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ESPERANCE

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moUf complexe, un groupe d’atlrihuls divins, toute-puissance, miséricorde, etc. ; sur l’explication de ce groupement, le deuxième système, comme le premier, admet des variantes.

Saint Thomas ne favorise-t-il jias cette conception plus larjie et plus comprchensive de l’acte d’espérance et de son motif ? Lui-même en indique les quatre éléments. Voir plus haut, col. G09. Si parfois, selon les besoins du moment, il ne mentionne que la puissance auxiliatrice comme motif de l’espérance, ailleurs il se complète, en afllrmant que l’espérance est elle-même une tendance au bien comme bien, que le bien l’attire, et, par conséquent, est son motif : Spes est mollis in bonum secundum ralioncm boni, qiiod de sua raiione est attractimim. Sum. tlicol., Ia-IIæV", q. xxv, a. 3. Pour lui, la confiance (à laquelle répond comme motif la puissance auxiliatrice) n’est pas toute l’espérance ; elle en est comme un « mode » , un clément surajouté à un autre plus fondamental. Fiducia importât quoddam robur spei, proveniens ex aligna considerationc, quic facit vehementem opinionem de bono assequendo. IIa-IIæ"’, q. cxxix, a. 6. Fiducia importai quemdam modum spei : est enim fiducia spes roborala ex aliqua firma opinione. Loc. cit., ad 3°’". Enfin, il énumère deux objets formels de l’acte d’espérance : Spes facit tendere in Deum siciit in quoddam bonum finale adipiscendum, et sicut in quoddam adjiilorium cfficax ad subi’eniendum. Sed carilas proprie facit tendere in Deum uniendo affcctum liominis Deo, ut scilicel Iiomo non sibi vivat, sed Deo. II » II"’, q. xvii, a. 6, ad 3’"".

Ce dernier passage demande à être soigneusement pesé dans tous ses termes. Spes facit tendere in Deum, etc. C’est donc bien l’espérance elle-même, et non la charité ou une autre vertu précédant l’espérance, qui « fait tendre à Dieu comme à un bien : » voilà déjà saint Thomas contraire au premier système. Sicut in quoddam bonum finale… Il n’est donc pas question ici de Dieu comme objet purement matériel, mais formel et spécifique, car d’après les principes du saint docteur, « la diversité des fins diversifie les vertus. » I" II, q. Liv, a. 2, adS"". De plus, la fin attire la volonté, et est de sa nature un motif. Mais Dieu, fin dernière, peut être envisagé de deux façons : fin à obtenir pour l’homme, fin suprême, à glorifier et à aimer pour elle-même jusqu’à l’oubli de soi. L’espérance tend à Dieu de la première manière, d’après saint Thomas : sicut in bonum finale adipiscendum ; la charité, de la seconde : ut homo non sibi vivat, sed Deo. Voir ci-dessus, col. 623. Le cardinal Cajetan, dans son commentaire sur ce passage, a vu dans ces paroles la différence essentielle des deux vertus : « La charité, conclut-il, se porte vers la fin dernière (Dieu) à cause d’elle-même, l’espérance vers la fin dernière comme nôtre. » « La foi, dit-il encore, se distingue des deux autres comme le vrai se distingue du bien : l’espérance se distingue de la charité comme notre bien du bien de Dieu. » S. Thomas, Opéra, Rome, 1895, t. viii, p. 132. Cet illustre thomiste n’est donc pointpartisan du premier système, auquel plus tard les thomistes en général se sont rattachés. Baiiez non plus, semblet-il ; il esquisserait plutôt le second, autant qu’on en peut juger par ses explications trop brèves : Objectum spei est ipse Deus… sub rationc formali misericordiæ auxiliairicis et bonitatis bealificantis. In // » " //’, Douai, 1615, p. 311.

Le second système a été clairement proposé par Ripalda, De fuie, spe et caritate, dist. XXIII, n. 63 sq., 66 sq., Opéra, Paris, 1873, t. viii, p. 110. Il s’est fort répandu parmi les théologiens de la Compagnie de Jésus dans la seconde moitié du xvii<e siècle, et surtout au xviii<^ et au xix". Voici quelques noms : Oxéa, De spe c< car(iaie, Saragosse, 1662, p. 38, 54 ; Haunold, Theol. speculaliva, Ingolstadt, 1670, p. 422 ; Platel,

Synopsis cursus theoL, n. 310 sq.. Douai, 1706, p. 285 ; Mayr, Tlwotofjia sclwlusl., Ingolstadt, 1732, t. i b, p. 206 : les VVirceburgenses, Paris, 1852, t. iv, p. 200, ce système y est appelé communior jarn theotogorum sententia ; Viva, etc. Et de nos jours le cardinal Mazzella, De virtutibus infusis, prop. xlv, Rome, 1879, p. 632 ; BilIot, De wr/u<. ! n/fwis, Rome, 1901, p. 353 ; Ch.Pesch, Prælectioncs dogmaticæ, 3^ édit., Fribourg-en-Brisgau, 1910, t. VIII, p. 232 sq.

Critique. —

Une distinction qui n’a pas été assez faite nous semble ici capitale pour le jugement à porter sur le second système.’Si l’on demande le motif de Vacte, et de l’acte comj plet et parfait d’espérance, à cette question très préi cise, ce système semble être le seul qui donne une réponse satisfaisante. Il part de l’analyse la plus exacte de cet acte complexe, en y joignant ce sage principe : " Pour déterminer tous les éléments du motif total de l’acte, tenir compte de tous les éléments essentiels de cet acte. » Système moyen et conciliateur, il réunit ce que les autres ont de solide et de positif, et évite ce qu’ils ont d’outrancier et d’exclusif.

Mais, si l’on demande le motif de la vertu infuse d’espérance, à cette question plus générale il semble qu’on peut avantageusement donner une réponse moins compliquée, dans le sens du troisième système qu’il nous reste à discuter. Ce système est une réaction extrême contre le premier ; ou, si l’on veut, le premier est une réaction extrême contre celui-ci. De part et d’autre, on a dû être influencé par le même désir de simplification, le même besoin d’unité, si naturel à l’homme ; on a cherché à exprimer par un seul mot le motif de l’espérance, et on a rejeté en bloc l’opinion de l’adversaire, au lieu d’y prendre ce qu’il y avait de bon.

IIIe Système. Motif de l’espérance : Dieu considéré comme notre bien

Exposé et preuves.

1. Côté positif du système. —

Le désir de posséder Dieu par la béatitude surnaturelle dérive nécessairement d’une vertu théologale, et ne peut dériver que de l’espérance ; ce n’est donc pas un acte préliminaire à l’espérance, c’est l’acte d’espérance lui-même. Voir plus haut, col. 635. D’autre part, ce désir est intéressé. Voir col. 620 sq. Il a donc pour motif la bonté relative de Dieu, Dieu considéré comme notre propre bien.

2. Côté exclusif.

L’espérance n’a pas d’autre motif. Celui-là suffit, en effet, à la différencier de la charité, voir col. 624 ; et les autres différences que l’on a voulu imaginer entre ces deux vertus, ne suffisent pas, col. 626 sq. Les attributs divins de toute-puissance, de miséricorde, de fidélité aux promesses données, dont on a voulu faire des motifs de l’espérance, ne servent de motifs qu’au préambule intellectuel de l’espérance ; ils servent uniquement à fonder le « jugement de possibilité » , cette condition préalable (l’objet devant être jugé possible, pour être espéré). Suarez, loc. cit., sect. III, n. 3, p. 604 ; Ysambert, In Z/-’™ //"", Paris, 1648, p. 186. Ces attributs divins, quelle que soit leur nécessaire influence sur le jugement de possibilité, restent donc extra lineam spei. Lahousse, De virtutibus theologicis, Bruges, 1900, p. 348. Le secours divin est, de plus, nécessaire pour collaborer avec nous, pour exécuter ce que nous avons désiré et espéré ; mais cette exécution vient après coup, et reste en dehors de l’espérance qui n’est qu’un mouvement aflectif. Ainsi saint Thomas ne voit-il dans le secours divin qu’une cause efficiente : Bonum, quod aliquis sperat obtinendum, habcl ralioncm causse finalis ; auxiliiim aiilem, per quod aliquis sperat illud bonum oblinere, habet rationem causa ; effîcicntis… Spes autem respicit beatitudinem œternam sicut finem ullimum, divinum autem aiixilium sicut primam causam indu-