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FEU DE L’ENFER

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toute cause instrumentale, son action propre, que respecte la vertu divine. C’est à ce point de vue qu’il faut se placer pour résoudre la difficulté que nous avons signalée. Il semble qu’il n’y ait qu’une solution scienlifiqiie, c’est celle déjà indiquée à l’art. Enfer, col. If 1 : « Les changements, actions et passions organiques, dans les corps incorruptibles, ne peuvent être que de simples mouvements physico-mécaniques, sans altération chimique. » Voici l’exposé qu’en fait le P. Tourncbize : Qu’il ne se dégage du feu de l’enfer ni flamme ni fumée, conune pensent plusieurs Pères de l’Église, c’est fort vraisemblable. Il serait encore puéril de supposer qu’il est produit par l’oxygène, alimenté par le carbone. Il n’en peut résulter ni désagrégations, ni autres phénomènes chimiques, les corps et les âmes contre lesquels il sévit étant incorruptibles. Ce n’est point d’ailleurs dans ces phénomènes que consistent la nature du feu et le caractère spécifique de son action. -Avec d’autres apologistes, nous ne voyons aucun inconvénient à dire, après les savants modernes, que la cluileiir est le résultat des vibrations moléculaires, qu’elle est essentiellement liée à un mode du mouvement et d’autant plus intense que les vibrations sont plus rapides. Pourquoi, dès lors, le puissant auteur de toute activité créée ne tiendrait-il pas en réserve, quelque part, une substance, aussi subtile qu’il vous plaira, et dont les vibrations incessantes soient aptes à produire une sensation continuelle de brûlure’? D’autre part, s’il est autour de nous des éléments que la chaleur ne peut dissoudre, le maître de la nature ne saurait-il empêcher les corps de se désagréger sous l’influence de cet agent mystérieux ? » Opinions du jour, etc., p. 15. Voir O. Mazzella, Pnelccl. schol. dogm., Rome, 1905, t. iv, p. 574. Nous aurons plus loin l’occasion de revenir sur cette explication, à propos du mode d’action du feu infernal sur les corps des damnés.

3° Hypothèse d’un jeu réel, conçu par mode d’analogie. — Cette troisième hypothèse, qui n’est d’ailleurs qu’un perfectionnement de la seconde, nous semble seule donner la vraie solution iliéologique. Les choses de l’au-delà ne peuvent nous être connues, même avec le secours de la révélation, que par mode d’analogie, nos concepts n’exprimant que l’objet propre de notre connaissance, c’est-à-dire les êtres matériels d’icibas. A priori, on peut donc affirmer que le feu de l’enfer, analogue à notre feu terrestre, lui ressemble et l’en différencie ; dans quelle mesure exacte, c’est ce qu’il serait téméraire de vouloir préciser. Mais la loi de l’analogie demande, semble-t-il, qu’on établisse une différence jusque dans la nature même du feu, et non pas seulement dans ses propriétés et effets ; d’ailleurs, les propriétés découlent de la nature, et la logicpe veut que l’on ne proclame pas l’unité spécifique entière et complète, là où l’on est obligé de reconnaître la diversité des propriétés et des elTcts. A posteriori, la révélation nous marque cette analogie en nous faisant connaître les points de ressemblance et les points de différence des deux sortes de feux.

1. Ressemhlemces.

« Il n’est point défini que le feu de l’enfer est matériel ; …cependant, il ne faut pas oublier que, huit fois au moins dans l’Évangile, et près de trente fois dans le Nouveau Testament, le supplice de l’enfer est désigné par ce terme de feu ou fiammc [voir plus haut, col. 2197 sq.]. On ne comprendrait pas ce langage, si la peine du feu, la plus terrible de celles d’ici-bas, n’avait une connexion intime avec le supplice de l’enfer et n’était la plus propre à nous donner une idée de sa rigueur. » Brassac, Ahuiuel biblique, Paris, 1908, t. iii, p. 590.

2. Différences.

Tous les théologiens, même saint Thomas et les scolastiques qui tiennent pour l’unité spécifique du feu infernal et du feu terres re, reconnaissent les différences qui séparent l’un de l’autre.

Les nécessités de l’apologétique ojit peut-être forcé les théologiens contemporains à insister davantage sur ces différences. Passaglia, op. cit., tlieor. viii, corol. 1, les a bien résumées : o) le feu naturel est produit à la suite de certaines opérations cliimiques, le feu de l’enfer doit son origine et son aliment à la colère de Dieu ; b) le feu naturel n’agit sur les âmes qu’au moyen des corps, le feu infernal torture immédiatement les esprits ; c) le feu naturel s’éteindra un jour, celui que la colère de Dieu allume brûlera sans fin ; (/) le feu naturel éclaire, le feu de l’enfer produit des ténèbres ; c) le feu naturel consume sa proie, le feu de l’enfer brûle et torture sa victime sans la détruire. Voir Dupont, Dictionnaire apologétique de Jaugey, 2°= édit., art. Feu de l’enfer. En étudiant plus loin les propriétés du feu de l’enfer, nous verrons qu’elles sont affirmées dans le dépôt de la révélation. Mais il fallait les signaler dès maintenant pour nous permettre de tirer notre conclusion.

Nous croyons donc plus conforme à la raison de ne point affirmer l’unité spécifique absolue du feu de l’enfer et du feu terrestre. Rien ne s’oppose dans la révélation à ce que nous étendions l’analogie jusqu’à la nature même du feu. Et c’est la formule qui de plus en plus ralliera les suffrages des théologiens, pourvu qu’on conserve la récditi même du feu infernal. Déjà Lactance, voir col. 2203, et saint Jean Damascène, col. 2202, avaient énoncé explicitement cette solution, et saint Thomas, expliquant saint Jean Damascène, III » ; Suppl., q. xcvii, a. 5, n’hésitait pas à dire : Damaseenus non negat simpliciler illum ignem matcrialem esse, sed quod non est materialis t(dis i/U(dis apud nos ; c’est exactement l’expression du R. P. Hugon, op. cit., p. 205 : « Ce feu n’est point métaphore ; il est réel ; nous ne disons pas -.matériel comme le nôtre ; » c’est presque l’anirmation de Passaglia : Neque enim cum realem dicimus inferni ignem, eumdem illum esse cum igné hoc noslro a/Jirmamus. Loc. cit., corol. 2. Saint Bonaventure avait déjà d’ailleurs déclaré : Ulrum ille ignis sit elemenlaris, sive cjusdem specici cum igné qui apud nos est, hoc non ita potest pro constanti a quocumque determinari. Voir col. 2209. Aussi nous souscrivons entièrement à la formule du P. Hurter, Theol. dogm. compendium, Inspruclc, 1883, t. iii, tr. X, n. 799, déclarant que le feu de l’enfer et le feu terrestre diffèrent entre eux natura et indole. î^approcher de ces formules les descriptions du feu de l’enfer d’après certaines visions, par exemple, dans la Vie de sainte Thérèse racontée par elle-même, c. xxxii.

On comprend maintenant pourquoi, dans la première partie de cet article, nous avons séparé la question de la réalité du feu de celle de sa matérialité ou corporéité. L’une et l’autre question se résolvent sans doute par l’afilnnative ; mais tandis que notre affirmation de la réalité du feu de l’enfer est absolue, l’affirmation de sa matérialité ou corporéité suppose une remarque préalable, concernant le sens analogique dans lequel peut être entendu ce mot de matérialité ou de corporéité. Faut-il distinguer, comme le fait M. Labauche, entre feu corporel et feu matériel" ? Le feu de l’enfer, d’après cet auteur, ne serait « pas matériel quoique causé par une cause corporelle. » Leçons de théologie dogmediquc. If. L’homme, Paris, 1908, p. 391. Nous avouons simplement ne pas comprendre la valeur de cette distinction, puisque tout le débat porte ici.sur cette cause de la peine du feu, laquelle, si elle est corporelle, est aussi matérielle.

II. pnopniÉTÉs.

î.e feu de l’enfer est donc : 1° Vengeur de la justice divine outragée. C’est le feu « sage » et « divin » , voir plus haut, col. 2220, instrument de Dieu, et dans l’application duquel Dieu intervient directement jjour proportionner chaque supplice à chaque faute et à chaque espèce de faute.