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ESPAGNE (ÉGLISE D’), LES SCIENCES SACRÉES


p. Murillo, jésuite, sur l’Évangile de saint Jean, paru ces dernières années, qui n’est pas sans mérite.

IV. Théologie dogmatique f.t polémique. - — Au xiv^ et au xve siècle, trois gi-andes doctrines se partageaient la vie théologique dans l’université de Paris : le tliomisme, le scotisme et le noniinalisme. Chacune avait ses partisans et ses défenseurs comme aussi ses contradicteurs et ses adversaires. Ces mêmes doctrines devinrent le fond de tout l’enseignement théologique des universités espagnoles. Dès le commencement du xV siècle, le scotisme et le thomisme lurent enseignés dans des chaires publiques à Salamanque et vers la fin du siècle on y érigea des chaires pour l’enseignement du nominalisme. En créant l’université d’Alcala, Ximénès y établit des chaires pour les trois grands systèmes, et ces chaires subsistèrent durant l’âge d’or de la théologie espagnole, de telle sorte qu’on doit dire que l’Espagne donna asile à la théologie de Paris.

Le nominalisme, après avoir régné à Paris près de deux cents ans, avait fait son entrée en Espagne avec l’augustin François de Cordoue et Martin Siliceo devenu plus tard cardinal et primat d’Espagne. Mais il était sans chef, ou plutôt son véritable chef, celui qu’on a appelé ajuste titre le prince des nominaux, Guillaume d’Ockam, n’a pas l’autorité que donne une vie irréprochable. Il lui manque l’auréole dont sont entourés l’angélique docteur et le vénérable Duns Scot ; bien plus, il porte à jamais une tache indélébile que lui a imprimée sa révolte contre Jean XXII. Et dès lors on n’aime pas, à juste titre, à se mettre sous sa tutelle et se proclamer son disciple. Les quatre maitres du nominalisme : Durand, Auriol, Grégoire de Rimini et Gabriel Biel, n’ont pas la valeur de chefs véritables. Par ailleurs, le nominalisme n’a pas un ordre religieux pour le soutenir et le défendre ; aussi, après avoir fait une entrée brillante dans la Pcnin suie, il ne tarda pas à s’effacer comme système. Les théologiens puisèrent abondamment dans ses trésors ; ce fut souvent sans avertir. Plusieurs s’enrichirent de ses dépouilles, mais ils préférèrent s’en attribuer la propriété à eux-mêmes. Il reste vrai de dire qu’il y a chez les théologiens espagnols beaucoup plus de pages nominalistes qu’on nele croiraitàpremière vue, notamment chez les écrivains de la Compagnie de Jésus : Molina, Vasquez, Suarez, Arriaga, etc. Et Eusèbe Amort a pu écrire, au xviiie siècle, que l’école des jésuites n’est autre que l’école nominaliste elle-même.

Le scotisme avait un chef, et un chef vénérable. Il inspirait plus de sympathie et plus de respect ; les iranciscains, frères de Duns Scot, étaient là pour le défendre et le propager. Ximénès l’avait mis au pre mier rang à Alcala.."Malheureusement pour l’école scotiste, six ans après la mort du grand cardinal, l’ordre de saint François renonça à l’enseignement public ; dés lors les chaires de.Scot furent confiées à des maîtres qui se soucièrent peu de la gloire du docleur subtil, et qui préféraient s’approprier ses doctrines sans même le nommer, comme le faisait très justement remarquer le P. Delgadillo dans sa préface au traité des anges. Ce fut un malheur pour l’école scotiste, car les frères mineurs avaient alors des maitres qui ne le cédaient en rien aux plus illustres de l’époque ; et sans nul doute l’école du docteur subtil aurait brillé d’un éclat incomparable. Il suffit de rappeler les noms de Carvajal, Castro, .Michel de Médina, Crantes, "Véga, Corduba, Angles, etc., tous théologiens de première force.

Il ne faudrait pas croire cependant que le docteur subtil manquât de partisans. Il eut de brillants représentants surtout dans les cloîtres franciscains. Dans Je grand couvent de.Saint François, à Salamanque,

dans celui de Saint-Diego, à Alcala, et plus tard dans le couvent de Saragosse s’élaborèrent des ouvrages scotistes célèbres. Plusieurs commentèrent les livres des Sentences ad mentem Scoti ; d’autres commentèrent directement VOpus Oxoniensc du docteur subtil ; d’autres encore composèrent des traités ou des cours complets de théologie selon la pensée du même docteur. Pour ne pas sortir des limites que nous nous sommes tracées, nous nous contenterons de fournir une liste de théologiens qui nous ont laissé des ou-Tages entièrement scotistes. Ce sont d’abord les Pères François Herrera, Jean de Ovando, Matthieu de Sousa, Jean de Rada, qui écrivaient à Salamanque vers 1600. Puis viennent les Pères Jean Mcrinero, Pierre d’Urbina, François Félix, Christophe Deltradillo, François del Castillo Velasco, Jean Mufîoz, Michel de Villaverde, François Diaz, Jean Sendin et Jean Bernique, de l’école d’Alcala, entre 1630 et 1680. Enfin, les Pères Hyacinthe Hernandez, de la Torre, Jean Perez Lopez, Antoine Lopez, Antoine Castel, Thomas Francès de LTrutigoyti et Jérôme de Lorte, leur succédèrent à Saragosse vers la fin du xvii’-' siècle. A tous ces auteurs viennent se joindre, des différentes provinces, les Pères Biaise de Benjumea, Thomas Llamazarès, Thomas de SaintJoseph, Grégoire Ruiz, Alphonse Brizeno, Damien Giner, Jean de l’Inciu-nation, Jérôme Tamarit, Jean de Iribarne, François de Ovando. Plusieurs de ces écrivains ont une très grande valeur, comme Herrera, Merinero, del Castillo ; et la comparaison que Jean de Rada établit entre les doctrines thomiste et scotiste dans ses 4 in-folio, lui a mérité une réputation universelle ; nous n’en voulons pas d’autre preuve que les multiples éditions qu’on en fit coup sur coup à Salamanque, 1599, à Venise, 1599 et 1616, à Cologne, 1616 et 1620, et à Paris chez Arnauld Littat.

La série des scotistes se continue durant le xviii’^ siècle et elle est dès lors augmentée par un certain nombre d’auteurs étrangers à l’ordre de saint François.

Le thomisme qui, à Paris, avait été mis en intériorité par les nominalistes durant de si longues années, prit sa revanche au xvie siècle. Salamanque fut le berceau de cette puissante restauration, et le dominicain François Vittoria le promoteur principal de ce grand mouvement. Vittoria prit pour texte de ses leçons la Somme même de saint Thomas ; et sa méthode eut un tel succès qu’elle fut d’abord adoptée par ses nombreux disciples et ensuite par toutes les universités. C’est â juste titre qu’on peut appeler ce docte théologien le restaurateur du thomisme. La méthode dut son succès à la hauteur de vues du Père Vittoria qui ne craignit pas de jeter par-dessus bord certaines tlièses plutôt compromettantes pour le thomisme en général. Ce qui lui donna un avenir assuré, ce fut l’application intelligente qu’en firent toute une pléiade d’esprits d’élite. Quels noms, en effet, que ceux de Soto, Cano, Mcdîna, Banez, Alvarez, Ledesma, Lorca, Jean de Saint-Thomas, Valentia, Tolet, Molina, Suarez, Vasquez, etc. ! SurlesSalmanticenses, voir t. ii, col. 1785-1786.

Mais ce qui contribua le plus puissamment à donner à saint Thomas une autorité et un prestige qu’il n’avait pas jusqu’alors, ce fut l’acte par lequel le dominicain, devenu pape sous le nom de Pie V, rangea le puissant chef d’école parmi les docteurs de l’Église. Cet acte eut une portée considérable ; il rattacha au thomisme les ordres religieux qui se trouvaient sans chef véritable, en même temps que la grande majorité du clergé séculier.

Cependant, il se produisit alors deux courants parmi ceux qui se disaient thomistes. Il y eut les thomistes authentiques qui se recrutèrent surtout parmi