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ESPERANCE

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Ocschichle der Philosophie des MiUelaUersvu docteur 15aeuniker, t. vi, p. 59 sq. Voilà donc une exagération il’Abélard en faveur de l’amour désintéressé.

Hugues de Saint-Victor, lui, a exagéré dans l’autre sens. Son point de départ n’est point blâmable : disciple de saint Augustin, il a voulu en suivre jusqu’à la terminologie. « C’est un amour gratuit, dit-il avec son maitre, que de vouloir posséder Dieu lui-même, et de ne chercher rien d’autre que lui… Si vous aimez quelque chose (quelque bien temporel) à sa place, vous êtes un mercenaire. > Même pour la béatitude céleste, Hugues signale avec perspicacité une façon illégitime de la rechercher dans notre intérêt : « Si vous vous représentez la vie éternelle comme un bien distinct de Dieu, et si vous servez Dieu seulement pour arriver à ce bien-là, ce n’est pas une manière pure de le servir, ni un amour gratuit. Les fils de Zcbédée, qui demandaient à être assis à sa droite et à sa gauche dans son royaume, concevaient quelque chose d’étranger à lui… Ils pensaient qu’il faut servir Dieu pour quelque chose qui n’est pas lui ; ils ne comprenaient pas qu’il est le bien seul aimable pour lui-même, et que tout ce qui est aimé en dehors de lui doit être aime à cause de lui. « De sacramentis, 1. ii, part. XIII, c. VIII, P.L.A. clxxvi, col. 534. Mais si Augustin insiste sur ce demi -désintéressement de l’amour d’espérance, il admet aussi, nous l’avons vii, un désintéressement plus complet, où, sans retour sur nous-mêmes, nous voulons à Dieu son bien et sa gloire ; s’il en parle moins souvent, il ne le combat jamais. Au contraire, et ici commence la déviation, Hugues de Saint-Victor attaque vivement, comme déraisonnable, cet acte de désintéressement total : « Quoi donc ! s’écrie-t-il, le précepte d’aimer Dieu veut-il dire, selon toi, que tu doives lui faire ou lui désirer du bien ? Ne veut-il pas dire, plutôt, que tu dois le désirer, lui qui est ton bien ? Tu ne l’aimes pas pour son bien à lui, mais pour ton bien àtoi… Carsi tu prétendsl’aimer po ir son bien, quel bien peux-tu lu. donner ? Tu dis : si je ne peux lui donner, du moins, je peux lui désirer du bien ; ma puissance est bornée, mais mon amour est riche ; ce que je ne puis pas faire, je puis le vouloir ; je lui donnerais si je pouvais, mais je f.iis ce qu’je pus. » TA Hugues de répondre : » Que peux-tu désirer à celui qui a tout ?… Ta piété est su pcrlluc ; aie plutôt pitié de toi-même. Lui, il a sufli samment. Celui qui est parfait, vcux-lu le rendre meilleur ? » Op. cit., c. vu. col. 533. Réponse dure et peu solide. Nous ne prétendons pas ajouter à Dieu une perfection intrinsèque, ce qui serait absurde : mais nous voulons lui offrir une gloire extrinsèque, un culte affectif, dont il n’a pas besoin, mais qu’il est juste de lui rendre, et qui est compris dans la plénitude d’amour qu’il a commandée : iJiligrs Dominum ex lolo corde. Et puis ces actes d’amour désintéressé ne consistent pas seulement, comme Hugues le suppose, à désirer à Dieu quelque chose qui n’existe pas encore, mais aussi à nous réjouir, à cause de lui, de ce qu’il est, de ce qu’il a, à dire amen à ses perfections infinies. — Hugues de SaintVictor conclut d’une manière bien étroite : " Qu’est ce qu’aimer, sinon convr )itcr, conciipiscere, et vouloir posséder et jouir ; si on n’a pas (ce qu’on aime), vouloir l’obtenir : si on l’a, vouloir le garder ? / A cela il semble réduire l’acte de charité théologale. Kt nf)ssuet. après avoir longuement cité ce passage, ajoute : f)n connaît la doctrine de saint Augustin à ce discoursd’un deses enfants, d’un de ses religieux, d’un de ses disciples. Inslniedon sur 1rs états d’oraison, additions ri rorrrelions, n. 8, èdlt. Lâchât, t. xviii, p. C70, f173. Il faudrait au moins distinguer ici ce qui est conforme à saint.uKuslin, et ce qui s’en écarte. M. l’iousselol a judicieusement rangé la solution de Hugues « parmi les théories unilatérales et partielles qui ne peuvent « rendre compte de tout le donné traditionnel. » Op. cit., p. 15.

Saint Bernard, vers la même époque, écrit sa lettre aux chartreux sur la charité (en 1125, d’après Mabillon), et son Liber de diligendo Deo (1126 ;, où d’ailleurs cette lettre est reproduite à la fin, à partir du c. XII. Bien qu’ami de Hugues de Saint-’ictor, il a une idée tout autre du désintéressement de la charité. Non seulement il reprend la traditionnelle énumération des trois classes de chrétiens : « Tel loue Dieu parce qu’il est puissant, tel autre parce qu’il est bon, sibi bonus, tel autre parce qu’il est absolument bon, simpliciler bonus. Le premier est un esclave et craint pour soi ; le second est un mercenaire et convoite pour soi ; le troisième, un fils et il honore son père. Ainsi celui qui craint et celui qui convoite agissent pour eux-mêmes : seule, la charité qui est dans les fils, ne cherche pas ses propres intérêts, quæ sua sunt (I Cor., XIII, 5, texte cité dans le même sens par Abélard). » Il semble même exagérer, quand il ajoute que la crainte et l’amour de convoitise « peuvent bien changer le visage ou l’action, mais non l’affection ; > que ces sentiments « ne convertissent pas l’àine. » De diligendo Deo, c. XII, P. L., t. cLxxxii, col. 995. L’ancienne tradition, au contraire, admettait la conversion et le salut dans ces deux premiers états, nous l’avons vu. Peut-être la différence vient-elle de ce que les anciens Pères appelaient esclave ou mercenaire de Dieu, sans attacher à ces noms un sens mauvais, le chrétien chez qui prédomine habituellement la recherche légitime de son intérêt, bien qu’il s’élève parfois à l’acte de charité ordonné à tous, tandis que saint Bernard considère sous ces mêmes noms une vie d’où l’acte de charité serait complètement banni Dans la première partie de son beau livre, c. i-xi, saint Bernard donne avant tout une idée d’ensemble de l’amour que nous devons avoir pour Dieu, et de nos motifs de l’aimer. C’est dire qu’il fait la synthèse de l’amour de charité et de l’amour d’espérance, et joint ensemble le motif désintéressé et le motif intéressé. Il exprime ces motifs dans la terminologie de saint

^Qme qusiiliam, aul commodum, voir col. 651). Il faut aimer Dieu, sive quia nihil jusiius, sire quia nil frurlnosius… Suo mcrilo…, nosiro conunodo. Bossiiet a bien vu ici sa pensée, et qu’il la tenait de saint Anselme. Préface sur l’inslruclion /x/.s’/o/a/c. etc., n. 3.’{, Œuvres, t. xi.x, p. 204. Quand saint Bernard ajoute que " Dieu seul est la cause d’aimer Dieu, qu’il faut aimer Dieu pour lui-même, » ilnc prend pas cette formule comme les théologiens qui plus tard l’ont restreinte à l’amour de charité : il suit le style de saint .ugustin, plus obscur pour nous, et voit le propler //).<((///i réalisé à sa manière dans l’amour d’espérance, donc réalisé dans chacun des deux amours : Ob duplieem causam Denm dixerim propler seipsum diligendum : sii’c quia nihil jusiius sii’e quia nil frurluosius diligi potest. Loe. cit., col. 975. Il déveloi)pe celle division : 1. Motif absolument désintéressé. Saint Bernard le montre d’abord dans l’amour du Christ jiour nous, afin de nous engager à imiter cette charité : Il s’est donné lui-même à nous qui ne le méritions pas…, bien digne de recevoir de nous amourpour amour… Il nous a aimés gratuitement, nous ses ennemis… Or, il n’est pas de plus grand amour que de donner sa ie pour ses ennemis, -i D’aucuns s’étonneront de le voir, dans les chapitres suivants, éiumièrer longuement les bienfaits de Dieu envers nous, jiour nous exciter à l’aimer : cette considération convient elle au motif désintéressé dont il s’agit présentement ? Ne fait elle pas appel à notre intérêt ? Distinguons entre le bien « [u’on peut nous faire et celui qu’on nous a fait. SI nous nous attachons à quelqu’un pour le bien que nous en espérons, c’est le motif intéressé ; mais si nous nous atta-