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ÉRIGÈNE


éclaires, de l’aulorilé qui guide les simples. Or, de quelle autorité s’agit-il ? Des Pères, qui expliquent le sens de l’Écriture, c. lxvii, col. 511, des Pères (ici vient le passage du c. lxix, sur l’antériorité de la raison et sur l’infu-niité de l’autorité qui ne s’appuie pas sur la raison), qui, s’ils éclairent les simples sur le sens de l’Écriture, n’ajoutent aucune force à la vraie raison et qui peuvent même, dans tel ou tel cas, être en désaccord avec la vraie raison. Dans ce cas, ils ne constituent point la vraie autorité. Nil enim aliud milii vidchir esse vera aueloritas nisi ralionis virtiile repcrla vcrilas et a sanctis Palribiis ad posleritaiis iitililatem titlcris commenduUt. Ainsi nous a ons, d’une part, l’Écriture qui s’impose à tous et toujours, et, d’autre part, la vraie raison, et la vraie autorité c’est-à-dire les Pères s’accordant avec la vraie raison. — 4. La « vraie raison » . — Évidemment, si par là Jean Scot entend la raison individuelle livrée à elle-même, à ses caprices et à sa faiblesse native, l’autorité des Pères est compromise sur toute la ligne et la foi est ébranlée. Telle n’est pas l’idée qu’il s’en forme. Le mot « raison » ne désigne pas la pensée individuelle abandonnée à ses forces, mais le second stade de l’ascension de l’esprit vers la vérité, les sens étant le premier stade et l’intelligence le stade ultime. La raison hoc illiid solummodo de Deo incognito qiiidem cognoscil quod omnium quæ sunt causa sil, et quod primordiales omnium causæ ub co et in co œtcrnaliter conditæ sint, earumque causarum, quantum datur ei, intellectarum ipsi animée, cujus motus est, cognitionem imprimit. De divisione naturæ, 1. II, c. xxiii, col. 576. Mais la raison n’arrive pas à ce résultat toute seule. Elle saisit la vérité divine dans des théophanies, ou manifestations de l’incompréhensible lumière de Dieu ; elle la reçoit de l’intelligence, laquelle va, au-delà d’ellemême, jusqu’au Dieu cache, non point par sa puissance naturelle, car aucune substance créée ne peut naturellement atteindre Dieu immédiatement par elle-même, mais au moyen de la grâce, hoc enim solius est graiiæ, nullius vero virtutis naturæ, col.- 576. La grâce est nécessaire à l’intelligence, qui communique ses clartés à la raison. Les théophanies sont l’œuvre de Dieu. Ex ipsa igitur sapienliæ Dei eondescensione ad humanam naturam per gratiam et exaliatione ejusdem naturæ ad ipsam sapientiam per dilcctionem fit theophania. De divisione naturæ, 1. I, c. ix, col. 449. Commencée dès cette vie, la théophanie ne s’accomplit entièrement que dans la vie future où se réalise la perfection de la béatitude. Mais elle ne s’ébauche et ne se consommera que dans les justes, in his qui digni sunt. Dieu s’incline vers nous par la grâce, nous nous élevons vers lui par l’amour. Cf. encore I. II, c. xxiii, col. 574, et Comment, in Evang. sec. Joannem, P. L., t. cxxii, col. 334, sur les rapports entre la foi, l’action et la science. Bref, la « vraie raison » , c’est, dans la doctrine ériugéniste de la connaissance religieuse, la droite raison de l’homme munie du secours de la grâce divine. — 5. La foi. — Entre la vraie raison entendue de la sorte et la vraie autorité, entre la raison et la foi, on comprend, dès lors, qu’un conflit soit impossible, ambo siquidem ex uno fonte, divina videlieet sapientia, manare dubium non est, 1. J, c. lxvi, col. 511. Théoriquement, l’entente s’impose. Mais que se passera-t-il dans la pratique ? A-t-on le droit de se réclamer de la « vraie raison » à rencontre, non pas d’un ou de plusieurs Pères dans un cas particulier, mais des Pères en général, à l’encontre de l’Écriture, à rencontre de l’autorité de l’Église et de la foi catholique ? Ériugène ne le pense pas. S’il n’a pas traité la question ex professa, les textes épars dans son œuvre permettent de saisir sa pensée. Il cite continuellement les saints Pères et l’Écriture. Il dit : Non enim nostrum est de intelleetibus sanetorum Patrum dijudicare, sed eos pie

ac venerabiliter suscipcre. De divisione naturæ, 1. II, c. XVI, col. 548. Sur un point, important dans son système, il s’exprime de la sorte : A’(7î/7 definire prœsumimus, quoniam neque divinæ historiæ neque sanetorum Patrum qui cam exposuerc certam de hoc auctoritatem habemus, atque idco illam obscurilatem silentio honorificamus, ne forte, quæ extra nos sunt quærere conantes, plus caderc quam ascendere in veritatem nobis conlingul, 1. V, c. xxxr, col. 941. Ayant reproduit une définition de Platon, il ajoute : Sed quod auctorilate sacræ Seripturæ sanctorumque Partum probare non possumus, inler cœteras naturarum speculaliones, quoniam temcrarium est, accipere nondebemus, 1. IV, c. Vil, col. 762. Il dit encore : Sacræ siquidem Seripturæ in omnibus sequcnda est aueloritas, quoniam in ea veluti qnibusdam suis secrelis sedibus veritas possidet. .. Siquidem de Deo nil aliud caste pieque vivenlibus studioscque veritatem quærentibus dicendum vel cogitandum nisi quæ in sacra Scriptura repcriuntur…Quid enim de natura incffabili quippiam a scipso repertum dicere prœsumut præler quod illa ipsa de scipsa in suis sanctis organis, theologis dico, modulala est. De divisione naturæ, 1. I, c. Lxiv, col. 509 (les théologiens désignent, dans ce texte, les Pères). Cf. également 1. III, c. v, col. 635. Certes, ce langage est irréprochable. Il ne parle pas en moins bons termes de la nécessité de s’en tenir à la foi catholique, et un peu partout il y revient. » Dans ce livre, écrit-il en tête du De prædestinatione, prœf., col. 356-357, composé par votre ordre (il s’adresse à Hincmar de Reims et à Pardule de Laon) pour attester l’orthodoxie de votre foi, tout ce dont vous aurez reconnu la vérité, attachez-vous y et faites-en honneur à l’Église catholique ; ce qui vous paraîtra faux, rejetez-le et pardonnez-le à notre faiblesse ; et, si certaines opinions vous semblent douteuses, adoptez-les néanmoins jusqu’à ce que l’autorité vous ordonne ou bien de les repousser, ou bien, si elles sont vraies, d’y donner à jamais votre assentiment. » Il faut lire, c. i, col. 358-359, ce qu’il dit du rôle des hérétiques, très utiles pour réveiller les dormeurs et « stimuler les catholiques grossiers à rechercher la vérité et les catholiques spirituels à la mettre en lumière, » de telle sorte que la doctrine catholique soit défendue contre les embûches de l’hérésie, que les gens de bien veillent et soient prudents, et que soient déjouées les ruses du démon pour rompre l’unité de la foi. Voir encore De divisione naturæ, 1. V, c. xl, col. 1021-1022 ; un passage des gloses sur Boèce, dans Rand, Johannes Scottus, p. 80, cf. p. 24, 72, 74 ; les textes recueillis par W. Turner, dans The irish theological quarterhj, Dublin, octobre 1910, p. 391401.

2° La « nature » . — La nature, ou oJaiç, est, dans le langage de Scot, le nom général qui désigne tout ce qui est et tout ce qui n’est pas, est igitur natura générale nomen, ut diximus, omnium quæ sunt et quæ non sunt. De divisione naturæ, 1. I, c. i, col. 441. La nature se divise en quatre espèces : 1. la nature qui crée et qui n’est pas créée ; 2. celle qui est créée et qui crée ; 3. celle qui est créée et qui ne crée pas ; 4. celle qui n’est pas créée et qui ne crée pas. La première, c’est Dieu, incréé et créateur ; la deuxième, ce sont les causes primordiales, les idées, par lesquelles il accomplit son œuvre ; la troisième, c’est la création ; la quatrième, c’est Dieu encore, considéré comme fin des choses ; c’est Dieu en qui retournent toutes les choses qui procédèrent de lui. Scot consacre, quitte, du reste, à entremêler plus d’une fois les questions, aux trois premières les livres l-Ill du De divisione naturæ, et à la quatrième les livTes IV et V. Dans ce cadre, qu’il a choisi, entrera tout naturellement l’exposé des questions qui appartiennent à la théologie spéciale. Il complétera l’analyse de ses idées relatives à la théo-