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FILIOQUE


Il est vrai que quelques théologiens catholiques, en discutant avec les grecs, ont avancé que l’insertion du Filioqiie au symbole remonte à une époque reculée. D’apr^^s Manuel Calécas, saint Damase en serait l’auteur. Celui-ci y aurait eu recours pour combattre l’hérésie appelée -j’io-KaTota, dont les partisans enseignaient que le Fils est le père du Saint-Esprit et que le Saint-Esprit est le neveu de Dieu le Père. ISIanuel Calécas avertit qu’il tient ce renseignement d’un historien nommé Scylix. Adversiis grsecos, 1. IV, P. G., t. cLii, col. 196. Nous trouvons la même donnée chez Joseph de Méthone, qui invoque le témoignage de Georges Aristinos, Re/atatio Marci Ephesini, P. G., t. CLix, col. 1033, et chez Génébrard, qui affirme l’avoir puisée dans un fragment grec du célèbre canoniste byzantin Alexis Aristène. De sancta Trinilate, 1. III, Paris, 1585, p. 205. Le P. Petau remarque à bon droit que saint Damase n’a pu insérer au symbole une formule que ses successeurs ont hésité si longtemps à approuver. Les auteurs grecs cidessus mentioimés font sans doute allusion à la Fides Damasi, qu’ils confondent avec le symbole de Constantinople et que M. Kiinstle attribue à im concile de Saragosse, tenu en 380. Op. cit., p. 46-54. Calécas et Joseph de Méthone s’appuient aussi sur la lettre de saint Maxime le Confesseur à Marin, prêtre de Chypre, voir plus haut, t. iv, col. 794, pour en conclure que l'Église romaine, au viie siècle, récitait le symbole avec l’addition du Filioqac. Mais il n’est question dans cette pièce ni du symbole, ni du Filioqiie. Voir Petau, De Trinilate, 1. VII, c. ii, n. 2, D’ognuita Iheologica, Pai’is, 1865, t. III, p. 272. Cette pièce fournit sans doute un argument en faveur de la procession du Saint-Esprit du Fils, mais il ne faut pas en tirer une conclusion arbitraire. Il s’ensuit donc que nous devons descendre à la seconde moitié du viii° siècle, pour avoir les premiers renseignements certains touchant l’addition du Filioque au symbole. De Régnon, op. cit., t. iii, p. 209.

C’est en 767, au concile de Gentilly, tenu par ordre de Pépin le Bref, que l’on examina si le Saint-Esprit procède du Fils aussi bien que du Père. Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, t. iii, p. 726. Malheureusement nous ne possédons plus les actes de ce concile, et la courte notice que leur consacrent quelques chroniqueurs, par exemple, saint Adon de Vienne, Chronicon, P. L., t. cxxiii, col. 124, n’apprend pas si l’on y agita la question de la vérité dogmatique du Filioque, ou celle de son insertion au symbole. Le P. de Régnon suppose que les latins entamèrent la controverse du Filioque pour ramener les grecs à la doctrine de l'Église occidentale. Op. cit., t. iii, p. 205.

Les Livres carolins, composés en 794 par ordre de Charlemagne, fournissent une autre preuve de la prudence et de la sagesse des papes dans la question du Filioque. Ces livres, qui renferment un véritable pamphlet contre le 11" concile de Nicée, blâment vivement saint Taraise d’avoir dit que le Saint-Espril procède du Père par le Fils, au lieu de dire : Le SuintEsprit procède du Père et du Fils, comme le croit universellement toute l'Église : Ex Pâtre et Filio Spiritum Sanctum, non ex Paire per Filium, procedere recte creditur et usitate con/iletur. Libri carolini, 1. III, 3, P. L., t. xcviii, col. 1118. Ces derniers mots laissent voir qu'à la fin du uie siècle la doctrine du Filioque était répandue dans tout l’empire franc.

La papauté répondit comme il fallait à ces injustes récriminations. Adrien P"' (772-795) éleva la voix en faveur du concile de Nicée et de l’orthodoxie de Taraise. Il en appela au témoignage des Pères pour démontrer que la formule du saint patriarche était orthodoxe et qu’il fallait accepter avec vénération les décrets du II" concile de Nicée. Voir Epistol

de imaginibus, qua confulantur illi qui sijnodum nicsenam secundani oppugnarunt, Mansi, Concil., t. xiii, col. 760-766. Rappelons à ce propos que, dans sa lettre au métropolite d’Aquilée, Photius déclare que la procession du Saint-Esprit du Fils a été formellement niée par Adrien P’i^ dans une lettre au patriarche Taraise. Valétas, <l>u>Tiou sjttTToXai, Londres, 1864, p. 24, 25.

En 796, Paulin, patriarche d’Aquilée, convoqua un synode à Frioul (Cividale del Friuli). La question du Saint-Esprit y fut traitée avec ampleur. Saint Paulin protesta ne vouloir rien innover en matière de foi, vouloir s’en tenir aux conciles de Nicée et de Constantinople et à leurs symboles. Ces symboles, déclare-t-il, doivent rester intacts : il est expressément défendu à qui que ce soit d’y rien ajouter ou retrancher : Absil a nobis, proculque sit ab omni corde fideli, allerum vel aliter quam illi inslitueruntsymboluni vel fidem componere vel docere. Mansi, Concil., t. xiii, col. 835, 836. Cette défense, cependant, n’implique pas, de la part de la hiérarchie, la renonciation au droit de sauvegarder le dépôt de la révélation divine, ou de le rendre plus accessible aux fidèles par les moyens d'éclaircissements insérés au symbole. Or il était utile, pour fermer la bouche aux hérétiques, de déclarer solennellement que le Saint-Esprit n’est pas l’Esprit du Père seul. Les Pères des conciles se sont donc vus obligés d’ajouter le Filioque au symbole, comme une explication nécessaire de la doctrine du Saint-Esprit : Propler cas videlicct hserelicos qui susurrcuit SpiriUun Sanctum solius esse Patris, et a solo procedere Paire, addilum est : Qui ex Pâtre Filioque procedil. Et lumen non sunt hi sancii Patres culpandi, quasi addidissent aliquid vel nnnuissent de fide trecentorum decem et oc.to Patrum. Mansi, Concil., t. xiii, col. 836.

Les théologiens orthodoxes, Zoernikav en particulier, insinuent que les actes du concile de Frioul ont été infailliblement falsifiés. Op. cit., t. i, p. 329330, 403-407, 469-474 ; Tantalides, nairiaTcxoi ïUyym, Préface, p. 48-50 ; Lampryllos, p. 15-16. Saint Paulin, objectent-ils, proteste vouloir s’en tenir à la foi de Nicée et de Constantinople : il n’aurait donc pu parler ainsi, s’il s'était avisé d’introduire une nouvelle formule au symbole d’un ancien concile œcuménique. Du reste, sa foi était suspecte à Baronius qui l’appelle schismatique, an. 833, 11.5 (remarquons que Baronius rappelle à plusieurs reprises la sainteté et les vertus de Paulin : à l’endroit cité par Zoernikav et Lampryllos, nous ne trouvons aucun terme outrageant pour sa mémoire).

Le cardinal Franzelin a réfuté aisément les objections que la théologie orthodoxe tire des actes du concile de Frioul. Lorsque Paulin défend l’intégrité du symbole, il entend parler de la foi contenue dans les symboles de Nicée et de Constantinople, non pas des éclaircissements légitimes de cette foi. Or le Filioque n’est pas une altération de la doctrine traditionnelle promulguée et sanctionnée par les deux conciles œcuméniques. Il n’est donc pas défendu de l’ajouter au symbole, puisqu’il est tout simplement l’explication d’une vérité de foi. Rien de plus clair que le passage où saint Paulin explique sa pensée sur l’intégrité du symbole : on dirait qu’il prévoit et réfute d’avance les objections ressassées par la théologie orthodoxe : Non est in argumento fulei addere vel minucre eu, quæ a sanctis Pcdribus bene salubriterquc sunt pronuilgata : secundum eorum scnsum rccle senlire, et exponcnduni eorum subtile supplcre ingenium : sed addere vel minuerc est subdole contra sacrosanctum eorum sensuni, aliter quam illi, callida tergiversationc diversa sentire, et confuso stylo pcrversum dogma componere. Mansi, Concil., t. xiii, col. 836. Il cite l’exemple des Pères de Constantinople qui ajoutèrent de nouvelles for-