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ERIGENE


anges sont quasi cgyigi, c’est-à-dire auprès de Dieu, ^9 ! /is (iyy)^) siquiclem (jvœcc dicitur jiixta, la trouvaille n’est pas heureuse et le mot est mal venu. Mais d’autres vocables, forgés par lui, ont eu plus de réussite. C. Huit, Le platonisme ini moyen âge, dans les Annales de philosophie chrétienne, Paris, 1889, nouv. série, t. xxi, p. 38, note 3, relève, d’après Eucken, « parmi ses créations, cxistentia, supermundanus, supernaturalis, intuitus rationis, et, parmi les expressions propres à son système, explicatio, processio, convoliUio, etc. »

3° Ériiigènc est-il le « père de la scolastique » ? — C’est là une de ces formules qui se répètent couramment et qui demandent à être bien comprises. D’abord, il faudrait s’entendre sur la notion de la philosopliie scolastique. Si l’on n’identifie pas la philosophie scolastique et la philosophie médiévale, si, conformément à la thèse brillamment soutenue par M. de Wulf, on admet que la philosophie scolastique est « une synthèse où toutes les questions que se pose la philosophie sont traitées, où toutes les réponses sont harmonisées, se tiennent et se commandent, » Ériugène, loin d’être le père de la scolastique, doit être appelé « le père des antiscolastiques. Sa philosophie contient en germe toutes les tendances qui, jusqu’à la fin du xiie siècle, viendront enrayer la doctrine scolastique. » M. de Wulf, Histoire de la philosophie médiévale, 2^ édit., Louvain, 1905, p. 127, 160, cf. p. 179 ; et Introduction à la philosophie néo-scolastique, Louvain, 1904, p. 33, 60-61, 73, 95. Se refuse-t-on à accepter la thèse de M. de Wulf, comme l’a fait le P. Jacquin, dans la Revue d’histoire ecclésiastique, Louvain, 1904, t. V, p. 429-431 ; cf. la réponse de M. de Wulf, p. 716720, et la réplique du P. Jacquin, p. 720-724 ? Ce n’est qu’en usant de distinctions qu’il sera légitime de qualifier Ériugène de père de la scolastique. Il l’est en ce sens que, le premier des écrivains du moyen âge, il a attribué à la philosophie cette importance que les scolastiques lui reconnaîtront. Il a indiqué une direction dans laquelle tous les scolastiques se sont engagés. Aussi est-il naturel que les historiens de la philosophie datent de lui les commencements de la scolastique. Cf. Ueberweg-Hcinze, Grundriss dcr Geschichte der Philosophie dcr patristischen und scholastischen Zeit, p. 161 ; C. Bâumker, Die curopciische Philosophie des Mitlelalters, dans Allgemeine Geschichte der Philosophie (Die Kultur derWisscnschaft), Berlin, 1909 ; M. Grabmann, Die Geschichte der scholastischen Méthode, Fribourgen-Brisgau, 1909, t. i. Il ne l’est pas par une influence doctrinale directe. Son système reste en dehors du grand courant de la pensée du moyen âge. Il a rendu des services par sa traduction du pseudo-Aréopagite ; ses idées personnelles n’ont eu qu’une action restreinte ou néfaste. Il y a plus : si inférieurs qu’ils lui fussent, si médiocres qu’aient été les résultats de leur activité intellectuelle, quelques-uns des contemporains d’Ériugène, un Raban Maur, un Alcuin, im Prudence de Troyes, furent en avance sur lui ; pendant qu’il maintenait la confusion entre la philosophie et la théologie, eux, à travers les incertitudes et les maladresses d’une spéculation inexpérimentée, distinguaient entre les connaissances dues à la raison naturelle et celles qui proviennent de la révélation divine, inaugurant de la sorte une nouvelle et féconde période et préludant à des progrès qui devaient s’affirmer magnifiquement dans l’œuvre de saint Thomas d’Aquin. Cf. W. Turner, Erigena and Aquinas, dans The catholic University bulletin, Washington, 1897, t. III, p. 340-344. A ce point de vue, Scot « a été en retard sur son temps et son milieu. » G. Brunhes, La foi chrétienne et la philosophie au temps de la renaissance carolingienne, p. 181. En toute hypothèse, même en lui faisant la part très large, on ne saurait accep ter qu’avec les réserves qui précèdent cette phrase d’É. Gebhart, L’Italie mystique, 1890, p. 57 : Les deux grandes directions de la vie intellectuelle jjartent l’une de saint Augustin, l’autre de Scot Érigène. »

IV. Influence.

Les contemporains.

Xous

avons vu que le pape Nicolas I demanda à Cliarles le Chauve que la traduction de l’Aréopagite par Jean Scot Ériugène fût soumise au Saint-Siègs, d’autant plus que l’auteur passait pour un homme de grande science, sed non sane sapere in quibusdam frequenti rumore dicatur. Sur quoi portaient ces rumeurs ? Le ]iape avait-il des échos de la poésie d’Ériugène injurieuse pour Rome et les papes, qui termine la traduction du pseudo-Dcnys, P. L., t. cxxii, col. 1194 ? C’est douteux. Il est plus probable que Nicolas I’^"’avait entendu parler des théories d’Ériugène sur l’eucharistie ou sur la prédestination. Il est sûr que ces théories lui valurent des attaques de ses contemporains. Adrevald, moine de Fleury, écrivit contre ses « inepties » eucliaristiques ; ses doctrines en matière de prédestination furent vivement combattues par Florus et saint Rémi de Lyon, par saint Prudence de Troyes, par Hincmar, et son traité De prædestina/(’oncfut condamné parles conciles de Valence (855) et de Langres (859). Très durs pour Ériugène, le concile de Valence, can. 6, stigmatisait ineptas quæsliunculas et aniles pêne fabulas Scotorumque pultes puritati fidei nauseam inferentes, Labbe et Cossart, Sacrosancta concilia, Paris, 1671, t. viii, col. 138 ; cf. Bossuet. Relation sur le quiétisme, xi, 10, dans Œuvres, édit. Lâchât, Paris, 1864, t. xx, p. 170, et celui de Langres, can. 4, le déclarait non seulement étranger à la théologie, mais tout à fait ignorant de cette philosophie qui lui valait les éloges arrogants de certains, ut arroganter a quibusdemi jætedur. Labbe et Cossart, col. 690. Sur toute cette question du prédestinianisme, voir 1. 1, col. 2527-2530. Ces derniers mots prouvent que Scot avait des admirateurs. Nous sommes moins renseignés sur eux que nous ne le souhaiterions. Nous savons que de Rome, et du voisinage de ce Nicolas P"’qui se montra ému de la traduction de l’Aréopagite, vint, à cause de cette même traduction, à Charles le Chauve une lettre très louangeuse pour Jean Scot. L’auteur en était Anastase le bibliothécaire. Il y disait : Mirandum est quomodo vir ille barbarus, qui, in finibus mundi posiius, quanta ab hominibus conversatione, tanto credi potuit alierius linguæ diclione longinquus, talia intellectu capere in aliamque linguam transferre valuerit : Jocmnem innuo Scotigencmt, virum quem auditu comperi per omnia sanctum. Sed hoc opercdus est ille artifex Spiritus qui nunc ardenlem pariter et loqucnlem fecit. P. L., t. cxxii, col. 1027-1028. Charles le Chauve paraît être resté fidèle à Jean Scot. Heiric d’Auxerre, né en 841, mort vers 877, se rattache à l’école philosophique de Scot. « D’après une tradition, peu certaine, il est vrai, du xe siècle, Heiric aurait été l’élève de l’Irlandais Elias, évêque d’Angoulêmc, lequel, toujours d’après cette tradition, aurait eu lui-même Ériugène pour maître. Cette tradition n’est point invraisemblable en tant qu’Heiric se montre effectivement très versé dans la philosophie de Jean Scot. » A. Ébert, Histoire générale de la littérature du moyen âge en Occident, trad. Aymeric et Condamin, t. ii, p. 315, cf. p. 319-320. « Dans un texte depuis longtemps célèbre, mais qui a été emprunté, comme on le sait, par Hauréau, à Jean Scot, Heiric exprime, en termes énergiques et convaincus, une doctrine qui est l’antécédent du Cogito, ergo sum. » F. Picavet, Esquisse d’une histoire générale et comparée des philosophies médiévales, p. 184. Heiric s’inspire tout particulièrement de Scot, dans ses gloses sur Martianus Capella. Cf. Rand, Johannes Scottus, p. 1518, 83-84. Enfin nous savons que l’école palatine, du