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ESCLAVAGE


la fin du xve siècle et au xvie siècle était ce que l’on peut supposer, d’après l’état général de l’Église-Pie II s’en plaint déjà, à propos de la Guinée : Lalius divinus ciillus effluruissel in lis oris, si sacerdotes ad (inimarum poliiis hicva qiiam ad Inimana commoda Juissent iiitenli. Raynaldi, an. 1462, n. 42. Le premier évêque du Brésil, Pedro Fernandez Sardinho, en 1552, doit soutenir une lutte violente contre son clergé, qui publiquement déclarait l’esclavage permis. Cf. Vieyra, Sermons, t. i, p. 314-315.

Apres la conquête et jusqu’à l’abolition.

1. Lois

civiles, asienlos et Code noir. — Les asienlos, ou monopoles pour l’importation des nègres dans les colonies espagnoles, se succédèrent presque sans interruption. L’Espagne en conclut de 1517 à 1580, de 1595 à 1639, de 1662 à 1696. En 1696, Vasiento est conclu avec une compagnie portugaise qui se charge de fournir dix mille tonnes de nègres. De 1702 à 1712, la France se charge de fournir « ces pièces d’Inde » . De 1713 jusqu’à 1734, c’est l’Angleterre qui fournit « le bois d’ébène » ; elle conclut un arrangement si avantageux qu’elle faillit déclarer la guerre en 1743, parce que l’Espagne refusait le renouvellement de ce traité. A. Cochin, Abolition de l’esclavage, t. ii, p. 282-289.

Quel a été à peu près le nombre des victimes de la traite ? Les auteurs les plus sérieux sont d’accord pour évaluer à 40 millions le nombre d’Africains transportés en Amérique en trois siècles, et à plus de 20 "/„ le nombre des morts pendant la traversée. Ibid., p. 74.

Le Code noir, paru en 1685, et œuvre de Colbert (mort deux ans plus tôt), énonce sans hésitation des sanctions rigoureuses parfois jusqu’à la barbarie. Villault de Bellefond rapporte que chez les nègres on appliquait aux fugitifs les peines que le Code noir contient pour ce même délit : 1° fois, on coupe l’oreille ; une 2 « , le jarret ; une 3 « , peine de mort. Il n’appartenait pas à des chrétiens de rien emprunter à ces lois barbares. Mais le Code noir, , contient une législation qui n’est pas indifférente à l’âme et à l’honneur de l’esclave… ; « il faut reconnaître que la loi, ici, est infiniment au-dessus des mœurs, » écrit H. Martin, Hist. de France, t. xiii, p. 556. C’est que la loi s’inspirait de la civilisation chrétienne de la métropole et que les mœurs étaient le plus souvent celles des mauvais riclies.

2. La pratique de la traite.

Les moralistes en ont appris des témoins quelques détails. En Afrique, rapporte Molina, voici comment les négriers pressaient les retardataires : Fertur eniin prsescindi interdum bracchium unius, mortuumque relinqui ; eo vero tanquam /lagello, alios perculi atque agi. Disp. XXXV, n. 18. Rebello parle de la traversée : in navigatione, ipsa sœpe major pars eorum misère péril : …cauernis navium crudeliler reclusi, suomet pœdore suffoeati intereunt ; quo circa referl Thomas Mercado (1. II, De contr., c. xx) ex 400 una et eadem nocte plus quam 130 suo intolcrabili adore inter cauernas unius navis sufjocatos fuisse, et cum viginti tantum ad Indias occideniis merealorem quemdam suum amicum pervenisse. Opus de obligationibus justitiæ, q. x, n. 17.

Où et comment se trouvaient ces malheureux nègres, un dominicain, habitant l’Amérique, l’écrivait à la lin du xviie siècle : les petits rois envoient les marchands européens dans les villages de leurs voisins, et même dans ceux de leur dépendance pendant la nuit, oùils enlèvent tout ce qu’ils attrapent d’hommes, de femmes, d’enfants, et les conduisent au vaisseau ou comptoir du marchand à qui on les doit livrer, qui les marque aussitôt avec un fer chaud, et ne manque pas de les mettre aux fers. Labat, O. P., Nouveau voyage aux îles de l’Amérique, t. iv, p. 116.

En Amérique, quelques-uns des nègres, dira le P. Labat, « se désesjjèrent, se pendent, se coupent la

gorge, sans façon pour les sujets médiocres, le plus souvent pour faire de la peine à leurs maîtres, étant prévenus qu’après la mort ils retournent dans leurs pais, et ils sont tellement frajjpés de cette folle imagination qu’il est impossible de la leur ôter de la tête. «  Labat, t. i, p. 446. Ils cherchent l’oubli dans l’usage de l’eau-de-vie : « la consommation qui s’en fait passe l’imagination ; tout le monde en veut boire ; le prix est la dernière chose de quoi on s’informe. « Labat, t. III, p. 515.

3. Action de l’Église. — Les conciles n’avaient pas omis de rappeler aux maîtres de nègres leurs devoirs. Le I"’concile de Lima, en 1582, act. ii, can. 36, rappelle leur indépendance relativement au mariage : Servi Mthiopes ncque contrahere matrimonia, neque contractis uti a suis dominis prohibeantur…, non enim débet lex matrimonii naturalis per legem scrvitutis humanse derogari. Cf. can. 20. La nécessité de les faire instruire est plusieurs fois inculquée. Le VIP synode de Lima, en 1592, can. 9 : curent quod singulis diebus doctrinam sigillatim doceantur. Le VHP de 1594, can. 5 : per singulos dies ad ccclesiam instruendos accedere facient. Celui de 1582, act. II, can. 7, défend d’accompagner, même comme aumôniers, les expéditions de conquête ; can. 43 : Caveanl scoUe oceasione, ne illorum servitute atque operis abutantur, neve eos pabulatum ligmdumquc mittant ; act. V, can. 4 : ut Indi polilice vivere instituantur. Le concile de Mexico, en 1585, 1. III, tit. ii. De administr. sacram., can. 3, ordonne de ne pas priver de la sainte eucharistie, Indos et servos, qui lunquam purvuli recens in christiana fide nati, lam salutari indigent alimenta. Concile de Lima de 1594, can. 4, on faisait parfois les repariimientos avant la messe ; aussi les Indiens n’y venaient plus.

A Carthagène, véritable entrepôt de nègres, se sont distingués par leur charité apostolique envers les nègres : le P. Alphonse de Sandoval, S. J., qui en sept ans baptisa 30 000 nègres ; saint Pierre Claver, qui s’adonna pendant trenteneuf ans à ce ministère. Il avait signé sa formule de profession : Pierre, esclave des nègres pour toujours. L’Église a dit dans la bulle de sa canonisation s’il avait tenu parole : Qua in re quantum uirtute cttque incredibili rerum gestarum tum arduitate tum amplitudine præstiierit, vix dici potest… hominum ejus generis ter centum millia eoque amplius sua manu sacro baplismaie abluisse… Accedebat… non modo virtutum omnium cumulus, sed etiam ianta supernorum charismatum copia, quanta paucis etiam Sanctis obtigil.

Le P. Labat témoigne du mauvais exemple donné par les Européens établis en Amérique : « Les Européens ne leur donnent pas une grande estime de notre religion, parce qu’il n’y a rien au monde de plus affreux que la vie qu’ils y mènent. Il ne faut pas croire que ce que je dis ici ne regarde que les Anglais, Hollandais, ou autres peuples séparés de l’Église catholique. Les catholiques qu’on appelle Romains n’ont rien à reprocher aux autres sur cet article, quoiqu’ils aient infiniment à se reprocher eux-mêmes. » Voyage aux îles de l’Amérique, t. iv, p. 126. Le même auteur témoigne cependant en plusieurs endroits du soin donné à l’instruction religieuse des nègres.

En 1683, au nom d’Innocent X et de tout le sacré collège, le cardinal Cibo se plaint aux capucins, missionnaires à la côte d’Angola, de voir la traite subsister ; qac pouvaient les missionnaires ? Les négriers anglais et hollandais leur étaient hostiles, les gouvernements catholiques s’inspiraient plus de vues politiques ou philosophiques que d’esprit clirétien ; les prêtres, employés par les Compagnies coloniales, n’étaient le plus souvent que des gyrovagues ou des fugitifs.