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EUCHARISTIQUES (ACCIDENTS)


convenue entre eux ? En tout cas, le Durand commenté parut en 1700 à Cæn, sous le nom de l’imprimeur Pierre Marteau et sous la fausse indication de Cologne, qui a surpris parfois la bonne foi des bibliographes. L’ouvrage eut un retentissement considérable. Le 30 mars 1701, François de Nesmond, évêque de Bayeux, dans une instruction pastorale, condamna dix-sept propositions extraites du Durand commenté. L'évêque les déclarait jalsas, iemerarias, erroncas, scandalosas, concilio tridentino injuriosas, destructivas præsenliæ realis corporis Cliristi in eucharistia, in hæresim circa Iranssubstantiationcm inducentes. Tournely, De eucharistia, Paris, 1739, t. I, p. 279. Il est à peu près impossible de trouver aujourd’hui l’ouvrage de Cally, l’auteur ayant mis beaucoup de zèle à le retirer des mains du public. On trouvera huit des dix-sept propositions condamnées dans les Mémoires de Trévoux du mois de septembre 1730. L’assertion capitale de Cally et son erreur principielle consistaient à dire que le pain et le vin devenaient le corps et le sang de Jésus-Christ par l’effet des paroles de la consécration, qui les unissaient à l'âme du Sauveur. « Cette matière, disait-il, est le corps de Jésus-Christ eucharistie par l’union miraculeuse qui s’en est faite avec l'âme de Jésus-Christ et sa divinité. » Mémoires de Trévoux, loc. cit. Une misérable équivoque, contenue déjà dans les lettres de Descartes au P. Mestant, lui permettait d’appeler corps et sang de Jésus-Christ ce qui, en réalité, n'était que du pain et du viii, unis par une sorte de lien hypostatique à l'âme du Dieu-homme. L’auteur du Durand commenté concluait hardiment que u l’impénétrabilité, la divisibilité et la figure eucharistique » étaient « l’impénétrabilité, la divisibilité et la figure du corps de Jésus-Christ eucharistisé. » Si l’on disait que ce corps eucharistisé n'était donc pas le corps historique et humain du Christ, né de la Vierge, immolé sur la croix, glorieux et incorruptible dans le ciel et, d’après la croyance catholique, invisiblement présent dans l’hostie, il déclarait encore, en suivant toujours Descartes : " Toute portion de matière qui est véritablement unie, tant avec l'âme de Jésus-Christ en unité de nature qu’avec la divinité en unité de personne, doit être, non en figure, mais réellement et substantiellement le corps de Jésus-Christ qui a été sacrifié à la croix pour le genre humain : le même corps, dis-je, sinon à raison de son extrémité et circonférence, du moins à raison de son union avec la même âme et divinité. » Ibid., p. 1579. C'était encore une fois jouer sur les mots : le corps eucharistique n'était manifestement plus le corps individuel du Christ, ayant la nature de la chair humaine ; c'était à tout le moins un corps équivoque au vrai corps de l’Homme-Dieu. Cally se soumit noblement. Il déclara lui-même en chaire être l’auteur du Durand commenté, donna lecture de la condamnation épiscopale et rétracta généceusement ses erreurs. Bossuet avait communiqué à l'évêque de Bayeux, sous forme de censure, son jugement sur l’ouvrage de Cally. Il en exigeait la suppression par les mains de la justice séculière dans tout le royaume. Lettre à M. l'évêque de Bayeux. Lettre ccxlvii, 9 février 1701. Voir G. Vattier, La doctrine cartésienne de l’eucharistie chez Pierre Cally, dans les Annales de philosophie chrétienne, décembre 1911, p. 274-296 ; janvier 1912, p. 380-409.

Il se trouva néanmoins des génies plus originaux que soucieux des exigences de l’orthodoxie, qui songèrent à corriger l’opinion de Cally. Une des objections que soulève son système et celui de Descartes lui-même est que le corps de Jésus-Christ est du pain, non un corps humain organisé, ayant sa forme extérieure naturelle. Un autre prêtre cacnnois, mathématicien de renom, que la géométrie avait conduit au

cartésianisme, Pierre Varignon, professeur de mathématiques au collège Mazarin et plus tard au collège Royal, à Paris, s’avisa d’appliquer à l’eucharistie des conceptions qui lui avaient été suggérées sans doute par l'étude des infiniment petits. Il est, en effet, l’auteur d’un ouvrage intitulé : Éclaircissements sur l’analyse des infiniment petits, Paris, 1725. Varignon supposait que les plus petits éléments sensibles de la matière du pain étaient, comme toute matière, susceptibles de tous les arrangements possibles et, par conséquent, d’avoir tous les organes du corps humain. Une stature déterminée n’est pas essentielle au corps humain ; un enfant, disait Varignon, dont le corps n’a qu’un pied, est un homme ; des parties matérielles indéfiniment petites pourront donc recevoir l’arrangement du corps humain. Il retenait l’idée de Descartes : l’identité du corps humain dépend uniquement de celle de l'âme. Sur l’union de l'âme humaine avec le corps, Varignon pensait à peu près comme Leibniz : elle n’est que la correspondance mutuelle des mouvements du corps et des pensées de l'âme. Les pensées d’une seule âme pourront ainsi occasionner divers mouvements dans plusieurs corps et réciproquement ceux-ci pourront occasionner diverses pensées dans une seule âme. Celle-ci constituant à elle seule le moi, qu’elle soit unie à plusieurs corps ou à un seul, il n’y a toujours qu’un seul homme. Un seul homme peut donc, sans contradiction, être dans plusieurs lieux ; il suffit, pour cela, qu’une seule âme humaine informe plusieurs de ces corps microscopiques, séparés les uns des autres par rapport à l’espace. Par la transsubstantiation, la puissance divine organise en un instant les plus petites parties de la matière du pain, en autant de vrais corps humains. Ce changement, toutefois, demeure invisible aux sens, parce que ces parties infinitésimales gardent entre elles le même ordre qu’elles avaient lorsqu’elles étaient simplement du pain. Varignon ajoutait que la petitesse même de ces corps humains les mettait à l’abri de toute lacération sacrilège : il n’y a nul instrument, disait-il, qui puisse les frapper, les percer, les déchirer. Voilà ce que Varignon appelait une démonstration géométrique de la possibilité de la présence réelle, ce que d’Alembcrt traitera dédaigneusement de pieuse extravagance d’un dévot mathématicien. Le petit opuscule de Varignon fut imprimé à Genève en 1730 dans un recueil de Pièces fugitives sur l’eucharistie, qui est une publication du ministre Vernet. On trouvera un résumé du système eucharistique de Varignon dans le t. xx des Mémoires du P. Niceron, p. 26, et aussi dans le t. V des Philosophes modernes, Paris, 1773, p. 352 sq.. de M. Savérien.

Les idées de Varignon furent combattues, croyons-nous, dans un ouvrage qui parut à Paris en 1729. Il était dû à la plume de l’abbé F. David : Réfutation d’un système imaginé par un philosophe cartésien qui a prétendu démontrer géométriquement la possibilité de la présence réelle. Si la réfutation ne vise pas l’ouvrage de Varignon lui-même, elle vise, en tout cas, son système, exposé en latin par quelque professeur cartésien peut-être, qui ne le communiquait aux étudiants qu’en manuscrit. Mémoires de Trévoux, septembre 1730, ]). 1570. L'écrivain qui, dans les Mémoires de Trévoux, rend compte de l’ouvrage de l’abbé David, caractérise fort bien ce qu’avaient d'étrange et de presque indécent les idées de Varignon : « Qu’est-ce après tout, disait-il, que ce passage continuel de l'âme de Jésus-Christ en une infinité de ces portions organisées de pain et de viii, sinon une espèce de métempsycose immense et perpétuelle, inventée exprès pour se jouer du mystère ? L’identité de l'âme fera, si l’on veut, que Jésus-Christ ne sera pas plusieurs hommes, mais elle n’empêchera pas que ce ne soit un homme