Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.djvu/526

Cette page n’a pas encore été corrigée
1023
1024
EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ECRITURE


sur les prophéties ou figures qui annoncent la réprobation des Juifs, rien sur leurs anciennes infidélités, rien sur la vocation des nations, rien sur les espérances de conversion future d’une partie du peuple élu, rien sur l’incompréhensibilité du mystère de la prédestination.

Plus insoutenable encore est la prétention de ceux qui croient apercevoir dans le discours sur le pain de vie un désir de venger les fidèles des accusations d’anthropophagie portées contre eux, « une triomphante apologie contre les fausses idées et les grossières objections des Juifs ou des païens » sur l’eucharistie. Holtzniann, op. cit., t. ii, p. 502 ; Loisy, cp. cit., p. 465. D’abord, les calomnies sont constatées pour la première fois par saint Justin, donc bien après l’apparition du quatrième Évangile : nous ignorons si elles avaient cours dans le milieu où vivait saint Jean. L’intention apologétique ne se montre pas d’ailleurs : l’auteur serait très maladroit, s’il voulait détruire ce grief, caries expressions très dures dont il se sert, qu’il répète avec insistance sans les expliquer, sans les atténuer si ce n’est par une déclaration presque énigmatique (les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie), n’auraient pu qu’accréditer les soupçons et donner prise à la malignité publique. Nombreux sont les écrivains chrétiens qui ont dû combattre l’accusation des païens : leur langage est tout différent de celui du quatrième Évangile.

J. Réville suppose que c’est contre des objections d’une autre nature que lutterait saint Jean, mais toujours contre des objections de son milieu et non des contemporains de Jésus. « Dans les groupes chrétiens d’Asie, » « l’équation pain = chair, vin = sang du Christ » aurait existé, mais le sens et la valeur en auraient été « flottants » . Dans « ce milieu saturé d’idéalisme alexandrin et de docétisme, » certains disciples du Christ n’auraient pas admis cette doctrine, auraient protesté contre elle. Op. cit., p. 64. Le quatrième Évangile combattrait ces négations. C’est là une hypothèse gratuite. L’existence de ces adversaires de la présence réelle n’est pas prouvée, l’absence d’une doctrine certaine sur l’eucharistie dans ! le milieu où vivait l’auteur est ignorée de l’historien. Le lecteur du c. vi sait que Jésus parle à des Juifs, à I la foule galiléenne et que les objections ne sont pas t celles que pourraient faire des idéalistes docètes, mais 1 celles auxquelles pouvaient penser des Galiléens et i des Juifs. Aucun indice ne permet de croire que, derrière les Galiléens et les Juifs, l’évangéliste vise ses | contemporains. Et s’il le fait, pourquoi ne serait-ce pas avec des paroles qu’aurait réellement prononcées, dans son entretien avec des Juifs en chair et en os, le Christ historique ?

Si donc toute allusion à des faits, à des institutions, à des doctrines, à des erreurs qu’aurait ignorés Jésus et qui lui seraient postérieurs de cinquante ans et plus, ne peut être découverte dans le discours, on a tort de soutenir que ses afiirmations auraient été inintelligibles pour des paysans de Galilée, que l’entretien sur le pain de vie ne pouvait être compris de la foule à laquelle parle le Sauveur. J. Réville, op. cit., p. 05 ; Loisy, op. cit., p. 444, 447, 450, 469, etc. D’ailleurs, les catholiques ne prétendent pas que le langage de Jésus soit littéralement reproduit. L’auteur devait se borner, il avait pu oublier, il n’était obligé de dire que ce qui allait à son but. Écrivant pour des lecteurs qui connaissaient l’eucharistie et que les formules liturgiques avaient familiarisés de longue date avec les affirmations chrétiennes, l’évangéliste pouvait abréger, omettre des explications qui avaient été données aux Juifs, présenter les paroles de Jésus sous une forme qui ne compromettait pas l’exactitude de la pensée, mais qui n’était pas littéralement celle dont le Verbe

avait revêtu ses idées pour les exposer à la foule de Gapharnaiim. Le Seigneur pouvait aussi proposer sa doctrine en termes voilés et quelque peu énigmatiqucs ; ici, il se contente de promettre, l’avenir devra montrer avec une plus grande précision ce qu’il a voulu donner. Juifs et Galiléens, d’ailleurs, semblent avoir quelque peu compris les paroles de Jésus. Ils le prouvent par leurs objections et par leur défection ; objections qui ne sont pas invraisemblables sur leurs lèvres ; défection que l’Évangile n’avait aucun intérêt à inventer.

Arrivé au terme de cette discussion, nous avons le droit de conclure qu’aucun argument mis en avant par les critiques n’oblige à voir dans l’enseignement du c. VI des doctrines différentes de l’enseignement de Jésus. Et si, d’autre part, nous admettons ce que non seulement le théologien catholique admet, mais ce qui est historiquement démontré, l’origine johannique du quatrième Évangile, nous devons croire que saint Jean n’aurait pas osé prêter à son divin Maître des révélations aussi étranges, aussi graves, s’il n’avait pas été convaincu qu’elles émanaient de lui et si elles n’émanaient pas de lui, en réalité. Il n’aurait pu le faire sans être un imposteur.

II. Ce qu’a donné Jésus ; ce qu’ont cru recevoir LES premiers chrétiens. — 1° Histoirc du problème. — Dans l’antiquité, au moyen âge et jusqu’au xvie siècle, presque tous les catholiqHes croient que Jésus-Christ a institué l’eucharistie et entendent au sens littéral les paroles de la cène : quelques individus seuls font exception. Les Églises séparées d’Orient, toutes les confessions qui se disent chrétiennes — en dehors de quelques sectes — professent la même foi.

Ceux des protestants qui nièrent la présence réelle essayèrent de donner un sens figuré aux mots : Ceci est mon corps, ceci est mon sang. Déjà, Bellarmin comptait plus de cent systèmes d’interprétation : Ceci, aurait dit Jésus en se montrant, est mon corps. Ceci, le collège apostolique, est mon corps ; ceci est l’image de mon corps, l’image de ma passion, l’image des grâces que mérite ma mort, l’image de la nouvelle alliance, l’image de ma doctrine, l’image des bienfaits qu’on recevrait en mangeant ce pain s’il était mon corps, l’image de la société clwétienne, etc. De nos jours encore, certains protestants croient que l’eucharistie remonte à Jésus-Christ, mais qu’elle ne contient pas la chair du Sauveur.

Jusqu’au xixe siècle, l’institution du sacrement par Notre-Seigneur n’a guère été attaquée. Paulus la mit en doute, Gfriiser la nia, Strauss la déclara possible, mais affirma que les faits ne s’étaient pas passés comme les évangélistes les racontaient. Renan soumit les récits à un véritable travail d’escamotage. Pour enseigner qu’il était le pain nouveau dont l’humanité allait vivre — idée qui lui était chère — « Jésus disait à ses disciples : Je suis votre nourriture, phrase qui, tournée en style figuré, devenait : Ma chair est votre pain… Puis, à table, montrant l’aliment, il disait : Me voici ; tenant le pain : Ceci est mon corps ; tenant le vin : Ceci est mon sang ; toutes manières déparier qui étaient l’équivalent de : Je suis votre nourriture… Dans le dernier repas ainsi que dans beaucoup d’autres, Jésus pratiqua son rite mystérieux de la fraction du pain. » Vie de Jésus, 13^ édit., Paris, 1875, p. 312, 316-317, 399.

En 1891, un travail de Harnack, Brot und Wasser, die eucharistischen Elemenle bel Justin, dans Texte und Untersuchungen, nouvelle série, Leipzig, 1891, l. vii, 2, p. 115-144, marqua le début d’une nouvelle période de recherches. Depuis ce moment, « aucun problème d’histoire religieuse n’a suscité autant de li^Tes, de brochures, d’articles que celui-là. » Goguel, op. cit., p. 1. Ya-t-il eu un dernier repas solennel de Jésus et