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ESPERANCE

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cenlem ad bealituJinem, II’II, q. xvii, a. 4. Or, le motif, seule cause dont il soit maintenant question, n’est pas une cause efficiente et productrice de la béatitude, mais une cause finale, agissant sur notre volonté par l’intermédiaire de la connaissance ; le secours divin n’est donc pas un motif de l’espérance, d’après saint Thomas lui-même. On ajoute enfin, sur la vertu infuse d’espérance, des considérations que nous donnerons plus loin.

Ce système doit son origine à Duns Scot ; pour lui, l’espérance n’est qu’un désir de Dieu en tant que bon pour nous. In IV Sent., 1. III, dist. XXVI, Opéra, Paris, 1894, t. xv, p. 331. L’espérance ne se distingue de la charité que comme l’amour de convoitise se distingue de l’amour d’amitié, p. 310. Voir Duns Scot, t. iv, col. 1907. C’est bien ainsi que l’ont entendu les scotistes, comme Mastrius, D/sp. theologicæ, in IV Sent., Venise, 1675, p. 398 ; Frassen, Scotus academicus, Paris, 1676, t. iii, p. 765. Suarez a suivi et développé ce système : Dico rationem formalem objecti spei esseDeum, ut est summum bonum nostnim et in hoc difjerrc ab objecto formait caritatis… ; non posse recle assignari in objectum hujus virtutis formate omnipotentiam Dei. De spe, dist. I, sect. iii, n. 20, 21, Opéra, Paris, 1858, t. xii, p. 609. Suarez a été suivi par un certain nombre de théologiens de son ordre, surtout dans la première moitié du xvii<e siècle, comme Coninck, De actibus supernaturalibus, etc., Anvers, 1623, p. 372 ; Arriaga, Dispnt. tlieologicee, Anvers, 1649, t. v, p. 381, où il atteste que cette opinion est commune de son temps ; Oviédo, De fide, spe et caritate, Lyon, 1651, p. 206. D’autres théologiens donnèrent leur adhésion au système de Scot et de Suarez, comme les docteurs de Sorbonne Ysambert, toc. cit., et Grandin, Opéra theologica, Paris, 1710, t. III, p. 156. De nos jours, semble-t il, Lahoussc, S. J. ; toc. cit.

Critique du système. —

Nous partirons de la distinction entre l’acte parfait d’espérance, et la vertu d’espérance, comme dans le système précédent.

1. En tant qu’il prétend assigner le motif de l’acte parfait d’espérance, le système de Scot et de Suarez est très défectueux par son côté exclusif. Le côté positif est bon : on prouve bien que l’acte d’espérance est tout d’abord un amour de convoitise, un désir de posséder Dieu, voir la critique que nous avons faite du premier système, et qui procède de Suarez ; on assigne bien le motif qui répond à cet amour de convoitise. Mais quand on veut ensuite s’en tenir à ce seul motif, et exclure la puissance auxiliatrice, on méconnaît ces magnifiques attributs de toute-puissance, de miséricorde, de fidélité, que l’Écriture et la tradition nous présentent si souvent comme des motifs d’espérer. Pour les écarter, on dit qu’ils ne servent de motif qu’a un acte intellectuel préalable, le jugement de possibilité..Mais le jugement de possibilité n’ayant d’autre but que d’obtenir en nous cet élément affectif essentiel qu’on nomme la confiance, il est clair que les attributs en question, présentés à l’intelligence, ne produisent pas seulement, ce jugement, mais, à travers ce jugement, excitent la volonté cIle-mtMue, l’attirent à un mouvement de confiance, et sont à ce titre un motif partiel de l’acte complet d’espérance. Cf. Oxéa, toc. cit., p..39, 40.

Mais en quoi consistera le mouvement affectif dérivant de ces attributs divins à travers le jugement de possibilité ? demande Mastrius.. La possibilité de l’événement futur, dit-il, est une chose présente ; nous pouvons donc nous en réjouir, mais non pas la désirer. Or, l’espérance n’est que le désir d’une chose absente. » Loc. cit., n. 457. On ne saurait mieux montrer le vice originel du système : trop simplifier l’acte d’espérance. Comme nous le disions avec Pallavicini et Viva, voir col. 628, c’est une affection mixte : au désir du bien absent vient s’ajouter la joie de sentir présente la possibilité de l’obtenir, et même un commencement d’amour pour celui qui, par son secours et ses promesses, constitue déjà cette possibilité. On peut admettre cette assertion de Mastrius : « Espérer n’est que désirer d’une certaine manière spéciale. » Mais cette « manière spéciale » consiste précisément à joindre au désir un autre acte affectif, qui n’est pas un désir, et qui fait un tout moral avec lui ; et c’est à cet autre acte, élément essentiel de l’acte complet d’espérance, que la puissance auxiliatrice de Dieu doit absolument servir de motif, dans l’espérance chrétienne.

Quand saint Thomas traite de « cause efficiente » le secours divin, il le considère en action, collaborant avec nous après l’espérance pour nous faire atteindre le but espéré ; mais cela n’empêche nullement de le considérer aussi avant l’action, nous apparaissant déjà comme assuré et provoquant ainsi un mouvement de confiance, voilà la causalité propre du « motif >. Ces deux espèces de causalité se concilient parfaitement et qui affirme l’une ne nie pas l’autre. Le bon médecin, pour un malade, est à la fois une cause efficiente de sa guérison et un motif de l’espérer. Cf. Billuart, loc. cit., les Salmanticenses, t. xi, p. 481.

Ainsi les défenseurs du troisième système, quand il s’agit de l’acte d’espérance et de son motif complet, n’apportent pas de bonnes preuves pour leur simplification exagérée. D’autre part, ils ne sont pas d’accord là-dessus avec les documents de la révélation, comme aussi avec les formules dont se servent les fidèles pour faire cet acte, et qu’on trouve dans tous les catéchismes et autres livres à leur usage.

2. En tant qu’il veut assigner le motif de la vertu infuse d’espérance, le système nous paraît, au contraire, très acceptable ; voici pourquoi. L’acte d’espérance, le seul appelé de ce nom par l’usage commun, étant très complexe, voir col. 609 ; il a forcément aussi un motif total composé de plusieurs motifs partiels, comme l’a bien établi le second système. Le chrétien commence par aimer la béatitude surnaturelle et la désirer, c’est comme le premier acte du drame. U continue à la désirer malgré les difficullés prévues, c’est le second acte : désir efficace. Il se demande alors s’il a vraiment et pratiquement la possibilité de l’atteindre ; et, constatant cette possibilité grâce à la puissance auxiliatricc de Dieu, il s’en réjouit, il commence à aimer Dieu, non seulement comme bien suprême mais encore comme prêt à lui donner un tel secours ; il s’abandonne à sa bonté, en un nu)t il a confiance en lui, c’est le troisième acte. Voir col. 628. Mais de cette succession d’actes divers, quoique reliés entre eux, résulte la possibilité d’un fractionnement. Le drame ne va pas toujours jusqu’au bout ; il peut rester incomplet ; l’homme peut s’arrêter à l’amour ou au désir. Son intelligence abstractive pourra parfois ne considérer quc la bonté relative de l’objet, motif fondamental de l’acte ; la question de difficulté, ou celle de possibilité pralique, ne se posera même pas, et par suite, il fera abstraction de la puissance auxiliatrice, motif subsidiaire. La volonté dépendant de la connaissance qui l’éclairé, et ne subissant l’influence d’un motif que s’il est connu, aimera Dieu surnaturellement d’un amour de convoitise sous l’influence de la grâce, ou désirera le posséder ; elle s’arrêtera là. Or, cet acte, surnaturel et théologal de sa nature, n’a pas d’autre vertu théologale pour le produire, que la vertu d’espérance. Voir critique du premier système, col. 635. La vertu d’espérance aura don un acte complet et un acte incomplet. Le motif du premier sera la bonté relative de Dieu avec sa puissance auxiliatrice ; le motif du second sera la