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ESPERANCE

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l’espérance pour un acte de connaissance, tandis que le sentiment commun de l’École la met dans la partie affective. Écoutons, là-dessus, saint Bonaventure : » Espérer, disent-ils, c’est croire fermement qu’on obtiendra quelque chose. Oui, au sens large, « espérer » signifie une assez ferme croyance, qu’un bien sera obtenu par nous-mêmes ou par autrui ; ainsi, voyant un enfant de bon caractère, on « espère » qu’il sera un jour un excellent homme. Alors « espérer » équivaut à estimer probable, ce qui est bien un acte intellectuel. Mais, l’acception est impropre. » In IV Sent., 1. III, dist. XXVI, a. 2, q. v, adS"-™, Opem, Quaracchi, 1889, t. III, p. 580.

Si l’espérance théologale était réellement un acte intellectuel, elle ferait double emploi avec la foi, qui suffit par elle seule à fonder, aussi solidement que faire se peut, la prévision de notre salut. On ne verrait donc pas pourquoi Dieu nous a donné deux vertus infuses différentes, la foi et l’espérance ; c’est la remarque de saint Thomas. In IV Sent., 1. III, dist. XXVI, q. ii, a. 4. Encore si cette espérance prétendue intellectuelle pouvait ajouter à la foi quelque perfection appartenant h l’ordre de la connaissance. Mais elle n’ajoute ni plus de certitude du salut, nous venons de le voir, ni plus de clarté de vision ; saint Paul nous dit que celui qui espère ne voit pas l’objet espéré. Rom., VIII, 24. Il faut donc, avec l’unanimité morale des théologiens, maintenir cette différence fondamentale entre la foi et l’espérance, que la première, bien qu’aidée par la volonté, est dans l’intelligence, tandis que la seconde, bien qu’aidée par l’intelligence, est dans la volonté. Voir Foi.

Le protestantisme a beaucoup contribué à brouiller ces deux notions, à confondre ces deux vertus. On écrit encore aujourd’hui : « L’espérance est le visage de la foi tourné vers l’avenir… Elle n’est pas quelque chose de surajouté à la foi. L’espérance est foi, et la foi est une assurance et une certitude de ce que l’on espère. Heb., xi, 1. La charité est aussi espérance, puisqu’il est dit qu’elle espère tout. I Cor., xiii, 7. » Herzog-Hauck, Bealencyklopàdic fiir protestantische Théologie, 1900, t. viii, p. 233. Sans doute la foi soutient l’espérance ; et la charité régnant dans un cœur pousse à pratiquer toutes les vertus, et, en ce sens, saint Paul dit que la charité souffre tout patiemment, qu’elle croit, qu’elle espère. Mais ces liaisons étroites entre les vertus ne détruisent pas leur individualité propre, et n’en font pas une seule chose, quand saint Paul, avec insistance, en compte plusieurs. I Cor., xiix, 13. Au reste, d’autres protestants modernes distinguent un peu mieux l’espérance de la foi : « On peut définir l’espérance, le désir d’un bien futur, accompagné de la foi en sa réalisation. » Hastings, Dictionani of ihe Bible, 1899, t. ii, col. 412.

Une autre espèce d’intellectualisme moins radical, mais qu’il faut fuir aussi dans la théorie de l’espérance, serait de vouloir établir une équation parfaite entre la probabilité plus ou moins grande qui nous apparaît en faveur de l’événement futur, et la force ou l’intensité plus ou moins grande de l’espérance : comme si l’accroissement de cette force ne pouvait venir que d’une conclusion mieux prouvée. Il faut un préambule intellectuel, nous l’accordons : il faut arriver à ce jugement pratique que nous pouvons prudemment nous livrer à l’espérance. Mais, une fois cette condition posée, la force du désir, la force du courage et de la confiance ne dépendra pas uniquement de la perfection intellectuelle de nos raisonnements, de l’étude complète que nous aurons faite de la question. Cette force peut s’augmenter autrement, par exemple, de ce fait, que je m’absorbe dans la contemplation des raisons d’espérer, sans regarder attentivement les raisons de craindre. Et cette méthode, de ne regarder qu’un côté de la question, est légitime, quand il s’agit non pas d’un acte intellectuel, d’un jugement spéculatif à porter sur le fait futur, jugement qui, certes, devrait tenir compte de tous les éléments de la question, mais d’un acte de désir et de volonté. On ne demande pas à l’amour d’être impartial et d’apporter des preuves. Vous avez le droit, par exemple, de préférer votre patrie à toutes les autres, c’est-à-dire de l’aimer davantage. Mais si vous venez à transformer cette préférence toute affective en préférence intellectuelle, si, par jugement, vous considérez votre patrie comme étant objectivement au-dessus de toutes les autres, c’est alors qu’on peut vous reprocher le manque de preuves et d’impartialité. De même, en face des difficultés, vous pouvez grandir à volonté votre courage et votre confiance, comme si vous étiez sûr du succès ; on ne peut vous reprocher cet optimisme du cœur, il est peut-être héroïque. Mais, si vous passez de là à l’optimisme du jugement, si, d’après la vivacité de vos impressions, vous prétendez prédire la réussite comme certaine, on pourra vous traiter non pas de héros, mais de naïf.

Ainsi, pour l’espérance chrétienne : nous avons le droit d’en faire croître la force et la fermeté, non pas seulement par un surplus de preuves, mais aussi en nous absorbant dans la pensée des attributs divins qui montrent, soit l’excellence de la possession de Dieu, soit la possibilité de l’atteindre, et en laissant dans l’ombre, pour le moment, les raisons de craindre notre défaut de coopération à la grâce. Oublions-nous nous-mêmes, et notre espérance grandira. Ce procédé ne saurait être trop recommandé aux âmes craintives, tourmentées par l’incertitude du pardon de leurs fautes, ou de leur persévérance et de leur salut. Ce qu’il leur faut, ce n’est pas un raisonnement introuvable qui rende certain ce qui reste incertain c’est la distraction, l’oubli des sujets de crainte, les paroles et les lectures qui portent à la confiance. Mais si nous voulions transporter dans l’ordre intellectuel ce procédé unilatéral et partial, et déclarer qu’il n’y a rien à craindre de notre faiblesse, qu’elle est dans l’affaire du salut une quantité négligeable, nous sortirions de nos droits et de la vérité.

Certitude de l’espérance. —

Ce que nous venons de dire peut servir à montrer le vice du système de Luther. Encore moine, agité par les anxiétés de sa conscience, il cherche le repos dans la confiance du pardon. Mais, en simpliste et en outrancier qu’il est, il veut faire de cette confiance le tout de l’âme, exclure tout ce qui devrait l’accompagner et la mettre au point, la crainte salutaire, les bonnes œuvres, la contrition des péchés, le sacrement de pénitence, toutes choses qu’il finira par attaquer ouvertement comme inutiles et nuisibles. Pour exalter ainsi la confiance aux dépens de tout le reste, il arrive à lui donner des proportions démesurées ; et, comme il la confond, par un fâcheux intellectualisme, avec le jugement qui la précède et la conditionne, il veut que ce jugement sur le pardon divin n’en exprime pas seulement la possibilité, la probabilité bien grande, mais l’absolue certitude. D’après lui, nous devons croire comme article de foi que nos péchés nous sont pardonnes. C’est même l’unique article important à croire pour que Dieu nous pardonne, en effet, et nous sauve : c’est la » foi justifiante » , qui tient lieu de tout.

Nous n’avons pas à relever ce que cette théorie a de compromettant pour le vrai concept de la foi. Voir Foi. Nous ne la jugeons ici que dans son rapport avec le préambule intellectuel de l’espérance, et nous disons : Quand il s’agit d’un jugement absolument certain, il faut des preuves proportionnées : où sont-elles ? Il est certain, dites-vous, il est de foi divin e