Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.djvu/136

Cette page n’a pas encore été corrigée

2 il

ÉPICLÈSE EUCHARISTIQUE

248

Nous pourrions clore sur cet intéressant témoignage de saint Isidore l’examen de la tradition patristique occidentale. Ajoutons-y cependant, alin de rejoindre complèlenieiit l’époque où nous avons laissé la tradition d’Orient et à partir de laquelle nous allons avoir à la reprendre, un dernier texte : celui de saint Bédé († 735). Voici comme il s’exprime, dans une homélie pour le troisième dimanche après l’Epiphanie, en commentant VEcce Agnus Dei, ecce qui tollil peccuta nuindi : « Il (Jésus-Christ) ne nous a pas seulement lavés de nos péchés dans son sang quand il l’a répaiidu pour nous sur la croix, ou quand nous avons été purifiés dans l’eau du baptême, le mystère de sa sainte passion ; mais il continue à ôter les péchés du monde chaque jour. Oui, chaque jour il nous lave de nos péchés dans son sang, lorsque la mémoire de sa bienheureuse passion se renouvelle à l’autel, lorsque par l’ineffable eonsécration de l’Esprit il y a passage du pain et du vin au sacrement de sa chair et de son sang, cum punis et vint crenliiru in sacramentum curnis et sanguinis ejns iseffabili spirites SANCTIFICATIONE trcinsfertur, et qu’ainsi son corps et son sang sont, non plus occis ou répandus par les mains des infidèles pour leur perdition, mais reçus dans la bouche des fidèles pour leur salut. » Homil., 1. I, homil. XIV, P. L., t. xciv, col. 75. Est-il besoin de dire que pour le Vénérable Bède, comme pour saint Isidore de Séville et pour tous les autres, malgré de si nettes affirmations du pouvoir consécrateur du Saint-Esprit, Jésus-Christ n’en est pas moins le véritable prêtre consécrateur dont le prêtre visible n’est que le représentant. Au-dessus de ce représentant ou plutôt en lui apparaît le grand-prêtre, « Jésus qui, sans nul doute, est présent sur l’autel pour y consacrer les oblations. » In Luc, c. xxii, P. L., t. xcii, col. 598. Cf. Vita Bedæ, P. L., t. xc, col. 52.

La conclusion qui nous paraît s’imposer, après l’examen que nous avons entrepris, c’est que pour la tradition des sept premiers siècles, tant orientale qu’occidentale, l’efficacité consécratoire des paroles de Jésus-Christ : Ceci est mon corps, ceci est le calice de mon sang, se concilie certainement avec la vertu transsubstantiatrice du Saint-Esprit. Tous les témoins de cette tradition n’ont pas formulé ex professa cette conciliation. Tous ne se sont pas posé la question du moment précis où se produit la consécration. Mais il ressort de l’ensemble de leurs témoignages que ce moment précis ne peut être que celui où le prêtre prononce au nom du Christ les paroles de l’institution, et non point celui de l’épiclèse. Nous verrons bientôt cette conclusion se définir de plus en plus nettement dans l’Église occidentale : on en aperçoit d’ores et déjà la complète légitimité. Dans l’Église d’Orient, au contraire, une déviation de la tradition authentique s’est produite au viii° siècle, qui a eu dans la suite la plus maliieureuse influence. C’est ce dont il nous faut maintenant présenter l’exposé.

II. LA DOCTRINE ECCLÉSIASTIQUE EN ORIE NT DEPUIS LE

VIII^ SIECLE. — 1° L’opinion de saint Jeun Damascènc et son influence. — Pour avoir méconnu, sousTinduence de préoccupations polémiques, l’emploi très orthodoxe du mot anlilijpe, désignant, chez les anciens Pères, l’eucharistie même après la consécration (anlitype du corps du Christ signifiant sacrement du corps du Christ), saint Jean Damascène († 749) est amené à dire que, si ce mot se trouve dans la liturgie de saint Basile, c’est avant la consécration. Or, nous l’avons dit au début de cet article, c’est au commencement de la formule d’épiclèse, et donc après les paroles de l’institution, que le terme antitype se trouve dans la messe byzantine de saint Basile. On y lit, en effet : « … Après vous avoir offert les antitypes du saint corps et du sang de voire Christ, npo^i-ns. ; Ta àvricuTra -où

à-fio’j T(i ; j.aT !)î y.x 3.’! i.%-’j ; to-j XpiaroC <Toy, nous vous prions et vous supplions, ô Saint des saints, que par une faveur de votre bonté, votre EspritSaint vienne sur nous et sur ces dons, qu’il les bénisse, les sanctifie et fasse de ce pain le corps précieux de notre S ?igneur. Dieu et Sauveur, Jésus-Christ, et de ce calice le sang précieux… » Brightman, op. cit., p. 405-406. Or, saint Jean Damascène, parlant du pain et du vin consacrés, s’exprime ainsi : « Le pain et le vin ne sont pas le type du corps et du sang du Christ, loin de là ; mais le corps même du Christ rempli de la divinité, le Seigneur lui-même ayant dit : Ceci est non point le type de mon corps, mais mon corps. > De fide orthodo.xa, 1. IV, c. xiii, P. G., t. xciv, col. 1148. Après cela, le Damascène explique à sa manière le mot anlitype de la messe de saint Basile : « Si certains ont appelé le pain et le vin anlitypes du corps cl du sang du Seigneur, comme l’a fait le tliéophore Basile [dans sa liturgie], ils ont parlé ainsi, non après la consécration, mais avant, donnant ce nom à l’oblation. » Ibid., col. 1152-1153.

Ainsi, saint Jean Damascène enseignerait la doctrine de la consécration par l’épiclèse ? « Comment le nier ? » écrit le P. Jugie. « En lisant attentivement tout ce chapitre où il parle de l’eucharistie, on voit que le saint docteur, tout en admettant que les paroles du Seigneur sont une condition sine qua non de la transsubstantiation, dit cependant clairement que le changement se produit au moment même de l’épiclèse. I/explication qu’il donne du mot antitype confirme d’une manière évidente que telle est bien sa véritable pensée. Il n’y aurait qu’un moyen d’établir le contraire, ce serait de regarder tout ce passage comme apocryphe et de déclarer comme l’a fait .Vrcudius, De concordia Ecclesiæ orienlalis et occid. in seplem sacramentorum administratione, Paris, 1672, p. 307, qu’il a été interpolé depuis l’origine de la controverse. Mais impossible de nous arrêter à cette idée, car Allatius, De Ecclesiæ occidenlalis alque orient, perpétua consensione. Cologne, 1648, col. 1225, nous affirme avoir vu à la bibliothèque Vaticane et à la bibliothèque Barberini des manuscrits de la Foi orthodoxe, contemporains de saint Jean Damascène et portant tout le texte cité. Il ne reste donc plus qu’à faire comme le cardinal Bessarion, à s’étonner de l’horreur qu’avait saint Jean Damascène pour le mot anlitype, à se souvenir qu’il était homme et qu’il a pu se tromper, et à lui demander respectueusement pardon comme des fils à leur père, si, placés en face de deux amis, lui et la vérité, nous préférons la vérité. » L’épiclèse et le mot antitype de la messe de saint Basile, dans les Échos d’Orient, 1906, t. ix, p. 196. De ce texte très clair il faut conclure que, pour le Damascène, c’est l’épiclèse qui consacre : les paroles de l’institution sont seulement une semence que la vertu du Saint-Esprit vient ensuite féconder. Son enseignement, à ce sujet, est trop important pour n’être point transcrit ici en entier.

Le saint docteur vient de rappeler le récit évangcliquc de la cène, en paraissant bien, d’ailleurs, attribuer aux paroles du Clirist ; Ceci est mon corps…, ceci est le calice de mon sang…, la vertu de la première consécration, de la consécration du cénacle. Puis il ajoute : « Si la parole de Dieu est vivante et efficace ; si le Seigneur, comme dit l’Écriture, fait tout ce qu’il veut ; s’il a dit : Que la lumière soil, et qu’elle ait existé ; Que le firmament soil, et qu’il ait été fait ; si les cieux ont été affermis par sa parole, et que toute leur vertu vienne du souffle de sa bouche ; si le ciel et la terre, l’eau, le fou, l’air et tout ce que le monde a de beau, a été fait et achevé par la parole de Dieu, aussi bien que l’homme, cette créature si admirable ; si le Verbe de Dieu s’est fait homme parce