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FEU DU JUGEMENT


âmes encore endettées vis-à-vis de la justice divine, en face d’une manifestation réelle de la croyance primitive au dogme du purgatoire ? Le « feu réel du jugement » serait-il l’expression première du « feu réel du purgatoire ? » Cet aspect du problème, signalé ù propos d’Origène par M. Tixeront, Hisloirc des dogmes, Paris, 1909, t. i, p. 303, note 3, a été développé, à propos du même Père et de Clément d’Alexandrie, dans un sens qu’on ne peut toutefois approuver entièrement, par G. Anricli, Clemens iind Origenes uls Begriindcv der Lchrc vom Fegfeuer, dans Tlieologisclien Ahltandliingen, 17 mai 1902. On l’examinera à l’art. Feu du puHGATOinE.

III. Chez les théologiens.

Au moyen âge, la doctrine du feu du jugement a déjà reçu une précision plus grande. Le jugement du feu est signalé par Rupert, De Trinilaie, 1. Ilf, c. xxxii, P. L., t. CLXVii, col. 319, mais il s’agit évidennnent ici du feu du purgatoire. En ce qui concerne le jugement lui-même, les théologiens accordent qu’il sera plus probablement constitué par une action d’ordre tout spirituel : prohabiliiis festimatiir qiiod lolum illud judicium, et quoad discnssiunem. ci qiioud accusationem incdoium, el qiioad commciuhdionem bonoriim, et quoad sententiam de ulrisque, MEyrALiTER pcrficicliir. S. Thomas, Siim. theoL, 111"= Suppl., q. lxxxviii, a. 2. Néanmoins, ils acceptent, connne une vérité certaine, la présence d’un feu réel au jugement dernier ; ils s’appuient sur l’autorité du ps. xcvi, 3, et surtout de la IP Pet., iii, G, 7 : llle lune mundus aqua inundalus péril : cœli uulcin qui mine sunt et Icna eodem verbo reposili cninl, igni beservati i DIEM JUDicil et perdilionis impioruin hominum.L’antithèse du déluge de l’eau avec le déluge de feu indique un sens non métaphorique et le contexte exige une interprétation littérale. Suarez, loc. cil.

Mais cette distinction une fois faite entre le jugement lui-même et le feu qui l’accompagnera, les scolastiques ne sont plus d’accord pour dire s’il faut distinguer le feu qui accompagne le jugement du feu de la conflagration dernière. Saint Bonaventure, In IV Senl., i. IV, dist. XLVII, a. 2, q. iv, rapporte les différentes opinions ayant cours à son époque. Pour lui, connne pour saint Antonin, Snm. Iheol., part. IV, tit. XIX, c. XI, § 3, il faut distinguer, d’après la Glose, deux feux, l’un, antérieur au jugement, dont l’effet sera de faire mourir ceux qui resteront encore et de purifier les justes des derniers restes du péché ; l’autre, qui sera à proprement parler le feu de la conflagration générale. Mais l’opinion la plus généralement adoptée considère déjà le feu qui accompagne le jugement dernier comme identique à celui de la conflagration, voir S. Thomas, Suni. Iheol., III » = SuppL, q. Lxxiv, a. 9, ad 1°™, la conflagration ellemême devant précéder la résurrection ; il est dit dans le ps. xcvi, 3 : Ignis cinle ipsum prueecdel ; en outre, la résurrection précède le jugement ; la conllagration du monde par le feu précédera la résurrection, car une fois ressuscites, les saints ne pourraient plus être purifiés par le feu, et cependant, d’après le texte du Maître des Sentences counnentant saint Augustin, une telle purification est nécessaire à ceux d’entre les justes qui en ont besoin. Donc le feu précédera le jugement. S. Thomas, In IV Sent., 1. IV, dist. XLVII, q. il, a. 3. D’après cette opinion, la rénovation du monde sera faite en vue de la glorification (les élus au jugement, et doit donc lui être, sinon antérieure, au moins concomitante. Les effets de ce feu seraient donc les suivants |iar rapport aux hommes qui doivent être jugés : 1° un effet naturel, celui de domier la mort aux honnnes, justes et impies, qui seront encore en vie, et de réduire leurs corps en cendre ; 2° un effet pré/fma/H/r/, en tant que

le feu sera l’instrument de la justice divine, celui de faire expier à ceux qui le méritent fes fautes dont ils sont coupables ; s’il ne s’agit que de fautes légères, ou de fautes graves pardonnées, non encore totalement expiées, l’action du feu, proportionnée à la culpabilité de chacun, purifiera en un instant les justes du dernier jour. Les justes qui n’auraient rien à expier, subiront les atteintes du feu, mais sans douleur aucune, par une disposition spéciale de la providence. Après le jugement, les justes seront impassibles et ne pourront plus souffrir du feu, mais ce feu matériel concourrait, dans ce qu’il a de plus pur et de plus subtil, à leur gloire, tandis que ses éléments grossiers descendront en enfer avec les danuiés. Quantum ad id quod in igné grossum reperitur, deseendcl ad infcros ad pœnam dcunnalorum ; quod veto est ibi subtile et lucidum remanebil superius ad gloriam clectorum. S. Thomas, Sum. Iheol., l^ Suppl.. q. lxxiv, a. 8, 9 ; In IV Sent., 1. IV, dist. XLVII, q. ii, a. 3 ; Cont. gent., . IV, c. xcvii. Voir, à peu près dans les mêmes ternies, Richard de Middletown, In IV Sent., 1. IV, dist. XLVII, a. 2, q. iv-vii, sauf que ce que le feu aura de pur cessera d’exister après le jugement et par son acte de la purification des hommes se résoudra dans sa matière préexistante. On trouve substantiellement la même doctrine dans Bède le Vénérable, De lemporum raiione, c. lxix, P. L., t. xc, col. 574 ; Durand de Saint-Pourçain, In IV Sent., . IV, dist. XLVII, q. m ; Pierre de la Pain, In IV Senl., ï. IV, dist. XLVII, q. i ; D. Soto, /a IV Sent., 1. IV, dist. XLVII, q. IV, a. 1, 2 ; Pierre Lombard lui-même, loc. cit., et quelques autres moins connus. Nous ne nous y attarderons pas, puisqu’elle doit être exposée plus amplement à l’art. Fin du monde.

Suarez et Bellarmin, par leur critique plus ferme et plus fine, font faire un pas de plus à la question du feu du jugement. Très certainement, pour eux, le feu ne peut être considéré comme l’instrument du jugement de Dieu. Examinant la doctrine attribuée à certains Pères, voir plus haut, col. 2241 scj., Suarez, In III'"" Sum. S. Thomee, disp. LVII, sect. i, n. 8, dit nettement que cette doctrine renferme une erreur manifeste, à moins qu’on ne l’explique en bonne part. Affirmer que tous les justes doivent être purifiés (remarquons cependant que les Pères ne disent pas absolument purifiés, mais éprouvés) par le feu du jugement avant d’arriver à la béatitude, c’est affirmer une hérésie, directement opposée à la vérité catholique. C’est une hérésie de l’afiirmer : 1° de ceux qui, possédant la grâce, n’ont jamais commis la moindre faute vénielle, comme la très sainte Vierge et les petits enfants morts avec la grâce du baptême ; 2° des martyrs, dont les fautes sont remises quant à la coulpe et quant à la peine, et, en général, de tous ceux qui meurent immédiatement après avoir reçu le baptême. Des autres, on doit affirmer d’une façon certaine qu’il leur est possible de satisfaire complètement pour leurs péchés, dès cette vie ; dire qu’en fait personne ne rachète ses fautes complètement serait téméraire et sans fondement sérieux. D’ailleurs, même pour les pécheurs morts en état de grâce, il n’est pas nécessaire qu’un feu purificateur s’attaque à leur être au jour du jugement ; leur âme, en effet, a été purifiée au purgatoiru, et, d’après la croyance commune de l'Église, cette purification sufiit, fe corps n’ayant été que l’instrument de l'âme dans l’acte du péché, et étant déjà assez puni par la corruption et la mort.

Cela dit — et notons encore une fois que tout ce raisonnement ne vaut que dans l’hypothèse d’un feu purificateur pour tous les justes, sans exception — Suarez explique en bonne part les affirmations citées de saint Hilaire, de saint Ambroise et de saint Jérôme.