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dit Fénelon, qu’on n’a jamais eu d’autre idée de l’intérêt propre, que celle d’une cupidité ou amour particulier de nous-mêmes, par lequel nous nous désirons le bien autrement qu’à notre prochain, en sorte que cet amour ne vient point du pur zèle pour la gloire de Dieu, mais qu’il est tout au plus soumis à l’ordre ? C’est ce que saint Bernard nomme cupidité soumise, ciipiditas qiiie a snpervenienle carilale ordinatur. «  Vingt questions proposées à M. de Mcaiix, n. 3, t. ii, p. 275 ; cf. n. 15-19. Cette « cupidité soumise » fournit aussi des corrections et additions à la seconde édition du livre des Maximes. Voir Chérel, op. cit., p. 35.

Mais bientôt, le système reçoit son plein développement dans l’Instruction pastorale de l’archevêque de Cambrai sur le livre intitulé : Explication des maximes des saints. Aussi, Bossuet l’appelle-t-il « le nouveau système de l’Instruction pastorale. » Le mot de « cupidité soumise » y est remplacé par l’expression plus claire d’« amour naturel de soi » . On entend par là un acte « délibéré » , tendant à 1’« intérêt propre , imparfait, quoique « innocent » et licite, « affection mercenaire > et « espérance naturelle » , mélangée aux actes surnaturels d’espérance, sans les altérer en eux-mêmes, mais non sans diminuer la perfection de la volonté. " Cet amour naturel dont je parle, est bon quand il est réglé par la droite raison et conforme à l’ordre. Il est néanmoins une imperfection dans les chrétiens, quoiqu’il soit réglé par l’ordre, ou pour mieux dire, c’est une moindre perfection, parce qu’elle demeure dans l’ordre naturel et inférieur au surnaturel. > Inslr. pastorale, n. 3, t. ii, p. 289. « Cette affection mercenaire, sans entrer ni influer positivement dans ces actes surnaturels, diminue la perfection de la volonté, " n. G. « Les justes mercenaires, dont parlent les Pères, ont deux espérances : la surnaturelle, sans laquelle ils ne seraient pas justes ; et la naturelle, qui les rend encore mercenaires, lorsqu’elle agit fréquemment en eux, au lieu qu’elle n’agit plus d’ordinaire dans les justes parfaits, que les Pères nomment les enfants, » n. 30, p. 304. Fénelon pensait ainsi tout concilier : d’une part, laisser au commun des fidèles le motif intéressé, puisqu’il est légitime et nécessaire pour les soutenir ; de l’autre, éliminer de chez les parfaits la tendance intéressée, élimination plus acceptable dès lors qu’il s’agit d’un acte libre, sur lequel la volonté a prise, et d’un acte naturel qui ne tombe pas sous le précepte divin de l’espérance surnaturelle.

Inconvénients du 4° système.
a) Par le fait qu’il enlève à l’espérance surnaturelle toute recherche de l’intérêt propre, même réglée et légitime, il attaque la notion commune de l’espérance théologale, telle que l’ont donnée saint Anselme, saint Bernard, saint Thomas, saint François de Sales et les théologiens, comme le montre, au long, Bossuet dans sa Préface sur l’instruction pastorale donnée à Cambrai, Œuvres, t. XIX. —
b) Par ce nouveau système, Fénelon se prive d’une explication et d’une atténuation qui lui avait souvent servi de réponse aux critiques. Je ne dispense pas les parfaits, disait-il, de tout acte d’espérance intéressée, je parle d’un état de pur amour qui soit « habituel, mais non variable » , qui admette des exceptions au désintéressement absolu, surtout dans certaines tentations où il est bon de recourir au motif intéressé de l’espérance et de la crainte. Fort bien, mais maintenant que l’acte intéressé est devenu purement naturel, qu’il n’accomplit pas le précepte de l’espérance et reste en dehors de tout mérite, pourquoi les parfaits s’y croiraient ils obligés, pourquoi ne chcrchcraicnt-ils pas à l’éliminer absolument, et à se fixer dans un état invariable de pur amour ?
c) Ce quatrième système ressemble au premier en ce qu’il admet deux espérances. Voir col. 665..Mais s’il évite certains inconvénients du premier, c’est pour tomber dans un pire, dans un rigorisme d’autant plus fâcheux qu’il atteint non seulement les parfaits, mais encore tous les fidèles. Tandis que le premier système admettait deux espérances surnaturelles et conduisant au salut, l’une désintéressée à l’usage des parfaits, l’autre intéressée à l’usage du commun des fidèles, qui pouvaient ainsi plus facilement accomplir le précepte divin et produire l’acte surnaturel d’espérance, nécessaire à la justification et au salut, le quatrième relègue l’espérance intéressée parmi les actes purement naturels, qui ne peuvent servir ni de mérite pour le juste, ni de disposition à la justification pour le pécheur. Il faudra donc que tous les pécheurs, au tribunal de la pénitence, quand ils voudront joindre à l’atlrition cette spes venise que demande le concile de Trente, passent par une espérance désintéressée qui leur est bien plus difficile et qui leur enlève ainsi le bénéfice de l’attrition. Voir Attritiox. Quant aux justes ordinaires, qui espèrent la béatitude dans leur propre intérêt et non pour la gloire de Dieu, comme il arrive parmi les chrétiens, ils n’auront, par un tel acte, aucun mérite pour le ciel. C’est restreindre beaucoup la possibilité du mérite et même du salut, pour le commun des fidèles. Un théologien a-t-il le droit de faire de telles restrictions en vertu de sa propre autorité ?

Ici, Fénelon tâche de renforcer son autorité par celle des Pères. Ce n’est pas qu’il puisse trouver expressément chez l’un d’eux son » amour naturel » ; mais il tâche de montrer qu’ils ont dû avoir cette idée. Le point de départ de son raisonnement, c’est la doctrine des grands docteurs cappadociens, suivie par d’autres Pères, il sur les esclaves, les mercenaires et les fils > Voir col. 649. Fénelon cherche à prouver que ces Pères ont voulu, comme lui, éliminer de la catégorie la plus parfaite (les « fils » ) cet « amour naturel » dont, par suite, ils admettent ailleurs l’existence. Et la preuve, c’est qu’ils n’ont pu vouloir éliminer autre chose. Citons un ou deux exemples de ce raisonnement vingt fois répété : ce qui est exclu par les Pères « comme une imperfection, ne peut venir de la grâce et du Saint-Esprit : donc il est naturel. » Inslruct. pastorcdc, n. 41, t. II. p. 313. C’est supposer faussement qu’il ne peut y avoir d’acte surnaturel imparfait, que la g race mpeut rien faire d’imparfait ; ce que Bossuet réfute ainsi : ’Si ce qui vient de la grâce n’a rien d’imparfait, donc la crainte de la peine n’est pas imparfaite, ou la grâce ne la fait pas. Si l’atlacliement qu’on exclut à litre d’imperfection n’est pas du Saint-Esprit, donc cette crainte, que l’on bannit quand on est parfait, I Joa., IV, 18, ne vient pas de son impulsion, contre la définition expresse du concile de Trente (voir col. 608) ; donc la grâce ne fait pas les commencements à cause qu’ils sont imparfaits, et il n’est plus de la foi qu’elle fait tout jusqu’à la première pensée… ; donc, tout ce qui se dissipe comme imparfait dans la perfection de la vie future, I Cor., xiii, 10, n’est pas de Dieu (surnaturellement) : la foi n’en est pas, non plus que l’espérance. On oublie jusqu’aux premiers principes de la théologie. » Préface sur /’(/ix/n/clion pastorale, n. 74, t. xix, p. 239. — Fénelon disait encore : En quoi consiste cette affection imparfaite et retranchée (par les Pères) ? Encore une fois, ce ne peut être l’espérance surnaturelle… Ce ne peut point aussi être la fréquence des actes d’espérance ; car le fréquent exercice d’une vertu théologale ne peut jamais être une imperfection… Ce qui est retranché ne peut donc être qu’un désir naturel, humain et délibéré de la béatitude, qu’une affection mercenaire ou intéressée, qui loin d’entrer dans l’acte d’espérance surnaturelle, et de lui être essentielle, ne fait au contraire qu’en diminuer la perfection dans une