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ÉPICLÈSE EUCHARISTIQUE


Quant à la (K’claration cscliatoloj^ique, file est présentée Il comme un asijndclon, ^uns lien organique avec le contexte imraédialement précédent : un simple xai eÎTTEv a’jTote (('/ // leuidit), qui l’introduit, peut parfaitement indiquer un complément, étranger par son origine aux formules de consécration auxquelles il fait suite. » C. Viui Crombrugghe, dans la Revue d’histoire ecclésiastique de Louvain, t. ix (1908), p. 331-332. A cette explication il convient d’en ajouter une seconde, qui consiste à rétablir d’après saint Luc l’ordre des faits, et à voir dans la première coupe signalée par lui autre chose que la coupe eucharistique.

Sans insister ici sur les difficultés du texte sacré, voici comment nous résumerons cette question, avec Van Crombrugghe, op. cit., contre Andersen, Loisy, Viteau, Batiffol, etc., qui admettent que la pcricope Luc, XXII, 14-20, comprend deux récits concentriques de la même cène eucharistique.

Il Tout porte à croire que saint Luc a voulu rapporter deux cènes distinctes. La première est toute pascale, celle que Jésus a vraiment désiré de manger avec ses disciples : au cours de ce repas rituel, Jésus fait circuler une des coupes prévues par l’usage juif, et à cette occasion il prononce le logion eschatologicfue : « Je ne boirai plus du produit de la vigne jus « qu’au jour où le royaume de Dieu sera venu. » Cette pâque est la pâque de l’ancienne alliance ; elle est rapportée en deux actes, précisément parce qu’elle va être remplacée par les deux actes de la cène eucharistique, dont l’institution est exposée aux versets 19-20. » Van Crombrugghe, op. cit. Cette distinction des deux cènes dans le récit de saint Luc a été soutenue aussi par A.Tiesch, Aussrrkoiwnische Paralleltexle, Leipzig, 1895, t. iii, p. 676.

Saint Matthieu et saint Marc, eux, ne parlent que d’une seule coupe, la coupe cucliaristique. Comme ils ont voulu néanmoins signaler le logion eschatologique, ils l’ont rattaché à cette unique coupe. INIais il est visible que, dans les deux premiers synoptiques, ce logion n’est pas à sa vraie place, puisqu’il y est question du iruit de la vigne, et que saint Luc a raison de le rapporter à une coupe différente de la coupe eucharistique. Cf. Panel, Préliminaires historiques de la passion de Jésus, Élude critique (thèse), Lyon, 1903, p. 93-95 ; E. Mangenot, Les Évangiles synoptiques, Paris, 1911, p. 461-468.

2° Action de grâces, bénédiction et formule consécratoire. — On a opposé, entre autres raisons, à la distinction des deux cènes, l’une pascale et l’autre eucharistique, dans le récit de saint Luc, la présence — de part et d’autre — d’une action de grâces désignée par le verbe eùxapurrôiraç et que l’on identifie, sans plus, avec la consécration eucharistique. Telle est l’argumentation de J. Viteau, qui écrit : « Au ji. 17 (de S. Luc) on lit : /.a’i Ss^à]j.evoi ; TtoTripiov eù/api<TTr)(Taç etTtev, alors il prit une coupe, la consacra et dit…

p. 20, on lit : xa tô notripiov ûo-aÛTo) ;, // fit la même chose pour la coupe. Il faut donc suppléer devant TÔ TTOTTipiov les mêmes verbes que devant apiov, c’est-à-dire xal).aêùv to ttottipiov eJ-/api(TTr, (ia ; é'Stoxsv aÙToï ; Xéyuv, il prit la coupe, la consacra et la leur donna en disant… Il y aurait eu ainsi deux consécrations pour la coup*, l’une avant le dîner et l’autre après, ce qui n’est ni naturel ni logique. » J. Viteau, L'évangile de l’eucharistie, dans la Revue du clergé français, 1904, t. xxxix, p. 8 sq.

Que cette double consécration du calice ne soit ni naturelle ni logique, j’en conviens parfaitement. Mais pour admettre une consécration unique de la coupe, est-il nécessaire, comme semble le croire J. Viteau, de donner au mot eùxapidrôira ; un sens différent au j. 17 et au, t. 20 où il doit être suppléé?

Faut-il dire que, dans le premier cas, il s’agit d’une simple bénédiction, et d’une consécration dans le second cas ? Pas le moins du monde, croyons-nous. Mais alors que signifie cet ev/apiïT/iO-aç ou son équivalent eJ).0Yr|17a ;, et à quelle action de grâces ou à quelle bénédiction font allusion ces mots ?

Il est certain, d’après les récits évangéliques, que l’institution de l’eucliaristie eut lieu au cours, ou plus probablement, à la fin d’un repas du soir. Bien que les synoptiques ne paraissent pas pouvoir s’expliquer autrement que du repas pascal proprement dit, il nous importe peu ici de discuter ce point.

Or, il n’est pas douteux que Jésus ait pratiqué, au cours de sa vie, les usages juifs, et notamment la bénédiction ou action de grâces, usitée dans les repas. L'Évangile signale à plusieurs reprises la bénéilicllon ou l’action de grâces jointe à la fraction du pain. Ainsi dans le récit de la multiplication des pains, les quatre évangélistes montrent le Christ bénissant et rendant grâces avant de distribuer le pain à la foule. Les synoptiques ajoutent même le geste des yeux levés vers le ciel. Matth., xiv, 19 ; Marc, vi, 41 ; Luc, IX, 16.

Dans le récit de la cène, les mots vjyaç, '.'j-r, 'j3.ç ou £-j).ri-|'r, Taç doivent désigner une action analogue à la bénédiction du pain et du vin en usage chez les juifs dans les repas ordinaires. Ils ne désignent d^nc pas la consécration, mais plutôt un rite préparatoire à la consécration.

Cette explication se fonde, en outre, sur le sens primitif des verbes c’jyapia-EÎv et eùXoytn, lequel, tout comme pour l’hébreu barak qu’ils traduisent, ne comporte en aucune façon l’idée de consécration. Cette signification de consacrer, que les verbes cOy.apiTTsîv et EijÀoYEîv n’avaient pas primitivement, ne tarda pas à leur être donnée par les auteurs chrétiens. Saint Paul, appliquant à l’eucliaristie une expression juive qui désignait la troisième coupe pascale, l’appelle le calice de bénédiction que nous bénissons, xo noTriptov TT|Ç e’j/oyiai ; ô plofoiii.iv, I Cor., x, 16 ; et saint Justin dit que le pain et le vin sont eucharisties par la formule de prière qui vient du Christ, Apol., i, 66. Orsi, Disserta ! io theologica, p. 5 sq., cite un bon nombre de liturgies orientales qui, comprenant l’action de grâces au sens de sanctification, consécration. disent : grattas egil, benedixit, sanctificavitet gustavit. et poslca dédit discipulis suis dicens : Hoc est corpus meum. Voir aussi Hoppe, op. cit., p. 296-297. La liturgie grecque de saint Jacques porte même ceci : àvaSsiÇaç coi TÙ 0£(ï) xai Ilarp ;, eû/apiTTi^Ta ;, TiXrida ; nv£J(j.a-oî Aylo-j, ïUù-/.t. Brightman, op. cit., p. 52. Mais dans les récits évangéliques de la cène les deux mots £Jyapi(jTr|(7a ; et vjloyriaa.i gardent encore exclusivement leur sens juif.

I ! faut ajouter enfin que le participe aoriste paraît bien exprimer ici la consécution entre la bénédiction et la formule consécratoire, et tout autant le caractère secondaire de la bénédiction ou action de grâces. Sans doute, d’après la syntaxe grecque, le participe aoriste peut s’employer pour le participe présent, par attraction, lorsque le verbe principal est à l’indicatif aoriste. Mais cette observation grammaticale favorise notre explication, loin de la contredire. Nous verrions volontiers l’application de cette règle dans le texte de saint Matthieu pour exprimer la concomitance de l’action de grâces avec la fraction, précédant l’une et ] 'autre l’acte de donner aux apôtres l’aliment eucharistique en disant la parole consécratoire : Ceci est mon corps. C’est ainsi que la phrase du premier Évangile : Àaêojv ô 'ItiToûç xpTov xai £'j), oyT|Taç ïxXaiiEv xa’t ôoC ; Toî ; liaÔTiTat ; tlizvj, Matth., xxvi, 26, pourrait se traduire de la manière suivante : « Jésus, prenant du pain et le bénissant (ou : rendant grâces), le rompit.