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ÉPICLÈSE EUCHARISTIQUE


diction et a ensuite prononcé les paroles en leur donnant pour l’avenir la vertu du sacrement. Tract, de sacrum, altaris, c. xvii, P. L., t. clxxii, col. 1292.

Ces opinions sont toujours, on le voit, en fonction du sens de consécration donné à tort au benedixil du récit de la cène. C’est l’idée de l’épiclèsc qui a poussé dans une voie analogue le dominicain AmbroiseCatharin († 1553) et le franciscain Christophe de Cheffontaines († 1595). L’un et l’autre pensent que le Sauveur a opéré la consécration avant de prononcer les paroles : Ceci est mon corps, ceci est mon sang, soit qu’il l’ait accomplie par un acte silencieux de sa toute-I )uissance, soit, tout au moins, par des paroles différentes de celles-là. Voir Le Brun, op. cit., t. v, p. 229241. Voir Cheffontaines.

Catharin envoya son ouvrage au concile de Trente, mais celui-ci ne voulut pas trancher cette question. C’est ce que nous apprend Salmeron, auquel Hoppe a prêté à tort la même opinion. Salmeron, Comment, in hist. evangel., t. ix, tr. XIH, s’exprime en ces termes : Non dissimiilabo quod in cnncilio Tridenlino cum quidam theologi id pelèrent, ut explicarctur forma qua Christus eonfccit hoc sacramentum, auditis hinc inde rationibus, nihil esse definiendum prudenter Patres censuerunt. Le savant jésuite s’étend longuement sur l’explication de Catharin ; mais il avertit, en terminant, que, bien que le concile de Trente’n’ait pas voulu décider de ce point, l’oiiinion la plus fondée est la doctrine traditionnelle d’après laquelle le Sauveur a employé pour consacrer la même formule que nous, Hicc idcirco tam late a me atlata sunt ad hanc firmandam senientiam, non quod posl concllii Florcntini decretum tam unanimiter in scliolis receptum et dure ab adversariis explieatum, tutam eam existimem, sed ut videos quibus se lueantur rationibus et iis pcr te ipsum facile dissolutis in ea sententia permaneas, quse eadem forma nos dicit consecrare qua Cluistus ipse consccravit. Ibid.

Au xixe siècle, un théologien catholique, Hoppe, a repris la thèse de Catharin et soutenu que les paroles : Ceci est mon corps, ceci est mon sang, n’avaient sur les lèvres du Christ qu’une valeur énonciative, bien qu’elles constituent aujourd’hui la forme du sacrement. Hoppe, op. cit., p. 298.

Enfin, d’après Watterich, prêtre vieux-catholique, mort réconcilié avec l’Église romaine, Jésus aurait opéré la consécration au moyen d’un simple geste de bénédiction (Segensgeberde) signifié par les mots iùy.oyriaa.i et sù/apiCTTriCTaç. Les paroles : Ceci est mon corps, ceci est mon sfuii/, n’auraient fait qu’exprimer après coup la transformation mystérieuse déjà accomplie. Watterich, Der Konsekrationsmoment im tteiligen Abendmahl und seine Geschichte, Heidelberg, 1896.

A rencontre de ces diverses opinions, les théologiens catholiques ont, pour la plupart, après comme avant le concile de Trente, considéré les paroles de l’institution : Ceci est mon corps, ceci est le calice de mon sang comme la forme unique avec laquelle le Sauveur lui-même a consacré, ainsi que consacrèrent également, plus tard, les apôtres et leurs successeurs conformément à l’ordre reçu du Maître. Nommons, entre autres, Bessarion, Bellarmin, Bona, Arcudius, Allatius, Goar, Orsi, Pierre Moubarak, ces deux derniers surtout contre Touttée, Renaudot et Le 15run, contre Catharin et Christophe de Cheffontaines, Tournely, Cursus theoL, De eucharistia, q. iv, a. 8 ; parmi les modernes, Henke, Die katholische Lehre iiber die Consecrationsworte der hciligen Eucharistie, Trêves, 1850 ; Franzelin, Verlage, Scliwctz, Kô.sing, Hurter ; spécialement contre Hoppe, B. Thalhofer, dans Wiener kathol. Vierteljahrschrift, 18C6, p. 610 ; Das Opfer des allen und ncucn Bandes, Ratisboiine,

1870, p.243 ; J.Th. Vranz, Die cucharisl.Wandhmg und Epiklese, Wurzbourg, 1877-1880 ; Oswald, /)(e Sacramententchre, ’! '- édit., Munster, 1877, p.463-4C6 ; Gihr, Das heilige Messopfer, 2’^ édit., Fribourg-en-Brisgau, . 1880, p. 502 sq. ; contre Watterich, Schanz, dans Ucr Katholik, 1896-1897 ; Lingens, dans Zeitsclirift fiir die katholische Théologie, 1897 ; Le Bachelet, dans les Études, 1898, t. lxxv, p. 805 sq. Cf. A. Schmid, Altarssacrament, dans Kirchenlexikon, 2e édit., 1882, t. I, col. 603-607.

V. La formule de consécration eucîiaisistique d’après la tradition. — I. hA TRAniTios ii’oniE.xr et d’oicwest.iisqi’alviir siècle. — On peut résumer la doctrine de cette période en deux propositions :

1. La plupart des textes des trois premiers siècles et plusieurs encore aux siècles suivants parlent de la prière consécratoire en général, c’est-à-dire de ce que nous appelons aujourd’hui le canon. C’est certainement le sens qu’il faut donner aux termes de prière, imweation (é7r ; y.)./i(Ti ;), supplication, et autres semblables, où l’on aurait tort de voir exclusivement l’épiclèse proprement dite. Cependant, un bon nombre de ces textes indiquent déjà le rôle prépondérant des paroles de Jésus-Christ et leur efficacité propre.

2. A partir de la seconde moitié du iiie siècle, nous constatons que la consécration est attribuée à la fois à Jésus-Christ et au Saint-Esprit, et les attestations de l’épiclèse proprement dite commencent. Mais des affirmations très catégoriques, tant en Orient qu’en Occident, surtout à partir du ive siècle, indiquent que ce sont les paroles de l’institution qui jouent le rôle de forme, et non pas l’épiclèse. Signalons les principaux témoignages à l’appui de ces deux propositions.

La prière consécrcdoirc en général.

D’après les

documents des trois premiers siècles, le rite eucharistique se compose d’une série assez longue de prières et d’actions de grâces (EÛ/ai v.où eù-/api(7T[’ai, dit saint Justin, Apol., i. 13, P. G., t. vi, col. 345, précisant un peu plus rs-jyapta-tiade la Didaché et des lettres de saint Ignace d’Antioche), dont le point central est le récit de la cène comprenant les paroles du Sauveur.

Tout cet ensemble, saint Justin le désigne sous le nom de Xdyoi ; E’jyii ; y.a eO-/apt(TTÎaç, " la formule de prière et d’action de grâces » , et sous celui de X^yo ; eO/îi ; ô Tiap’avToO, « la formule de prière qui vient du Christ » . Apol., i, 65-67, P. G., t. vi, col. 428432 ; Kirch, Enchiridion fontium hist. ceci, ant., Fribourg-en-Brisgau, 1910, p. 30-34. Cette formule a pour effet d’" eucharistier » les éléments, selon le terme de l’apologiste, c’est-à-dire de les consacrer. Tr|V 6’.' E’JX^i ? Xôyo’j xoû Ttap’aOroO ev) ; apt(7T » ; 6eî(Tav xpocp^iV…’Iy)(700 y.al crdipy.a v.a’i al[j.a Èôt5à/9ïip.£v elva ;  : « eucharistiée par la formule de prière qui vient de lui (du Christ), cette nourriture, d’après l’enseignement que nous avons reçu, est la chair et le sang de Jésus. » Ce).ôyo ;, cette formule, semblable à la parole de Dieu agissant dans l’incarnation, opère la transsubstantiation en vertu de la toute-puissance divine. Il est remarquable de constater dans cette description, la plus ancienne de toutes, de l’anaphore eucharistique, la comparaison de l’incarnation et de l’eucharistie qui restera fondamentale à travers toute la tradition. Or, dans l’exégèse du message angélique de l’Annonciation, saint Justin attribue la conception surnaturelle du Christ à l’intervention du Logos, vertu ou puissance de Dieu. Apol., i, 33, col. 381. L’intervention eucharistique du Saint-Esprit ne semble donc pas être dans la perspective de saint Justin, bien que l’épiclèse pût faire partie de la liturgie qu’il décrit. Voir mon article : La liturgie décrite par saint Justin eC