sinn desvbendmahIs, Gœttingue, 1893, exclut, au contraire, toute allusion à la passion de Jésus. Persuadé que le dernier repas du Christ n’eut pas lieu le 14 nisan, mais le 13, il dénia à la cène le caractère de repas pascal, fit tl’elle un banquet, précurseur du festin des derniers jours où, selon des traditions juives, le Messie lui-même devait être la nourriture des élus. A ce moment de son existence, Jésus n’est préoccupé que de l’achèvement de son œuvre et du triomphe prochain. Il se met par anticipation dans la posture de président du repas messianique, voitd’avance ses disciples mangeant et buvant avec lui dans le royaume futur, les invite à recevoir l’aliment qu’il leur servira plus tard, sa propre personne. Il n’ordomic donc pas de réitérer la cène. Sa mort et sa résurrection obligèrent à modifier le sens primitif de l’acte accompli. Dans des repas collectifs semblables à ceux des Juifs, on se remémora les paroles du ( ! hrist et l’institution naquit.

Brandt, la même année, ne fut pas moins hardi dans ses conclusions négatives. Les quatre récils de la cène sont plus ou moins altérés. Au repas d’adieu, Jésus a rompu le pain avec les siens pour exprimer l’idée de la connnuuion qui devait rapprocher les âmes dans les autres banquets de ses disciples. C’est Paul qui introduisit la coupe et conçut l’eucharistie en fonction de sa théorie de la valeur salutaire de la mort du Christ. Sa version influença les autres récils. La cène, institution et fête commémorative de la mort du Seigneur, est donc d’origine paulinicnne. Die cvangelische Geschichte und der i’rsprnng des Christentunis, Leipzig, 1893, p. 283 sq.

Percy Gardner, Tlic oiigin of Ihe Lord’s supper, Londres, 1893, s’écarta plus radicalement encore des données tr.Klilionnelles. Non seulement il refusa de faire remonter au Christ l’cucharislie chrélienne. mais il détacha la cône primitive du repas d’adieu de Jésus et la dériva, par l’intermédiaire de saint Paul, de rites païens. C’est l’apôtre qui aurait institué l’eucharistie, sans doute à Corinthe : il aurait christia-Tiisé ainsi les festins sacrés en usage dans les mj’stères d’ÉIeusis. Ileilmiiller, Taufe und Abrndmahl bci Paulus, Gœttingue, 1903, proposa une thèse semblable. I)’après saint Paul, la cène unit au Christ Sauveur et ressuscité ; le pain et le vin nourrissant ainsi le fidèle , surnaturelleinent parune efficacilé sacramentelle qui

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