Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.djvu/140

Cette page n’a pas encore été corrigée
255
256
ÉPICLÈSE EUCHARISTIQUE


sang… Faites ceci en mémoire de mol. » Puis, il ajoute : « C’est donc par ce précepte du Seigneur que le pain est changé en son corps sacré et le vin en son précieux sang… Il (Jésus-Christ) a pris pour matière le froment et le viii, parce qu’ils ont une grande affînité avec le corps et le sang. Quant à la forme, il l’a donnée dans sa parole vivante et dans la descente du Saint-Esprit. » … Liber Margarilee de veriiaie christianæ rcligionis, tr. IV, De sncramentis, c. v. De oblalione, dans Mai, Scriptonim veterum nova colleclio, t. X, p. 333, 358-359. Ce n’est pas seulement en vertu du commandement réitéré par le Christ de renouveler la cène, que s’accomplit la consécration : c’est par ce commandement même, c’est-i’i-dire par ses propres paroles. Sans doute, la descente du Saint-Esprit est mentionnée ici comme dans un grand nombre de textes d’Orient ou d’Occident ; mais tout nous induit à penser que c’est pour indiquer, si je puis dire, le conimen/ du mystère, et nullement pour attribuer à l’épiclèse l’eflicacité consécratoire déjà réalisée, de l’aveu de notre auteur, par les paroles de l’institution. Voir Échos d’Orienl, 1910, t. xiii, p. 321-321. Il n’est pas téméraire d’espérer que les nombreux manuscrits sjTiaques encore inédits nous réservent une plus ample moisson de témoignages favorables à la doctrine catholique sur la forme de l’eucharistie et permettront d’augmenter le groupe des auteurs très explicitement fidèles à la tradition représentée par saint Jean Chrysostome et Sévère d’Antioche.

3. Chez les écrivains arméniens.

Ce que nous venons de dire des écrivains syriens peut être dit aussi de maints auteurs arméniens. C’est ainsi que Chosrov le Grand, évêque d’Antzevatziq († 972), en dépit de quelques imprécisions concernant l’épiclèse qui ont pu doimer le change à certains auteurs (par exemple, P. Vetter, Chosroæ magni, episcopi inonophysitici, Explicatio preciim misssee lingua cirmeniaca in lalinam versa, Fribourg-en-Brisgau, 1880, p. x ; voir Arménie, t. i, col. 1956 ; F. Tournebize. Histoire poUlique et religieuse de l’Arménie, Paris, 1910. p. 584), demeure fidèle à l’enseignement de saint Jean Clirysostome dont il cite même expressément le passage, signalé plus haut, de la lxxxii « homélie 7/î ISIatth., n. 5. Voir mon article, Consécration et cpiclése d’après Chosrov le Grand, dans les Échos d’Orient, 1911, t. xiv, p. 9 sq., où j’ai étudié les textes à l’appui de cette assertion. On trouvera ces textes dans l’édition de Vetter, p. 26, 27, 28, 31, 35, 36 ; cf. pour l’épiclèse et le rôle eucharistique du Saint-Esprit, p. 17, 29, 35-37.

Nersés de Lamprou, au xiie siècle, suppose manifestement la doctrine catholique sur la forme de l’eucharistie, lorsque, dans son traité Du mystère de la messe, arrivé à ces paroles qui suivent immédiatement le récit de l’institution : Et tna ex tuis tibi offerimus per omnia et pro omnibus, ï en donne ce commentaire : Dum DEDIT (sacerdos) nujslerium in manns (Pairis), et ACVEPir ab illo in se rationabile sacrificium, Deum suum et regem ; deinde addit : quod hoc munus, quod vclnti nobis concorporeum et de nobis hominem dedi tibi, Domine, tua est inrffabilis gencratio atque Filins. Nos autem, qui servi.< ! unuis, quamquam velut nostrum et de nobis istum habeamus, allamen Deum tibi cosequalem profitemur. El nunc nos veluti tuum Filium et a te nobis datum iterum de nobis damus islam tibi oblationem pro omnibus et munus reconciliationis. Avedichian, Suite correzioni dei libri ecclesiaslici arment, Venise, 1868, p. 343.

Aussi Grégoire de Tahtev, célèbre controversiste schismatique du xive siècle, attaché jusqu’à l’excès à toutes les traditions arméniennes, avait-il pleinement raison de pas croire aller contre elles en professant la doctrine catholique sur la forme de l’eu charistie et en l’énonçant à la manière précise des scolastiques. C’est ainsi qu’on peut lire dans son Livre des questions, œuvre d’ardente polémique contre les catlioliques, cette aiïirmation sans réplique : Forma hujus sacramenti quoad panem est : Hoc est corpus meum. Et quoad calicem : Hic est sanguis meus novi testamenti in expiationcm, etc. Livre des questions, art. de l’eucharistie, Constantinople, p. 594. Et il y revient à plusieurs reprises avec insistance, p. 596, 597, 610. Cf. Avedichian, op. cit., ] 344-345 ; Galano, Conciliatio Ecclesiie Arménie cum Romana, Rome, 1661, t. iii, p. 549.

Nous aurons l’occasion de présenter d’autres preuves du maintien de la tradition catholique sur ce pohit chez les Arméniens jusqu’à une époque relativement récente. Mais il nous faut maintenant revenir aux grecs pour voir l’opinion damascénienne poussée à ses dernières conséquences, et, à l’occasion des controverses avec les latins, la théorie de l’épiclèse consécratrice se poser en divergence dogmatique entre l’Église byzantine et l’Église romaine.

3° La théorie de Cabasilas (xiv siècle) et la controverse au concile de Florence. — La question de l’épiclèse ne fut pas soulevée au concile de Lyon (1274). convoqué pour traiter de la réunion des deux Églises. On ne dut se mettre à l’agiter qu’au commencement du xive siècle, et il semble bien que l’initiative de la controverse doive être attribuée à certains litins séjournant en Orient. Des missionnaires catholiques s’aperçurent que les grecs d’alors attribuaient à l’épiclèse la vertu consécratrice. Ils les attaquèrent aussitôt. Voir Renaudot, op. cit., t. i, p. 226. C’est à eux, à ces AaTïvot Ttve ;, P. G., t. cl, col. 428 ; t. clv, col. 733, que répondent Nicolas Cabasilas (f vers 1363) et l’un de ses plus célèbres successeurs, Siméon de Thessalouique.

Ces deux auteurs, qui sont d’ailleurs des théologiens et des liturgistes remarquables, rééditent en somme la théorie damascénienne, en l’expliquant et en l’aggravant encore. Ils affirment — et là gît leur erreur — être en conformité avec la tradition patristique en ne reconnaissant aux paroles de l’institution, prononcées par le prêtre, que la valeur d’un simple récit. Ce récit, il est ^Tai, a le pouvoir consécrateur conféré par le Christ à ses prêtres, mais ce pouvoir a besoin d’être fécondé par la prièrc de l’épiclèse. L’influence du Damascène est visible dans cet enseignement que ses successeurs du xiv « et du xve siècle prétendent, à son exemple, baser sur un passage de saint Jean Chrysostome, détourné par eux comme par lui de son véritable sens. Pour eux, les paroles de l’institution et la prière qui les suit cons tituent l’une et l’autre la forme totale, essentielle, nécessaire de la consécration. Mais celle-ci n’est achevée qu’après l’épiclèse, et c’est donc, en définitive, l’épiclèse qui consacre. De cette épiclèse, ajoutent-ils, la liturgie latine n’est nullement privée : l’oraison Supplices te rogamus en fait fonction d’après Cabasilas, tandis que pour Siméon, c’est l’oraison Quam oblationem avant le récit de la cône ; de sorte que, à les enteidre, ce n’est pas l’Église latine qui est opposée à leur croj’ance, mais seulement « quelques Latins » , amis de la nouveauté. Nicolas Cabasilas, I.iturgiæ cxposilio, c. xxvii-xxxii, P. G.. t. CL, col. 425-440 ; cf. xlvii, xlix, li, col. 469, 477, 481, 485 ; Siméon de Thessalonique, Exp. de divine templo, n. 86, 88, P. G., t. clv, col. 733-740.

Au fond, toute l’argumentation des deux célèbres controversistes grecs ne repose que sur des malentendus. Le point de vue liturgique et le point de vue théologique se trouvent confondus ; dès lors, la question est mal posée ; et la réponse qui y est faite, en