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ESCLAVAGE


vent volés ; et s’ils arrivent en terre portugaise, on les rachète d’oflice pour un juste prix ; mais, les Portugais, en ce qui les concerne, sont parfois moins délicats. A les en croire, disp. XXXIV, n. 6, il est rarement certain que tels ou tels esclaves aient été volés, et voici d’ailleurs de nouveaux prétextes : Si nous ne les achetons pas, et au prix que donneraient les cannibales, on les tuera sous nos yeux. Puis il est impossible d’acheter injustement, puisqu’il y a toujours un interprète noir. Puis, somme toute, les noirs vivent aussi plus confortablement. Puis, ils peuvent par là se convertir.

Il est manifeste qu’on pourrait les acheter pour les soustraire aux cannibales. Que dire de leur conversion facilitée ? Or, cette conversion hypothétique, Molina le montre bien, ne saurait justifier la conduite des marchands, disp. XXXV, concl. 5. On ne les convertit pas en Afrique : et le fait de les convertir en Amérique ne saurait permettre de les faire esclaves en Afrique, contre toute justice. De la foi, assure Rebello, q. x, n. 15, les marchands n’ont cure, et il en cite un exemple typique. Ibid., n. 13. L’évêque du Cap-Vert, Pierre Brandano, affirmait que dans la Guinée inférieure, partie de son diocèse, sur 3 000 marchands, il n’y en avait pas 200 qui se confessent au temps du carême. Notez encore que, si la conversion a lieu, le nègre aussitôt baptisé est déporté ; quelle comparaison avec les Maures, car ceux-ci libèrent un esclave passé au Coran. Avendano, tit. ix, c. xii, n. 191, refuse également de regarder comme une compensation l’avantage qui pourrait s’ensuivre pour la foi ; car, c’est tout à fait en dehors de la volonté des marchands iinde si scirent eos quos asportant, christianos minime fuluros, simililer asporlarenl. Ce qu’il prouve d’ailleurs en rappelant, n. 197, que quelques années plus tôt les Portugais ont enlevé et vendu au Brésil les habitants du Paraguay.

Après cette discussion que faut-il conclure ? a) Il semble qu’il y ait une présomption générale contre la légitimité de tous ces esclavages. Cœnosus fons, dit Molina, après l’examen des différentes hypothèses. Rebello, q. x, n. 8, juge injuste et letaliter illicila le commerce des marchands portugais, appelés Tangomaos ou Pombeiros, et qui opèrent en Guinée, en Cafrerie, dans le royaume d’Angola. Verisimilius prsesumi débet ejusmodi mancipia… comparari in utraque Giiinca lolaque Mthiopia per injustitiam majori ex parte ab ipsismet incolis.

Sanchez donne le même verdict : Le marché pourrait être licite, si on y procédait après tous les examens et avec toute la circonspection désirable. Tout au plus, les acquéreurs font-ils quelques interrogations générales, et une protestation sommaire que les nègres ont été pris dans une guerre juste et qu’ils sont légitimement esclaves. C’est offrir aux nègres une garantie dérisoire. Le commerce, dit-il encore, qui consiste à prendre esclaves des nègres en Afrique et à les vendre dans nos colonies est illicite, est péché mortel. Il ajoute deux comparaisons. Si un navire est notoirement chargé de marchandises volées, on ne peut en acheter. Si des revendeurs d’habits prennent des vêtements qu’ils ont lieu de croire volés, nous leur disons de restituer. Or ici est publica vox et fama a fide dignis orta, quod magna pars horum JEthiopum sint injuste capti. Et en outre : ciim posscssio libertatis sil naturalissima et magis antiqua in homine… polius est præsumendum pro libertate illorum, dum non constat contrarium. Sanchez ajoute : telle est l’opinion que tiennent d’excellents maîtres de Salamanque, Séville, Lisbonne, et apud Mcxicanam provinciam lenuere non pauci, neque parum docti receniiores magislri de hac re consulli.

Molina n’est pas moins ferme. Si les marchands ne

veulent point examiner d’où viennent leurs esclaves, qu’ils renoncent à leur commerce : Cum confiteantur yEthiopes vendere quam plurimos prædiclo modo injuste in servos. Dans un commerce avec des hommes qui ont la réputation fondée d’être des voleurs, on ne peut pas acquérir de bonne foi.

De la part de ceux qui ont droit et devoir d’intervenir, il y a un silence et des procédés qui feraient croire à une tolérance sij^nilicative. Rebello, q. x, n. 4, affirme qu’un particulier peut, en achetant des esclaves, procéder de très bonne foi, puisque nec ad eum speclel inquisitio tituli talis servitutis, sed ad regem regisque ministros, qui istud commercium permittunt, et inde rccipiunt tributum. Cf. n. 15.

De cette connivence du pouvoir public, Avendano cherche à scruter les motifs, tit. ix, c. xii, n. 196 : Princeps ergo permittil quia illi de manifesta injustiiia non constat ; raliones habet ut permittat, majorum damnorum evitandorum causa. Il remarque d’ailleurs que les marchands ont parfois des auxiliaires inattendus, tit. V, c. xviii, n. 145.

D’après Molina, le roi, les gouverneurs, les évêques du CapVert et de l’île Saint-Thomas, les confesseurs, singulos in suo gradu et ordine teneri curare, ut res hœc examinetur, et statuatur quid liceat, et quid non liceat, et ut injustitiie in posterum resecentur : nisi eis aliquid quod me lateat, in fado ipso innotescat, aut principia alia eis eluccant, quæ ego ignorent, disp. XXXV, n. 16. Molina rappelle encore que le conseil de conscience avait tracé au roi de Portugal ce qu’il pouvait faire ; si ces règles avaient été sui’ies, il n’y aurait eu aucune injustice, disp. XXXIV, n. 9.

Tout cela est si incertain que des interprétations opposées résultent d’exposés analogues. Y a-t-il eu bonne foi jusqu’ici ? Rebello répond : oui, hactenus regulariter e.xcuscdos fuisse credendum est propter ignorantiam fraudis, n. 42. Molina répond : je crois que non : negotiationem hanc… injustam, iniquamque esse, omnesque qui illam exercent lethaliter peccare, esseque in statu œternæ damnationis, nisi quem invincibilis ignorantia excuset, in qua neminem corum esse afflrmare auderem, disp. XXXIV, n. 16.

C. Les conclusions pratiques. — L’acheteur a procéde de bonne foi ; s’il vient à douter, et ne peut éclaircir le problème, il peut garder l’esclave ; si les recherches aboutissent à prouver que celui-ci a été volé, il faut l’affranchir, et lui rendre la valeur de son travail.

L’acheteur avait une conscience incertaine : il doit réparer, arbilrio prudentis, proportionnellement au tort causé par sa négligence.

L’acheteur était de mauvaise foi : il a péché gravement, et s’il n’a rien surgi qui l’ait justifié après coup, il doit affranchir l’esclave (Rebello, Molina).

Celui qui a acheté un seul esclave doit chercher à en savoir la provenance. Si plusieurs acquéreurs l’ont précédé, la vérification est impossible ; qu’il garde l’esclave. Si l’acheteur est en Portugal, qu’il s’en repose sur la responsabilité du gouvernement et garde l’esclave (Sanchez, Molina).

Que feront les confesseurs, là où on leur dira : Sans esclaves, plus de culture, plus de troupeaux. Si les pénitents sont de mauvaise foi, impossible de les absoudre ; s’ils sont dans le doute, il faut leur déclarer directement ce qui en est ; s’ils sont dans la bonne foi et si l’on craint une faute formelle, dissimuler. Avendano, tit. I, c. XI, n. 122.

Rien ne peint mieux les complications et l’obscurité de la question que l’embarras d’Avendano, lorsqu’il doit donner son dernier avis, tit. ix, c. xir, n. 203. Après avoir redressé, point par point, ce qui, dans les discussions si copieuses et si fermes de Sanchez et de Molina, pouvait tant soit peu paraître favorable