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et d’assistance, la réalisation de ce vœu de la nature : car, on le comprendra facilement, la famille, ou même les familles groupées en associations particulières ne sauraient que dans une mesure restreinte et imparfaite pourvoir à cette obligation que la nature leur impose, touchant la conservation de la race humaine. Donc, à ce nouveau titre, tiré non plus seulement des exigences de la vie physique individuelle, mais de l’intérêt même du genre humain, la société civile apparaît une société nécessaire et obligatoire.

Le second motif sur lequel s’appuie le caractère nécessaire et obligatoire de l’État regarde le développement de l’intelligence et l’éducation de la volonté qui ne peuvent atteindre leur perfection normale sans le concours de la société civile. En elTet, sans aller jusqu’à dire avec les traditionalistes qu’aucune évolution de l’intelligence n’est possible sans le concours de la société, il faut cependant reconnaître que le perfectionnement normal des facultés et de l’esprit nécessite l’existence d’une institution sociale stable et perpétuelle, telle que la société civile qui, avec sou patrimoine de sciences et d’arts et aussi avec tous les moyens matériels que suppose le maintien de la vie, aide puissamment à ce but. Or, ce développement des facultés intellectuelles est rendu oljhgatoire par la loi naturelle, sinon pour ciiaque individu en particulier, au moins pour l’ensemble de l’Iuimanite ; car Dieu ne peut avoir concédé à la nature humaine des facultés qui ne soient pas ordonnées à leur évolution normale ; donc la société civile, qui est elle-même un moyen indispensalile pour que cette fin soit convenablement réalisée, se trouve également rendue obligatoire et nécessaire. Or, ce que nous venons de dire des facultés de l’esprit s’applique pareillement aux facultés morales de l’âme ; et l’éducation normale de la volonté réclame au même titre le concours de la société civile, qui, avec son système de récompenses et d’asslslance en faveur de la vertu, et son système de pénalités et de coercitions contre le vice et les actions criminelles, contribue eflicacement, et mieux que ne saurait le faire la famille, à entretenir et à déve ! o[)per dans l’humanité le sentiment moral d’où dépend la perfectioii des facultés de l’âme. C’est ce qu’exprime excellemment le pape Léon XIII dans l’encyclique Immortule Dei : « Par nature, l’homme est fait pour vivre dans la société civile. En ellet, dans l’état d’isolement, il ne peut ni se procurer les objets nécessaires au maintien de son existence, ni acciuérir la perfection des facultés de l’esprit et de celles de l’âme. Aussi a-t-il été pourvu par la divine providence à ce que les hommes fussent appelés à former non seulement la société domestique, mais la société civile, laquelle, seule, peut fournir les moyens indispen : iables pour consommer la perfection de la vie présente. »

Enfin, une troisième raison de la nécessité de la société civile se tire de la réglementation et de la protection des droits des individus, (lar, pour que leurs droits puissent s’exercer librement, sans exagération et sans violence, les individus ont besoin du concours et de l’intervention de la société civile, dont l’autorité suprême définisse les responsabilités juridiques, jui ; e les différcnds, punisse les délits et prévienne les injustices par une sage réglementation aidée d’un pouvoir de coercition. Cf. Cavagnis, op. cit., ]>. 21.’) sq. ; Ch. Antoine, Cours d’économie sociale, Paris, 1890, p..’17 sft.

3. L’Etat est une société juridique. One l’État ne puisse être une société))ureinent amicale dont le principe d’unité et de cohésion (lépende de la volonté libre et spontanée des membres et établisse entre eux un lien <le simple fidélité, sans aucune sanction juridique, la chose a à peine besoin d’être démontrée. Il est nécessaire, en effet. que le lien unissant entre eux les membres de la société civile soit une véritable

obligation de justice, et que le principe ile cette unité sociale soit une autorité proprement dite, munie de tous les pouvoirs de direction et de coercition que réclame la fin sociale : en un mot, l’État doit être une société, juridique. Car, s’il en était autrement, aucune des exigences sociales que nous avons expliquées plus haut et sur lesquelles se base la nécessité de la société civile, ne pourrait être convenablement satisfaite. IVIais nous allons plus loin et nous disons que cette société juridique est, en outre, une société parfaite.

4. L’État est une société parjaile. La perfection ou l’imijcrfection juridique d’une société doit, d’après la nature des choses, ressortir de la fin sociale elle-même. Mais celle-ci peut être constituée par un bien qui soit, ou complet et parfait dans son genre, c’est-à-dire un bien universel et indépendant, ou, au contraire, incomplet et imparfait dans son genre, c’est-à-dire un bien partiel, compris dans lui plus grand bien de même nature. Dans le premier cas, la société est dite universelle et se suffisant à [elle-même pour tout ce qui regarde son ordre propre, de manière qu’elle se ti’ouve directement, ou de par sa nature, indépendante de toute autre société, si excellente soit-elle : c’est la société parfaite. Dans le second cas, la société est dite partielle et incomplète, en sorte qu’elle se trouve, directement ou de par sa nature, subordonnée à une autre société supérieure, homogène : c’est la société imparfaite.]

Or, si nous faisons rajiplication de ces principes à l’État, il nous faut conclure, sans aucun doute, qu’il est lui-même une société parfaite et universelle dans son ordre, c’est-à-dire dans l’ordre matériel et politique. Car la fin de l’État, ainsi que nous l’avons’u, ne consiste pas seulement dans un bien partiel et incomplet de l’ordre temporel, mais comprend l’ensemble de tous les biens qui se rapportent à cet ordre et cjui peuvent contribuer à la plénitude du bonheur temporel. Dans cet ordre temporel et matériel, l’État est la plus haute raison sociale, ou l’unique société universelle, et il n’existe aucune autre société qui ne lui soit rapportée, comme la partie est rapportée au tout.

En outre, l’État se suffît pleinement à lui-même dans son ordre propre. et il possède tous les moyens quc peut exiger la réalisation de sa fin sociale. Toutefois, il convient d’observer que si une société jiarfaite doit avoir à sa disposition tous les moyens sufiisants pour sa propre fin, « il est nécessaire qu’elle iiossède (iclucllemenl, ou en fait, les moyens seulement sans lesquels elle ne jiourrait pas conserver son existence ni atteindre sa jiroprc fin ; quant aux moyens qui, l)ar leur nature, se rapjiortent à im autre ordre et à la fin d’une société d’un autre genre, il suffît qu’elle les possède virtuellement, ou en droit, c’est-à-dire qu’elle puisse les requérir auprès de la société compétente, dans la mesure où ils lui sont nécessaires. ! » E. Valton, Droit.social, p. 12 sq. Aussi bien l’État, en sa qualité de société parfaite, possède-t-il. en fait, tous les moyens matériels et tenqiorels que peut exiger sa fin ; quant aux biens de l’ordre spirituel et surnaturel que la société religieuse ou l’Église tient de sa mission, l’État a également le droit d’en solliciter le concours dans les cas nécessaires, de même que l’Église, société parfaile, peut réclamer, dans la mesure de ses besoins, le concours matériel de l’État. Mais, faisons le déjà remarquer, ce droit de l’État touchant le concours spirituel de l’Église n’est pas rigoureux et strict connue le droit de l’Église touchant le concours matériel de l’État : « En elTet, l’État, qu<)ique société parfaite et indépendante, est d’un ordre inférieur à celui de l’Église ; aussi bien appartient-il à l’Eglise, société supérieure, de délemiiner