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ESCLAVAGE

nature, ne s’appartient pas à lui-même, mais qui, tout en étant homme, appartient à un autre, celui-là est naturellement esclave… Quand on est inférieur à ses semblables autant que le corps l’est à l’âme, la brute à l’homme ; et c’est la condition de tous ceux chez qui l’emploi des forces corporelles est le seul et le meilleur parti à tirer de leur être, on est esclave par nature. Pour ces hommes-là, ainsi que pour les autres êtres dont nous venons de parler, le mieux est de se soumettre à l’autorité d’un maitre… L’utilité des animaux privés et celle des esclaves sont à peu prés les mêmes… Quoi qu’il en puisse être, il est évident que les uns sont naturellement libres et les autres naturellement esclaves, et que, pour ces derniers, l’esclavage est utile autant qu’il est juste. Du reste, on nierait difficilement que l’opinion contraire ne renferme aussi quelque vérité… On est maitre, non point parce

« qu’on sait commander, mais parce qu’on a certaine

nature ; on est esclave ou homme libre par des distinctions pareilles. » Politique, trad. Barthélemy Saint-Hilaire. l. I, c. x, p. 16-23. Cf. ibid., p. 43, 45, 93. Voir aussi De cura rei familiaris, i, 5, des conseils d’une sagesse humaine pour assurer un rendement maximum des esclaves.

On retrouve, dans Caton l’Ancien, cette même morale, d’où l’intérêt bannit certaines injustices ; mais l’attention du vieux censeur à n’acheter que des esclaves jeunes, et qu’il fût encore possible de dresser : ὠνούμενος μάλιστα τοὺς μικροὺς καὶ δυναμένους ἔτι τροφὴν καὶ παίδευσιν ὡς σκύλακας πώλους ἐνεγκεῖν, son attention à préférer les esclaves endormis comme instruments plus maniables, à les maintenir divisés : ἀεὶ δέ τινα στάσιν ἔχειν τοὺς δούλους ἐμηχανᾶτο καὶ διαφορὰν πρὸς ἀλλήλους, ὑπονοῶν τὴν ὁμόνοιαν καὶ δεδοικώς, la précision enfin avec laquelle il combinait quelque latitude et plus de rigueur, en vue d’un plus grand rendement : tout cela est étranger à toute espèce d’humanité. Plutarque, Cato Major, xxi.

De cette âpreté au gain et de ce mépris tranquille, il ne pouvait résulter aucune confiance mutuelle, et la maxime de Cicéron formulerait assez bien la relation des maitres et des esclaves entre eux : Quem metuit ; quis, odit quem odit, periisse cupit. De officiis, ii. Pline le Jeune, après avoir raconté l’assassinat de Macedo, exprime une inquiétude naturelle chez les maîtres : nec est, quod quisquam possit esse securus. Epist., iii, 14.

Sous l’influence des philosophes stoïciens, on trouve l’expression d’autres idées. Sénéque a écrit le plus éloquent peut-être de ces plaidovers d’une sagesse toute humaine : communauté de nature, origine fortuite de l’esclavage, injustice des traitements prodigués aux esclaves, véritable esclavage des hommes libres asservis à un vice, tout est exprimé avec relief : Servi sunt ? immo homines. Servi sunt ? immo contubernales. Servi suni ? immo conservi ; si cogitaveris tantumdem in utrosque licere fortuna……Nescis qua ætale Hecuba servire coperit… Nulla servitus turpior est quam voluntaria… Epist., xlvii. Cf. Dion Chrysostome, Orat., xv ; Macrobe, Saturnales, i, 11 ; ce dernier reproduit littéralement plusieurs phrases de Sénèque et ajoute force exemples de grandeur morale chez des esclaves.

L’idée d’une égalité réelle de tous les hommes était chère aux stoïciens ; il n’y a de servitude déshonorante que la servitude volontaire des passions. Il se peut très bien concéder une efficacité relative de ces nouvelles manières de voir ; mais à juger les philosophes par les témoignages qui émanent d’eux-mêmes, on voit combien leur action est imparfaite. Épictéte juge son œuvre en pessimiste, et Lucien ne voit dans la plupart des philosophes qu’une matière à raillerie.

Hadrien défend de tuer volontairement un esclave ; mais Spartien nous a dit les antécédents d’Hadrien : Corrupisse eum Trajani libertos, curasse delicatos, eosdemque sepelisse per ea tempora, quibus in aula familiarior fuit, opinio multa firmavit. Et à propos de la mort de son favori Antinoe, un historien écrivait :

« L’affection d’Hadrien était un scandale, et sa douleur fut une honte. » Duruy, Hist. des Romains, t. v,

p. 92. Trajan, lui aussi, adonné au vice grec, Duruy, Hist. des Romains, t. iv, p. 776, note 1, donnait en spectacle au peuple, durant les 123 jours de fête qui suivent son retour de Dacie, innumerabiles gladiatores. Et s’il y a, dans les lois de cette période impériale, trace indéniable de préoccupations étrangères aux âges précédents, Dig., i, vi, 1 ; VII, i, 15 ; XVIII, i, 42 ; XL, iv, 4 : humanitatis intuitu ; XLVIII, vii, 2 ; XLVIII, xvi, 1 ; Code justinien, II, xii, 10 ; IV, lvi, 2, etc., on songe malgré soi au : Quid leges sine moribus ? Claude affrenchit l’esclave malade que son maître rejette ; c’est tort bien, mais où va habiter cet affranchi ? Julien l’Apostat cherche à se procurer les manuscrits de l’évéque d’Alexandrie : « use auprés d’eux de tous les moyens, de tous les serments ; ne te lasse point de mettre les esclaves à la torture. » Œuvres, trad. Talbot, 1863, p. 396. Un auteur moderne, après avoir rappelé les condamnations formulées contre l’esclavage par Cicéron, Sénéque et Lucien, ajoute : « Il semblerait donc qu’il n’y eût qu’un pas à faire pour affirmer la nécessité de mettre fin à un vice social si contraire à la nature et à l’humanité. Cependant, ni les philosophes, ni les moralistes ne franchirent ce pas ; ils restèrent toujours, par rapport à la pratique, à la distance qui sépare une sentence philosophique d’une conclusion juridique. » Ch. Guignebert, Tertullien, p. 370.

Les lois. — Aux yeux de la loi, l’esclave est absolument dénué de droits. Marquardt, La vie privée des Romains, t. i, p. 209. C’est l’axiome : Servile caput nullum jus habet. Dig., IV, v, 3, 1. Utpien : Quod attinet ad jus civile, servi pro nullis habentur : non tamen et jure naturali, quia, quod ad jus naturate attinet, omnes homines equales sunt. Dig., L, xvii, 32. Gaius, i, 52 : In potestate itaque sunt servi dominorum. Quae quidem potestas juris gentium est ; nam apud omnes peræque gentes animadvertere possumus dominis in servos vit necisque potestatem esse ; et quodcumque per servum adquiritur, id domino adquiritur. Gaius, ii, 13 : Corporales hæ sunt quæ tangi possunt, velut fundus, homo, vestis, aurum, argenium, et denique aliæ res innumerabiles. Dig., VI, i, 15, 3. Si servus petitus vel animal aliud…

Pas de justæ nuptiæ. mais seulement le contubernium que le maitre pouvait dissoudre à son gré. Un rescrit d’Antonin le Pieux, cité par le Digeste, indique que l’intérêt pourra inspirer aux maitres une certaine humanité : Dominorum quidem potestatem in suos servos illibatam esse oportet…, sed dominorum interest, ne auxilium contra særitiam, vel famem, vel intolerabilem injuriam denegetur his qui juste deprecantur. Aucun droit certain ni à la vie, ni à l’honneur, ni à la vie de famille. L’usage, dont on cite des exemples sous l’empire, d’introduire dans son testament une clause expresse pour interdire de séparer de leurs femmes les esclaves mariés : Omnibus autem libertis meis… contubernales suas, item filios, filias lego, Scevola, Dig., XXXII, i, 41, 2. indique assez que jusqu’alors la pratique contraire avait prévalu. Mais quel ensemble de menaces contient la loi contre les esclaves ? Tacite, Ann., xiii. 32 : Factum est et S. C., ultioni juxta et securitati, ut si quis a suis servis interfectus esset, ii quoque qui testamento manumissi sub eodem tecto mansissent, inter servos supplicia penderent. Dig., XI. iv. 5, à propos des esclaves fugitifs : Nam Divus Pius rescripsit, omnimodo eos dominis suis