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ÉRIGÈNE


pure et le rôle de la voloiile d’une part, non plus qu’entre l’œuvre de l’iionime et celle de Dieu ; l’âme tout entière, collaborant avec la grâce divine, s’élève dans la connaissance religieuse qui est à la fois la connaissance philosophique. » G. Brunhes, op. cit., p. 173. En cela encore, il se conformait à ses devanciers. C’était une habitude ancienne de considérer la nature de l’homme, non pas telle qu’elle est par ses principes constitutifs, mais telle qu’elle sortit des mains de Dieu, revêtue île la justice originelle et enrichie de la grâce, et d’envisager le travail commun de ces agents divers : intelligence et volonté de l’homme, grâce divine, dans leur unité vivante, sans se préoccuper beaucoup des forces de la nature humaine livrée à elle-même. Toutefois Scot, tout en étudiant d’ordinaire l’homme concret, historique, tel que Dieu le créa, muni de la nature et doté de la grâce, ne méconnaît pas la différence entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel et ne conteste pas, quoi qu’en dise Schwane, Dogmengeschichte, t. iii, p. 441 ; trad. A. Degert, t. v, p. 168, « l’absolue nécessité de la grâce pour cette élévation de l’homme à l’état surnaturel. » Pour s’en convaincre, il suffira de citer, entre plusieurs autres, ce passage du De divisione naturæ, 1. V, c. xxiii, col. 904, où, ayant dit que la déification n’est donnée qu’à la nature humaine et à la nature angélique, et, dans ces natures, aux bons seulement, il poursuit : donum gratix ncqiie inlra Icnninos conditæ nalwec coniincliir, ncqiic sccundiim natiiralem virhiiem opcratur, sed supcressenticdiler ci ultra omnes crcatas natundes ralioncs cffectiis siios pcragit. Nous avons vii, par ailleurs, que les textes de Scot sur le rôle de l’autorité et de la raison n’ont pas une portée rationaliste, et qu’il parle en chrétien convaincu de la nécessité d’adhérer à la foi catholique. Il se croit si bien le défenseur de la foi qu’il multiplie les invectives contre Gottschalk « l’hérétique » et ce qu’il appelle sccta diabolici dogmedis. Certes, il a confiance dans la raison, c’est un esprit audacieux et, comme s’exprime Saint-René Taillandier, Scot Érigène, p. 65, « audacieux naturellement, par la seule pente de son génie. " Il tient en haute estime la dialectique, venue de Dieu, pense-t-il, cf. G. Robert, Les écoles et renseignement de ta théologie pendant la première moitié du A’//e siècle, p. 91 ; il en use et en abuse. En tête de son De prædestinatione, par exemple, il inscrit ces paroles provocantes, c. I, col. 357 : Quadrivio regularmn totius phitosopliiæ quatuor omnem qmestioncm solvi, qu’il atténue, dès ce premier chapitre, col. 358, en disant qu’il va détruire les dogmes des hérétiques vcris rationibus sanctorumquc Pcdrum auctoritate, et, dans tout le traité, en se servant des Pères et de l’Écriture ; mais ses adversaires. Prudence de Troyes, De prædestinatione contra Joannem Scotum, c. i, et rccapitulatio, P. L., t. cxv, col. 1011-1015, 1352-1353, et Florus de Lyon, Liber adversus Joannem Scotum, c. i, P. L., t. cxxix, col. 104, ne voient pas ces atténuations ou les estiment insuffisantes, et lui reprochent d’accorder trop aux philosophes au détriment de ce qui est dû à l’Écriture et aux Pères. La critique n’est pas sans fondement. Scot interprète à sa façon et tire à soi l’Écriture ; il allégorise avec une audace que rien n’arrête. Sous prétexte que l’Écriture et les Pères s’accommodent à l’intelligence grossière des lecteurs ou des auditeurs, il se débarrasse plus d’une fois des textes qui le gênent. Et il tombe dans de nombreuses et de lourdes erreurs. Scot est hétérodoxe. Mais il n’a pas soutenu avec obstination des erreurs condamnées par l’Église ; il n’est pas hérétique. Cf. W. Turner, Was .John the Scot a heretic ? dans The irish theological quaricrhj, octobre 1910, p. 391-401.

2. Est-il panthéiste ? — Que Jean Scot soit panthéiste, c’est une chose assez communément admise. Voir, par

exemple, l’exposé de ses doctrines par C. Schinidt, Précis de l’histoire de l’Église d’Occident pendant le moyen âge, Paris, 1885, p. 68-71, ou par A. Weber, //istoire de la philosophie européenne, 7e édit., Paris, 1905, p. 205-211, tendant à démontrer qu’elles procèdent de l’émanatisme de l’école d’Alexandrie. B. Hauréau, dans Notices et extraits des manuscrits de la Bibliotlièquc nationale, Paris, 1906, t. xxxviii, 2 « partie, p. 413, souligne de la sorte un passage de Scot : « Il n’est guère possible de se dire plus résolument et plus naïvement panthéiste. » Dans Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque impériale et autres bibliothèques, Paris, 1862, t. xx, 21= partie, p. 18, il avait écrit : « Le réalisme vraiment panthéiste de Jean Scot… vient directement d’Alexandrie…, de Proclus, » et, dans son Histoire de ta philosophie scolastique, Paris, 1872, 1. 1, p. 151, il l’avait nommé : « cet autre Proclus, à peine chrétien » . Il serait facile d’apporter des citations de ce genre sans nombre. A première vue, ce langage paraît justifié. Les formules d’apparence panthéistique abondent dans les œuvres de Scot. Il dit et redit, de mille façons, que toutes choses sortent de Dieu, qu’elles sont dans les idées divines, que les idées sont en Dieu, tirées de Dieu, et Dieu même, qu’elles sont dans le Verbe et engendrées avec lui, que Dieu est l’être de toutes choses, que toutes choses, issues de Dieu, retourneront en lui. X’est-ce point l’expression franche du plus rigoureux pantliéisme ? Quand on y regarde de près, on conçoit des doutes. On se rend compte, d’abord, que ces formules, et d’autres semblables, sans en excepter les plus hardies, il les emprunte, pour la plupart, à des écrivains orthodoxes, surtout au pseudo-Aréopagite, et que des écrivains orthodoxes les ont employées après lui. Voir t. III, col. 2074-2075, 2153-2163 ; ’t. iv, col. 434, 1118-1127, 1161-1162, 1191-1192, 1195 ; P. Rousselot, Pour l’histoire de l’amour au moyen âge, ^Munster, 1908, p. 33. Darboy, Œuvres de saint Denys l’Aréopagite traduites du grec, Paris, 1845, p. cxlvii, a émis cette idée banale, mais trop souvent tombée dans l’oubli, que les propositions d’Ériugène, « comme celles de Denys, comme celles de tous les livres et de tous les hommes, ne doivent pas être appréciées isolément et en dehors du système total dont elles font partie, et où elles trouvent leur signification définitive et leur valeur complète. » A être replacées dans l’ensemble du système ériugéniste, ces formules donnent-elles l’impression de contenir le panthéisme ? Saint-René Taillandier, dont le livre est ancien et présente des lacunes, mais qui a traité de Scot d’une manière si intelligente, ne le pense pas. Scot Érigène, p. 188-200, 208216, 238-241. Quand Scot parle de l’union dernière avec Dieu, il s’applique « à maintenir la permanence de la personne humaine… On a pu remarquer les comparaisons qu’il emploie pour faire comprendre cette ineffable union, ces comparaisons du fer qui disparaît dans la flamme, de l’air qui disparaît et pourtant subsiste toujours dans la lueur du soleil qui l’inonde… Lorsque…, dans son langage hardi, il parle de la proeessio des êtres hors de Dieu…, il proclame le principe chrétien de la volonté divine… ; dans cette volonté il voit la bonté, l’amour… ; le créateur, dans sa bonté, appelle le monde du néant à l’existence… Enfin, quand il montre ce Dieu, ce courant de l’être et de la vie, traversant toutes choses, animant, soutenant, enveloppant tout, il rappelle sans cesse que jamais il n’y a de confusion entre le créateur et la créature, » p. 191, 192. Scot professe le réalisme et n’évite pas tous les écarts du réalisme ; quand il affirme que toute l’humanité retournera en Dieu, parce que la nature humaine est une, simple, indivisible, et qu’il est impossible de faire deux parts en elle, d’un côté les élus, de l’autre les maudits, il semble bien proche du panthéisme.