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ÉPICLÈSE EUCHARISTIQUE


qu’il l’a voulu ; et s’il s’est formé un corps du sang pur et immaculé de sa Mère toujours vierge, est-il concevable qu’il ne puisse du pain faire son corps, et du vin mêlé d’eau faire son sang ? Il dit autrefois : Que la terre produise de l’herbe verte, et la terre, arrosée par la pluie du ciel, en produit encore tous les jours par la vertu et la fécondité que lui conféra ce commandement de Dieu. Dieu a dit : Ceci est mon corps, ceci est mon sang, faites ceci en mémoire de moi ; et par l’effet de son commandement absolu, cela s’accomplit tous les jours jusqu’à ce qu’il vienne, selon l’expression de l’apôtre ; et, par l’invocation, la vertu du Saint-Esprit, qui couvre de son ombre cotte nouvelle moisson, lui est comme une douce rosée qui la rend féconde. Car, comme autrefois Dieu fit toutes choses par l’opération du Saint-Esprit, ainsi maintenant c’est encore la vertu du même Esprit qui accomplit ce qui surpasse la nature et que la foi seule peut saisir.

Comment cela se fera-t-il en moi, dit la sainte Vierge, puisque je ne connais point d’homme ? L’archange Gabriel répond : Le Saint-Esprit descendra sur toi, et la vertu du Très-Haut te couvrira de son ombre. Et maintenant, si vous me demandez comment le pain devient le corps du Christ, et le vin mêlé d’eau son sang, je vous dis, moi aussi : L’Esprit-Saint survient et opère ces mcrveiUes qui sont au-dessus de toute parole et de toute pensée. On y emploiedu pain et du viii, parce que Dieu sait que la faiblesse des hommes leur fait concevoir de l’horreur peur les choses qui ne leur sont pas familières. Ainsi, selon sa condescendance habituelle, il opère ces choses qui sont au-dessus de la nature, par le moyen de celles qui sont ordinaires à la nature. Et comme au bapteme, parce que les hommes ont coutume de se laver avec de l’eau, et de s’oindre avec de l’huile. Dieu a uni à l’eau et à l’huile la gi’âce du Saint-Esprit et en a fait un bain de régénération ; de même aussi parce que les hommes ont coutume de manger du pain et de boire du vin et de l’eau, il leur a uni sa divinité et en a fait son corps et son sang, afm que par des choses usuelles et conformes à la nature nous fussions élevés à celles qui dépassent la nature. C’est véritablement le corps uni à la divinité, le corps qui a été pris de la Vierge : non que le corps même qui a été élevé en haut descende du ciel, mais parce que le pain et le vin sont changés au corps et au sang de Dieu. Si vous me demandez la manière dont cela se fait, il vous suffit de savoir que c’est par l’Esprit-Salnt, tout comme c’est aussi par l’Esprit-Saint que le Seigneur s’est formé une chair à luimeme et en lui-même du sang de la sainte Mère de Dieu. Nous ne savons rien de plus, sinon que la parole de Dieu est véritable, efficace et toute-puissante, mais que la manière dont elle opèrc est impénétrable. Il ne sera cependant pas hors de propos de dire que comme naturellement le pain, le vin et l’eau sont changés, par le moyen du boire et du manger, au corps et au sang de celui qui mange et qui boit, et ne deviennent pas un autre corps que celui qu’il avait auparavant ; de même le pain, le vin et l’eau de i’oblation sont surnaturcllement transformés au corps et au sang du Clirist par l’invocation et la descente du Saint-Espril, cl ce ne sont pas deux corps, mais un seul et même corps. » Ibid., col. 1140-114.5.

Suit le passage déjà cité, afTIrmant que l’eucharistie n’est pas seulement la figure ou le type du corps du Christ, mais son véritable corps. Entre ce passage et l’alinéa concernant le mot aniilijpe, il se trouve une phrase que je liens à transcrire parce qu’elle contient une attestation du sacerdoce du Christ. A propos des figures de l’eucharistie, saint Jean Damascènc signale l’offrande de Melchisédecli,

et il s’exprime ainsi : « Abraham, revenant après la défaite des rois étrangers, fut reçu par Melchisédech, le prêtre du Très-Haut, avec du pain et du vin. Cette table figurait la table des nos mystères, comme ce prêtre représentait notre véritable pontife le Clirist, dont il est dit : Vous êtes prîire à jamais, selon l’ordre de Melchisédech. » Ibid., col. 1149, Cf. Ilomil. in sabb. sanct., 35, P. G., t. xcvi, col. C37640, où il est dit que le pain et le vin sont transformés au corps et au sang du Christ par l’invocation ; affirmation à laquelle on joint une brève allusion aux paroles de l’institution en ajoutant : « car il ne trompe pas, celui qui en a fait la promesse. »

Quelle que soit la dépendance littéraire et doctrinale de la Lettre à Zacharic et du petit traité De corpore et sanguine Christi par rapport à saint Jean Damascène, il est certain que le même enseignement y est donné, touchant l’opération conséeratrice du Saint-Esprit. Cf. P. G., t. xcv, col. 404, 409. Dans ce dernier passage, la formule d’épiclèse se trouve même citée textuellement : « Le prêtre dit, comme l’ange : Que l’Espril-Saint descende et qu’il sanctific ces éléments, qu’il fasse de ce pain le saint corjis du Christ, et de ce calice le sang précieux du Christ ; et par une cérémonie qui n’est pas naturelle, mais surnaturelle, il se fait un seul corps et non deux… » Notons toutefois que, un peu plus haut, le même auteur attribue à la vertu des paroles : Ceci est mon corps, la première consécration du cénacle : « Prenant le pain et la coupe de vin et d’eau, il rendit grâces, bénit et dit : Ceci est mon corps ; et par une économie surnaturelle, le pain et le vin mêlé d’eau, par le moyen de sa parole, devinrent son corps et son sang. » Ibid., col. 408.

N’était l’argument de Vantili/pc, ces diverses déclarations pourraient être susceptibles d’une interprétation conforme à la doctrine catholique touchant la forme de l’eucharistie, comme nous l’avons indiqué pour les écrivains antérieurs. C’est même à ce parti que se rangent Le Quien et Combefis dans leurs annotations aux passages cités du Damascène. Mais l’explication damascénienne du mot antiltjpe donne à tous ces passages un sens exclusif qui, certainement, fausse la tradition. Le désir de défendre contre toute interprétation symboliste le dogme de la présence réelle est la meilleure excuse du saint docteur. Mais on est iiien forcé de reconnaître que, n’étant pas infaillilile, il s’est trompé. Son énergie à soutenir une doctrine !)ien traditionnelle, le réalisme eucharistique, l’a empêché de voir, au moins dans toute sa force, une autre doctrine non moins traditionnelle, à savoir la vertu exclusivement consécratoire des paroles du Christ : « Avant lui, il jiouvait y avoir… harmonie d’ensemble et essentielle entre la théorie grecque et la théorie latine. Après lui, entre celle-ci et celle-là un fossé est creusé, dont le temps et la logique de l’erreur se chargeront d’éloigner les deux bords. » Varaine, op. cit., p. 58.

De fait, l’explication damascénienne du mot antilijpe, et, avec elle, plus ou moins explicitement, l’affirmation de la consécration par l’épiclèse, est bien vite devenue classique dans la théologie byzantine. " Elle va même, dit le P. Jugie, art. cit., jouer un rôle tout à fait imprévn et servir aux défenseurs des saintes images pour réfuter les iconoclastes, tout comme elle fournira plus tard à.Jérémie II une réponse commode : mx objections des luthériens. »

Les iconoclastes s’avisèrent de dire qu’il n’y a qu’une seule véritable image du Christ <Iigne de nos hommages, l’eucharistie. S’il était prouvé qu’ils émirent cette idée du vivant du docteur de Damas, nous aurions là le motif de polémique qui suggéra à celui-ci son explication d’un terme considéré par