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ENCRATITES

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tion pour l’ascèse, mais plutôt une raison de la soupçonner, même quand elle pouvait paraître inofîensive. Il y avait peut-être des encratites qui s’en tenaient à leurs observances, mais il est rare qu’on parle d’eux sans qu’il ne se révèle quelque accointance fâcheuse. » Cette accointance venait précisément de la gnose, dont les infiltrations avaient pénétré les divers apocryphes de l'époque, et dont les principes s'étalaient dans des traités spéciaux ou dans des ouvrages d’une portée plus générale.

Les principaux chefs.

Parmi les principaux

théoriciens de l’cncratisme, il faut citer, par ordre chronologique, Jules Cassien, le maître doeète qui composa un ouvrage spécial sur la matière, intitulé Ilspi s-jvou/i’ai ; ou HeçA iyxpaTciaç, voir Cassien I, puis et surtout Tatien. C’est à Tatien, en effet, que saint Irénée rattache les encratites, ainsi qu'à Saturnin et à Marcion. Cont. hær., i, 28, P. G., t. vii, col. 690. Tatien passe surtout pour avoir été le vrai chef des encratites. Saint Jérôme l’appelle piinceps cncratilariim. Epist., xlviii, 2, P. L., t. xxii, col. 494. Fit-il de tous lespartisansdel’ascétismeoutréunesecte à part et l’organisa-t-il comme une église ? C’est ce qu’il est assez difficile de prouver. Beaucoup d’encratites pourtant, embrassant sa doctrine, prirentsonnompour se bien distinguer des autres. Toujours est-il queTatien doit être regardé comme l’un des auteurs responsables du mouvement encratite, qui se prononça dans l'Église à la fin du iie siècle et se poursuivit sous des noms multiples et avec des fortunes diverses jusqu'à la fin du ive siècle. Après avoir vaillamment défendu le christianisme sous le patronage et à l’exemple de saint Justin, il avait quitté Rome, vers 172, parce que ses principes et ses doctrines avaient déplu aux chefs de l'Église, et se retira en Orient, soit à Édesse, soit à Daphné près d’Antioche. Peut-être était-il tombé déjà dans les erreurs gnostiques du docétisme, du dualisme et d’un encratisme outré. En tout cas, il ne tarda pas à montrer qu’il avait subi la néfaste influence de la gnose et il se fit l'écho de Marcion. Comme Marcion, il regarde la matière comme le siège du mal et l'œuvre du démiurge ; il réduit l’incarnation du Verbe à une pure apparence et supprime les géné ; ilogies du Christ dans son Diatessaron ; il voit dans l’union conjugale le fruit de l’arbre défendu, une œuvre satanique et proscrit en conséquence le mariage ; il interdit l’usage de la viandeet duvincommetrop favorables à l’intempérance et à l’incontinence ; enfin à toutes ces erreurs empruntées il en ajoute une autre, qui lui est personnelle, il nie le salut d’Adam ; le tout à grands renforts de textes scripturaires. C’est dans un ouvrage spécial qu’il formula et proposa sa théorie encratite ; il est^malheureusement perdu comme celui de Jules Cassien ; nous n’en connaissons que le titre, sauvé de l’oubli par Clément d’Alexandrie, IIspV ToO otatà xôv ij(i)TT|pa xaTapTi(7|j.o-j, De la perfection selon le Sauveur, et quelques-uns des arguments scripturaires réfutés par l’auteur des Slromates. Slrom., III, 12, P. G., t. VIII, col. 1181 sq. Vok Tatien.

Peu après Tatien, et non pas avant, comme le dit saint Épiphane, Hær., xlv, xlvi, xlvii, P. G., t. xli, col. 839, 893, et à sa suite saint Augustin, Hær., xxiv, XXV, P. L., t. xLii, col. 30, qui placent les scvériens avant les tatianistes, cf. Nicétas Choniatès, l’hesaurus orthodoxie fidei, iv, 17, 18, P. G., t. cxxxix, col. 1281 sq., un certain Sévère renforce et développe l’hérésie des encratites, en lui donnant un caractère ébionite^accentué ; car, s’il admet la Loi, les Prophètes et les Évangiles, sauf à les interpréter d’une façon toute particulière, iSifo ; ÉpiJ.rivsjo xeç, il rejette toutes les lettres de saint Paul et même les Actes. Eusèbc, H. E., IV, 29, P. G., t. XX, col. 400-401 ; Théodore !, Hæret. fub., i, 20, 21, P. G., t. lxxxiii, col. 369-372 ;

S. Jérôme, De viris ilL, 29, P. L., t. xxiii, col. 645. Et il forme ainsi un parti nouveau qui, pour se distinguer du reste des encratites, prend son nom, ce qui accuse des divergences de vues et des luttes intestines. Du reste, ces partis ne furent pas les seuls, car d’autres sectaires, et par exemple, les manichéens, prirent également le titre de continents ; d’autres encore se firent apjieler apotactiques ou renonçants, parce qu’ils prétendaient avoir renoncé à tous les plaisirs du monde, voir Apotactiques ; hydroparastates ou aquariens, parce qu’ils ne se servaient que d’eau pour l’eucharistie, voir Aquariens ; saccophores, parce qu’ils portaient comme vêtement distinctif un sac. Mais tous professaient les principes généraux de l’encratisme. Et c’est ainsi que, sous divers noms, avec des principes communs et malgré la divergence des détails, les encratites vécurent jusqu'à la fin du iv » siècle. Saint Épiphane signale, en effet, leur présence surtout en Asie-Mineure, plus particulièrement dans la Pisidie et la Phrygie brûlée, mais encore dans risaurie, la Pamphylie, la Cilicie, la Galatie. Jlœr., XLVII, 1, P. G., t. XLI, col. 849, 852.

Aux noms de Tatien et de Sévère il faut joindre celui de Dosithée, un cilicien que saint Épiphane a confondu avec un samaritain de même nom. D’après Macarius Magnés, en effet, May.ao ; oj Mavvr.Toç 'ÀTtoy.piT'./.ô ; ïj MovoyEvriç, Macarii Magnetis qnæ supersunt ex inédite codicc, édit. Blondel, Paris, 1876, p. 151, ce Dosithée, de Cilicie, dans un ouvrage en huit livres composé pour la défense de l’encratisme, disait, entre autres choses, « que le monde avait eu son commencement par le mariage, mais qu’il aurait sa fin par la continence. » Il condamnait donc le mariage et il blâmait, conformément aux vues de la secte, l’usage de la viande et du vin. Son ouvrage est perdu comme ceux de Cassien et de Tatien, dont il a été question plus haut.

Propagande.

La grande extension des encratites, telle que l’a signalée saint Épiphane pour la fin

du ive siècle, témoigne d’une propagande active de la part de leurs différents chefs, ou tout au moins de l’influence et du succès de l’svy.paTcia auprès de tous ceux qui avaient un penchant pour l’ascétisme. Et il n’est pas étonnant que des chrétiens de bonne foi se soient laissé séduire par l’attrait d’une pratique qui semblait assurer le salut de l'âme par la mortification de la chair, sans se douter le moins du monde de ce qu’elle cachait d’hétérodoxie dans le fond. Ce fut le cas notamment de l’un des martj’rs de Lyon, en 177, Alcibiade ; celui-ci entendait vivre en prison comme il avait vécu jusqu’alors, au pain et à l’eau. Mais après avoir été exposé dans l’amphithéâtre, l’un de ses compagnons, Attale, lui fit remarquer qu’en vivant de la sorte il n’agissait pas correctement et selon l’ordre ; car, en n’usant pas des créatures de Dieu, il devenait une cause de scandale, semblant autoriser par là les austérités irrégulières ou superstitieuses du montanisme et de l’encratisme. Lettre des Églises de Vienne et de Lyon aux liglLtes d’Asie et de Phrygie, Eusèbe, II. E., v, 30, P. G., t. xx, col. 437. Sozomène, H. E., y, ll, P. G., t. lxvii, col. 1248, rapporte un cas plus singulier encore, celui d’un évêque encratite, nommé Busiris, qui confessa vaillamment la foi sous Julien, survécut à ses épreuves et fit retour à la vraie foi sous Théodose. Et ce fait permettrait de croire que certains encratites s'étaient organisés en église et avaient leur clergé dans le courant du iv^e siècle ; cela serait d’autant plus ^TaiseInblable que saint Basile signale deux autres évêques encratites, Izoin et Saturnin, admis dans les rangs du clergé catholique quand ils demandèrent à rentrer dans l'Église. Epist., clxxxviii, can. 1, P. G., t. xxxii, col. 669. Mais si les encratites réussirent à se propager.