Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.djvu/338

Cette page n’a pas encore été corrigée

651

ESPEKA^XE

G52

Mais il ne faut is dire-, ; i(C liolKcni et qiu’k|ues iiutres, qu’Augusliii ne connail pas d’aiiUe désinléressement que celui-là ; que c’est là l’amour le plus sublime, celui qui caractérise la charité théologale ; que chez Augustin, l’expression propter Deiiin n’a jamais un sens plus élevé. Le sens plus élevé est du moins esquissé dans un livre fait pour tous les chrétiens, où il veut qu’en définitive l’amour que nous avffns pour nous-mêmes soit rapporté à Dieu, et que nous nous aimions proplcr Dciim : « Car l’homme est meilleur lorsqu’il est tout entier attaclié au Bien immuable et resserré en lui, que lorsqu’il desserre ce lien, même pour faire un retour sur soi… Il faut qu’il rapporte tout l’amour de soi et du prochain à cet amour de Dieu, qui ne souffre pas qu’on détourne rien de son cours. >. De docliina clirisliaiui, 1. I, c. xxii, P. L., t. xxxtv, col. 26, 27, Voir Charité, t. ii, col. 2221. De plus, saint Augustin s’est demandé si l’homme, en aimant Dieu, pouvait s’oublier lui-même. S’il ne le peut pas d’une manière permanente, il le peut du moins par moments, par éclairs ; et le saint docteur veut que nous y tendions dans la mesure du possible : Amandus est Deiis ila ut, si fleri potest, nos ipsos obliviscamur. Serin., cxi.ii, c. iii, P. L., t. xxxviii, col. 779. Décrivant « l’holocauste spirituel » , il s’écrie : « Que tout mon cœur soit brûlé de la flamme de votre amour : que rien en moi ne me soit laissé, pas même un regard sur moi. » /n ps.’A-V.yi//, n. 2, P. L., t. XXXVII. col. 1775. Des textes comme ceux-là montrent que saint Augustin a compris le désintéressement complet de l’acte de charité ; ils servent aussi à mettre au point les passages où il semble dire que l’homme ne peut faire aucun acte libre sans avoir sa propre béatitude comme motif, et à justifier les interprétations adoucies qu’en ont données les scolastiques. Voir É/iu/es du 20 mai 1911, p. 486-489.

Entre les Pères grecs et saint Augustin, il n’y a donc pas de différence essentielle, L’Occident, comme l’Orient, reconnaît deux formes légitimes de l’amour de Dieu : l’amour intéressé ou mercenaire (relevé pourtant par un remarquable commencement de désintéressement qui le purifie), qui caractérise l’espérance chrétienne ; l’amour pleinement désintéressé avec son esprit filial, qui caractérise la cliarité. Nous avouons toutefois que le style spécial de saint Augustin rend sa pensée difficile à saisir, qu’il a fourni à plusieurs de ses disciples, à travers les âges, une occasion de se tromper ; soit parce qu’il gratifie l’amour semidésintéressé, celui de l’espérance, des mêmes qualifications que l’usage a, plus tard, réservées à la charité et qu’elle mérite à plus juste titre, « amour gratuit, amour pur, amour de Dieu pour lui-même ; » soit à cause de sa célèbre antithèse friii et uti, où le mot fnii, à première vue, signifie spécifiquement un amour de convoitise, mais en réalité pour Augustin signifie d’une manière plus générale l’amour que l’on a pour la fin, pour Dieu, par opposition à l’amour que l’on a pour un pur moyen, uti, voir.igustix, t. i, col. 2433 ; soit parce qu’il étend souvent le sens du mot cavilus à toute affection suffisamment honnête, surtout si elle provient de la grâce. Ibid., col. 2435, 2436.

La théologie scolastique à partir de ses origines, jusqu’à la fin du XIIIe siècle.

Saint Anselme oppose nettement, dans les actes de la créature raisonnable, le motif intéressé et le motif désintéressé. L’ange, au moment de sa chute, dit-il, « n’a pu vouloir que l’une de ces deux choses, la justice ou l’intérêt propre, justitiam aul comnioduin, car c’est de nos intérêts qu’est composée la béatitude que désire toute nature raisonnable, > ex commodis constat beaiiludo. De casu diaboli, c. iv, P. L., t. clviii, col. 332. " La volonté, dit-il ailleurs, a deux aptitudes ou affections ; l’une à vouloir sa commodité, l’autre à vouloir la rectitude, » etc. De concordia præscientiie, etc., q. iii, c. xi, col. 536. Le saint docteur est j loin de regarder comme immoral tout acte libre dont le motif est intéressé : « Cette volonté, qui consiste à vouloir son intérêt (commodum), n’e^X. pas toujours mauvaise, mais seulement quand elle cède à la chair en révolte contre l’esprit ! « Loc. cit., col. 537.

Au XXIe siècle, Abélard, appuyé sur le Cariias non queerit quae sua sunt et d’autres textes, fait du complet désintéressement la caractéristique de l’acte de charité. Les auteurs de l’Histoire littéraire de la France, tout en reconnaissant que cette doctrine n’est pas de celles qui ont été condamnées dans ses écrits, la regardent comme singulière, t. xii, p. 86. Leur jugement est en général assez dur pour ce puissant esprit souvent dévoyé.’Voir Abélard, t. i, col. 41. Mais ici, c’est vraiment dépasser les bornes et craindre le quiétisme où il n’est pas à craindre. Voir Études du 20 mai 1911, p. 499. La doctrine d’Abélard continue en ce point la tradition des Pères grecs. « L’homme qui aime Dieu, dit-il, doit compter sur une magnifique récompense d’un tel amour. Toutefois ce n’est point par cette intention qu’il agit si son amour est parfait, autrement il se chercherait lui-même, et serait comme un mercenaire, bien que dans les choses spirituelles.

Ce ne serait pas la charité, si nous aimions Dieu plutôt à cause de nous qu’à cause de lui, c’est-à-dire pour notre utilité, pour la félicité céleste que nous espérons, de lui, mettant en nous la fin de notre intention et non pas dans le Christ. » Expositio in Epist. ad Rom., vil, 13, P. L., t. CLxxviii, col. 891. Il reconnaît à l’espérance chrétienne ce désintéressement partiel qui la relève sans doute : « Vous me direz que Dieu se donne en récompense lui-même, et non pas des j biens étrangers, comme l’observe saint Augustin : qu’en le servant pour la béatitude, c’est donc vraiment pour lui-même que nous agissons, d’un amour pur et sincère. » Mais ce demi-désintéressement de l’espérance ne suffit pas à la charité, Abélard en fait la remarque : « Nous aimerons Dieu purement pour lui-même, si nous agissons seulement pour lui, non pour notre utilité ; si nous ne regardons pas ce qu’il nous donne, mais ce qu’il est en lui-même… Tel est le véritable amour d’un père pour son fils ou d’une chaste épouse pour son mari ; la personne qu’ils aiment lors même qu’elle leur est inutile, est aimée davantage que d’autres plus utiles ; et tout ce qu’elle leur fait souffrir ne diminue pas leur amour… Puissions-nous avoir pour Dieu une affection aussi pure, et l’aimer plutôt parce qu’il est bon en lui-même, que parce qu’il nous est utile ! » A propos de ce texte du psalmiste : « C’est à cause de la récompense que j’ai incliné mon cœur à observer vos lois, » Abélard ne blâme pas cet amour intéressé, mais il le montre comme une première étape aidant l’âme à monter plus haut ; David a « commencé par l’espérance et le désir de la récompense, » pour arriver à la charité. Loc. cit., col. 893. Nous ne lui reprocherons pas non plus de nous montrer dans le Christ, à notre égard, le modèle de l’amour désintéressé, col. 891. Même en regardant sa nature divine, on peut y trouver le désintéressement en ce sens que Dieu nous aime sans avoir besoin de nous. Mais ailleurs, dans ses théories sur la Trinité, Abélard est allé trop loin : il semble n’avoir admis en Dieu qu’un amour désintéressé pour sa créature ; il n’a pas compris la perfection infinie de l’amour que Dieu a pour lui-même ni comment, centre de toutes choses, il est juste et nécessaire qu’il fasse tout converger vers soi. Loc. cit., col. 1299. Cf. Pierre Rousselot, Pour l’histoire du problème de l’amour an moyen âge. Munster, 1908, dans les Beitràge zur