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ESSENCE


sence répond à la question quid csl ? Aussi l’appellet -on qiiiddiias ou encore quod quid erai esse rei. Au point de vue de la réalité objective, ce sera la res ipsa, S. Thomas, In IV Sent., 1. II, dist. XXXVII, q. i, a. 1 ; ou encore, parce que nous la considérons comme reçue dans un individu, on l’appellera forma, comme si elle n’était qu’une partie de cet individu, la partie formelle et perfective, De spir. créai., q. ii, a. 2 ; à cette réalité objective correspondent les concepts de definilio rei, ratio rei. Si on l’envisage comme principe d’action, elle prend le nom de naturel. S. Thomas, De enle et essentia, c. i.

II. Point de vue philosophique.

I. essexces i’o>- : iBi.ES. — Entre le néant et l’être réel, il y a place pour l’être possible. De là, la nécessité de poser le problème philosophique des essences possibles. Cn le résumera ici très brièvement, et dans la mesure où il peut servir à la théologie.

Une essence est dite possible, lorsqu’elle est apte à l’exislenee ; cette aptitude est double, intrinsèque ou extrinsèque ; intrinsèque ou absolue, lorsqu’en elle-même elle ne renferme aucune répugnance dans ses éléments, Sum. Iheol., <, q. xxv, a. 3 ; extrinsèque ou rclatie, par rapport à la cause capable de la réaliser secundum aliquani potentiam, dit saint Thomas. Ibid., ad 4’"". Si cette cause est Dieu, la chose à réaliser est mélaphysiquement possible ; si cette chose ne dépasse pas l’cfïet propre à une cause seconde d’ordre physique, elle est physiquement possible ; s’il vient s’ajouter à cette possibilité des raisons d’ordre moral qui faciUtent sa réalisation, elle est moralement possible. Ce fut l’erreur de Descartes de n’attribuer aux essences possibles qu’une possibilité extrinsèque, dépendant de la volonté de Dieu. Voir Descartes, t. iv, col. 546. Cette erreur fut également le fait de Sylvestre Maurus, Quæstiones pliilosophicæ, t. i, q. xlvii, et, avant lui, de Henri de Gand, cité et réfuté par Scot. In IV Sent., 1. I, dist. XLIII.

Quel est 1’« être » de cette essence, possible intrinsèquement en même temps qu’extrinsèquement ? Il y a, sur ce point, deux courants dans la philosophie chrétienne, justifiés par des préoccupations théolofiiques relatives à la science divine. Voir ce mot. Les uns attribuent aux possibles une existence en dehors de Dieu, les autres nient absolument qu’il puisse en être ainsi. La première thèse comporte des nuances. Avec Henri de Gand, cité par Scot, les possibles ont un être actuel d’essence, par opposition ù l’être actuel d’existence. Scot, In IV Sent., 1. I, dist. XXXVI, combat cette opinion et lui substitue, loc. cit., n. 16, la théorie de l’esse diminutum. Cet être diminué ne possède aucune actualité d’essence ou d’existence, c’est le terme intelligible de la connaissance divine, distinct de rintclligencc de Dieu et produit par elle. La théorie d’Henri de Gand est une erreur formelle renouvelée des conceptions platoniciennes : elle détruit le concept intégral de la création, qui suppose les idées de toutes choses préexistant dans l’intelligence créatrice, voir Chéation, t. iii, col. 20.36, mais qui ne supporte pas la préexistence, sous quelque forme que ce soit, des essences créées, en dehors de Dieu. Celle de Duns Scot est susceptible dune interprétation bénigne, si le terme de la connaissance divine n’est pas conçu comme réellement distinct de l’intelligence de Dieu. Voir Duns Scot, t. IV, col. 1879. Une troisième forme de cette même thèse a été reprise par certains partisans de la science moyenne qui, ne voulant pas faire dépendre de Dieu la détermination des possibles et des fuluribles, et, par là, pensant sauvegarder la liberté humaine, envisagèrent ces possibles et fuluribles comme existant in seipsis. Ils sont ainsi, en eux-mêmes, le moyen de la connaissance divine. Les uns, avec

DICT. DE THÉOI, . CATIIOI, .

Vasquez, disp. LX, c. ii, 3, vont jusqu’à dire que Dieu ne peut les connaître autrement ; les autres, avec Suarez, De divina substantia, . III, c. ii ; et Mctaph., disp. XXX, sect. xv, comprenant le danger d’une j pareille théorie, accordent que Dieu les voit et en eux-mêmes et dans son essence.

Le molinisme n’est pas lié à cette thèse, pleine d’obscurité, et qui ne parvient pas à expliquer ce que sont, indépendamment de l’essence divine, les essences possibles in seipsis. Molina, In Sum., I-’, q. xiv, a. 5, 6, et Lessius, De pcrf. div., 1. VI, c. i, n. 4, reconnaissent explicitement que la formule donnée par saint Thomas, Sum. theoL, I’, q. xiv, a. 5, est la seule bonne. Les thomistes tiennent unanimement, avec le docteur angclique, que les essences possibles dépendent fondamentalement de l’essence divine considérée en elle-même, et formellement de l’intelligence divine concevant cette essence comme imitable ad extra. L’essence divine étant l’être subsistant par soi, et d’où dérive tout autre être, est le fondement, ou, si l’on veut, la cause exemplaire, voir Cp.éatiox, t. iii, col. 2085, virtuelle et radicale de toutes choses. L’intelligence divine donne les formes particulières à ce fondement et devient ainsi, par les idées archétypes, l’exemplaire formel et immédiat de toutes les essences possibles. Voir Création, t. iii, col. 2155. II. EssESCES nÉEiJ.Es. — Dans les essences réelles, il faut considérer d’abord l’essence incréée, ensuite l’essence créée. Le terme d’essence est employé ici analogiquement : l’essence incréée a l’existence par elle-même ; l’essence créée ne la possède que par participation.

1° L’essence incréée a déjà été envisagée ici à plusieurs reprises. Voir, en particulier, Aséité, t. i, col. 2077 ; Attributs divins, t. i, col. 2223, et surtout. Dieu, sa nature d’après la Bible, t. iv, col. 948 ; sa nature d’après les Pères, col. 1023 ; sa nature d’après les scolastiqucs, col. 1152. On n’insistera cependant jamais assez sur ce point, c’est que l’essence de Dieu est d’exister. C’est cette vérité sublime que Dieu révéla à Moïse au pied de l’Horeb. Exod., iii, 2-15. Cf. S. Thomas, Cont. ijent., 1. I, c. xxii. En Dieu, non seulement l’essence est identique à l’existence, mais le concept d’essence renferme l’existence : il est l’esse subsistens. Voir del Prado, La vérité fondamentale de la philosophie chrétienne, dans la Revue thomiste, 1910, p. 209. Cette vérité fondamentale justifie la manière de parler des tliéologiens : Deus est sua essentia ; Deus est suum esse ; Deus est esse per esscntiam, S. Thomas, Quodl., H, a. 3 ; Deus est actus purissinuis. Elle est le dernier concept auquel nous puissions nous arrêter cn scrutant l’essence divine, autant que notre intelligence peut le faire. Et voilà pourquoi l’esse subsistens semble être, d’après saint Thomas lui-même, le « constitutif métaphysique » de l’essence divine, voir Sum. theol., I » , q. iv, a. 2, ad 3°’" ; q. xiii, a. Il ; In Sent., 1. I, dist. VIII, q. i, a. 1, 8 ; De poientia, q. vil, a. 2, ad 9°’", moins bien dénommé 1’« attribut primaire » de Dieu. Cf. Pctau, Theolog. dogm. De Deo Deique proprictatibus, I. I, c. vi. On a vii, t. i, col. 2228 sq., les opinions de l’école nominaliste, de l’école scotiste et de certains thomistes à ce sujet. On ne peut nier cependant que l’opinion de Gonct et de Billuart, plaçant l’essence métaphysique de Dieu dans l’intellectualilé divine acluelic, se rapproche davantage de la conception aristotélicienne. Voir Ravaisson, Essai sur la Mélaphi/siquc d’Arislote, Paris, 1837, t. i, part. III, I. 111. c. iii, p. 581.

Ce fut l’erreur de Gilbert de la Porrée et de ceux qui le suivirent de considérer l’essence divine comme une forme distincte de l’être de Dieu. Voir Dieu, t. iv, col. 1116 ; Asfiifft, t. i, col. 1238. La doctrine catholique csl enseignée par le concile de Hcims, 1148,

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