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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ECRITURE


cliaristie est-elle le pain de vie, pourquoi unit-elle à Jésus ? L’évangéliste le répète, ne se lasse pas de l’affirmer : parce qu’elle est la chair du Christ. Et ici même, il le rappelle : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. » Cette locution : demeiiir en Jésus, vaut la peine d’être relevée. Quand, dans saint Jean, il est parlé de l’union au Christ par la foi. d’autres métaphores sont employées : on vient à lui, on est attiré à lui, v, 40 ; vii, 37, 39 ; vi, 35, 36, 44, 45, 05, 68 ; on le reçoit, i, 12. Au contraire, pour parler de l’union plus intime, plus personnelle, de l’habitation dans les hommes, il use du verbe demeurer, xiv, 23 ; XV, 4, 9 ; I Joa., ii, 6, 17. Or, l’eucliaristie a précisément pour effet d’introduire Jésus dans le fidèle. Peu acceptable s’il est destiné à signifier l’adhésion de l’esprit par la foi, le mot demeurer est très bien choisi pour exprimer la présence sacramentelle.

C’est encore la même conclusion qui se dégage de l’examen d’un terme nouveau employé au verset suivant : « Celui qui me mange…, dit Jésus, vivra par moi. » Il était déjà impossible de voir dans la locution « manger le pain de vie » l’équivalent de « se nourrir d’une doctrine ; » impossible de considérer les mots I. manger la chair du Christ » comme synonymes de (I croire à sa passion. » Mais ici, il n’est plus parlé de pain ni de cliair. « Celui qui me mange, » est-il dit. L’expression devient toujours plus choquante si elle est symbolique, plus facile à entendre s’il s’agit de l’eucharistie, aliment qui n’est pas du pain, chair qui n’est plus apparente, sacrement qui est la manducation de Jésus et de Jésus seulement.

Ji critique protestant a objecté l’emploi du participe présent Tpr/jvfov, 57. Celui qui vivra, dit Jésus, c’est littéralement « celui me mangeant » , donc, celui qui, d’une manière continuelle, ininterrompue, reçoit le Christ ; il ne s’agit pas de l’eucharistie, mais d’une communion spirituelle. B. Weiss, Das Johanncs Eunn<jelium, Gœttingue, 1893, p. 270. Cette subtilité est irrecevable. Conçoit-on un être qui mangerait toujours, fût-ce métaphoriquement ? Et si oui, est-ce à lui que pense Jésus ? Nullement, aucun autre passage ne le montre. Il parle ici de nourriture, de chair, de pain, parce que c’est la nourriture, la chair, le pain qui donnent la vie. Mais une manducation intermittente suflit à l’assurer. Le Sauveur prend l’opération de manger telle qu’elle se réalise : d’ordinaire, c’est ù des intervalles distincts qu’elle s’accomplit ; la vie qu’elle donne n’en est pas moins continue. Il en est de même du sacrement. L’objection de B. Weiss oblige à remar(i.icr le parfait parallélisme qui existe entre l’aliment matériel et l’eucharistie.

C’est l’idée que met pleinement en lumière le dernier développement du discours sur le pain de vie. Pour ceux qui y voient une promesse de la cène, le sens est clair. Précédemment, Jésus a affirmé qu’il fallait manger sa chair. Mainleminl, il rend raison de ce précepte : elle est une nourriture cl, en cette qualité, elle entretient la santé, (^eux qui la mangeront introduiront Jésus en eux, et inévitablement recevront de lui la vie, la vie éternelle, la garantie de la résurrection ; ils vivront par lui comme il vit par le Père, car il sera en eux, comme le Père est en lui, 57. Ainsi, l’interprétation littérale admise, tout s’cxplifiue, s’enchaîne, se comiilète. La pensée atteint ici son maximum de clarté, le développement s’achève de la manière attendue, le discours se termine dignement. Si, au contraire, on entend ces paroles de la foi ou de la passion seulement, le dernier mot est une dernière énigme : » De même que le Père qui est vivant m’a envoyé et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mange vit par moi, » 57. Le l’ère n’est pas uni au F-’ik imifiuement parce que le I-’ils croit en lui, le Père n’est pas mort pour le l’ils..Mais, d’après

le quatrième Évangile, Jésus était dans le sein du Père, auprès de lui ; le Père est en lui ; il est dans le Père. S’il est impossible d’admettre que Jésus promet au communiant une circuminsession identique ; du moins, pour que les paroles ne soient pas vidées de tout leur contenu, est-on obligé de penser qu’il s’annonce comme devant demeurer dans ses fidèles pour leur donner la vie. Lorsqu’on veut tout entendre de la foi, nourriture de l’âme, on s’expose à accomplir de véritables tours de force pour maîtriser le texte et obliger chaque aspect de la métaphore à avoir un sens. Enfin, l’explication communément admise par les catholiques olïre un dernier avantage : elle relie à saint Jean la tradition d’Asie : saint Ignace d’Antioche et saint Justin insistent eux aussi sur l’idée de la chair du (Christ, gage de résurrection.

BatilTol, tout en appliquant à l’eucharistie ces dernières phrases du discours, les entend d’une manière particulière. La vie éternelle, la plénitude de vie sont les fruits de l’eucharistie, mais à titre d’cfl’et de la foi du communiant, foi qui a son « point culminant » dans ce sacrement. « La communion est considérée ici par saint Jean comme une manifestation de la foi du fidèle. « Voilà pourquoi il lui reconnaît une efficacité qui ne différe pas de l’eflicacité de la foi. Op. eit.. ]). 99. Cette interprétation un peu subtile, qui ne rend pas raison d’une partie du texte (la comparaison entre le Père et le Fils d’une part, enti’e Jésus et les communiants d’autre part) et qui, en reportant la pensée vers la foi dont il n’a plus été parlé depuis quelque temps, risque d’interrompre la marche progressive du discours, ne semble pas s’imposer. Sans doute, le Sauveur, dans le quatrième Évangile, i, 12, donne le pouvoir de devenir enfants de Dieu à tous ceux qui croient en son nom ; il affirme que « celui qui croit en lui a la vie éternelle, » vi, 40. Mais précisément il a institué des moyens pour la communiquer : l’eau du baptême et le sang de l’eucharistie découlent de lui pour faire passer dans le fidèle cette nouvelle génération et cette vie. De même que « renaître de l’eau et de l’esprit » , c’est « entrer dans le royaume de Dieu, » iii, 5 ; de même manger la chair de Jésus introduit dans l’âme une nourriture céleste et vivifiante, la personne même du Sauveur. Seule, cette interprétation nous paraît expliquer toute la pensée, toutes les cxpressions du Christ, s’accorder pleinement avec l’esprit du ({uatriéine Évangile et l’antique conception des Pères asiates. La conception de -Mgr BatilTol, d’ailleurs, fait place à l’eucharislie.

l’our ne pas être obligé de la reconnaître, en ce morceau, certains protestants faisaient autrefois ce raisonnement : D’après Jésus, celui qui mange sa chair et ((ui demeure en lui a la vie éternelle. Or, parmi les communiants, il en est qui jièchent et qui n’iront pas au ciel. Le discours du Sauveur ne s’applique donc pas à l’eucharistie. On a répondu qu’eiitendre ce morceau au sens figuré ne supprime pas la difficulté. Il y a des croyants chez qui Jésus ne demeure jias et qui n’obtiendront pas la résurrection glorieuse. Quand quelqu’un, homme ou Dieu, dans l’Écriture ou ailleurs, fait une promesse, il s’engage, mais il n’est tenu évidemment de respecter sa parole que si les conditions requises par lui ou de droit naturel sont remplies..lésus a dit : <i Quiconque demande, reçoit ; » « (^elui qui croira et qui aura été baptisé sera sauvé ; » il a annexé à l’aumône le pardon des péchés. Pourtant la prière. la foi, la charité ne iiroduisent pas nécessairement, infailliblement ces elTets ; elles peuvent toujours les produire, mais il faut que le sujet n’oppose pas d’obstacle à leur elTlcacité, prie, croie, donne comme Dieu le veut. Il en est ainsi de l’eucharistie, elle a la vertu de vivifier tout homme qui la reçoit ;