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FENELON


(l’établissement ile lois somptuaires), telle interdiction où apparaît, sinon l’esprit de caste, du moins la méconnaissance des conditions vraies d’une aristocratie capable de durer et de servir (mésalliances interdites aux deux sexes : qu’eussent dit les duchesses, fdles du bourgeois Colbert ? C’étaient sans doute les unions des grands sei teneurs avec les fdles des trailants que visait Fénelon). Du reste, il retire aux nobles les justices seigneuriales, et il ne les exempte d’aucun impôt. Fénelon ne semble pas comprendre la nécessité pour la France d’avoir ime marine forte. A prendre dans leur ensemble les Tables de Chaulncs, on peut en dire : I (Ce) programme, tout pénétré d’humanité, mais aussi de raison, accordait, pour tout l’essentiel, plus que ne demandaient, quatre-vingts ans plus tard, les cahiers du Tiers, mais excluait les plus dangereux rêves du xviiU’siècle… » .Jules Lemaître, Fénelon, ix, dans la Revue hebdomadaire, 19 mars 1910.

La mort du tluc de Bourgogne (février 1712) emporta des projets et des espérances dont la réalisation paraissait prochaine, et fit au cœur de Fénelon une blessure qui ne se ferma point. L’archevêque de Cambrai ne se désintéressait cependant pas du bien public, et, prévoyant ime inévitable régence, il écrivit ses quatre Mémoires sur les préeautions et les mesures à prendre après la mort du duc de Bourgogne. Fénelon avait déjà perdu, en novembre 1710, l’abbé de Langeron, et à cette occasion il écrivait au vidame d’Amiens, fds du duc de Chevreuse : « Que les bons amis coûtent cherl La vie n’a d’adoucissement que dans l’amitié, et l’amitié se tourne en peine inconsolable » (15 novembre 1710). Il perdit tour à tour le duc de Chevreuse (5 novembre 1712) et le duc de Beauvilliers (31 août 1714).. partir de ces dates funèbres, « il est touché à mort ; et d’année en année, rien n’est plus beau que ce dépouillement successif de lui-même. » F. Brunetière, iManucl de l’histoire de la littérature française, V époque. Sa douleur cependant ne l’absorba point. Il écrit pour le duc d’Orléans ses admirables lettres sur la religion, chef-d’œuvre d’apologéticjue. Il entretient avec des âmes choisies une correspondance que M. Lanson juge le plus beau des titres littéraires de Fénelon, et qui est aussi un titre à la reconnaissance de tous ceux que ces lettres ont consolés et soutenus. Peu de temps avant sa mort, il prépare l’impression du recueil qu’on a nommé Manuel de piété. Gosselin, Histoire littéraire de Fénelon, part. I, sect. iv, a. 2. Il répond à une requête de l’Académie française par sa lettre sur les occupations de cet illustre corps, œuvre qui rejoint les Dialogues sur l’éloquence, écrits dans sa jeunesse. De part et d’autre, c’est toujours le même esprit, le même goût. du simple, du naturel et du familier. L’esprit de chimère n’est pas absent des Diedogucs sur l’éloquence, remarque M. Paul.Janet, " lorsque Fénelon attribue à l’inspiration du moment une puissance et une fécondité qu’elle n’a pas. » Voir aussi Anatole Feugère, Bourdaloue, sa prédication et son temps, part. I, c. i. Dans la Lettre sur les occupations de l’Académie française, des vues justes, ingénieuses, hardies, fécondes, se mêlent à des sévérités excessives, à des assertions paradoxales ; mais, nonobstant ces défauts, on y découvre un critique de premier ordre. Les Dialogues et la Lettre sur les occupations de l’Académie française contiennent de judicieuses appréciations des Pères de l’Église considérés au point de vue de l’éloquence.

Fénelon mourut, le 7 janvier 1715, entouré des proches et des amis qui lui restaient. L’aumônier de l’archevêque a tracé de cette mort un édifiant et touchant récit. Voir Bausset, Histoire de Fénelon, 1. VIII, c. xxi. Ses dernières paroles, en recevant le viatique, furent un acte de pur et confiant amour : Oui, mon Sauveur Jésus-Christ contenu réellement

dans cette hostie est mon Dieu… il est mon juge…, mais je l’aime bien plus que je ne le crains. » Récit de l’abbé Guyot, dans E. Griselle, Fénelon. Études historiques, p. 294.

D’après le marquis de Fénelon, Louis XIV, songeant au concile national qu’aurait sans doute présidé l’archevêque de Cambrai, prononça sur le défunt cette parole de froid regret : // nous memque bien au besoin. II""’de Maintenon écrivit, le 10 janvier, à M. Languet, curé de Saint-Sulpice : « Je suis fâchée de la mort de M. de Cambrai ; c’est un ami que j’avais perdu par le quiétisme. Mais on prétend qu’il aurait pu faire du bien dans le concile si on pousse les choses jusque-là. » III. L’apologiste, le philosophe, le théolg-GiEN, l’homme. — Sous CCS divefs aspects, Fénelon nous est déjà connu ; nous n’avons guère qu’à préciser certains traits de sa physionomie et à compléter son portrait.

De bonne heure, Fénelon a été apologiste, parce que de bonne heure il a vu la nécessité de défendre la foi au milieu d’une société en apparence si fortement ordonnée. Dès 1685, dans son sermon pour l’Épiphanie, il avait signalé < un bruit sourd d’impiété » , qui allait grandir à mesure que le règne de Louis XIV toucherait à sa fin. Son Traité de l’existence et des attributs de Dieu démontra à des esprits atteints ou menacés par le spinosisme, cette vérité primordiale et fondamentale. La première partie de cet ouvrage, composée selon le témoignage de Ramsay, dans la jeunesse de Fénelon, est, dit P. Janet, « une œuvre d’un caractère essentiellement populaire et de forme littéraire, sauf à la fin… C’est un écrit éloquent, d’une langue abondante et magnifique, dans laquelle Fénelon s’est inspiré des anciens, en développant le célèbre argument dit des causes linales, et, dans une langue plus moderne, des merveilles de la nature. » Fénelon, c. ix. Ce qui manque à cette première partie, ce sont certaines précisions scientifiques ; Bossuet, dans la Connaissance de Dieu et de soi-même, paraît bien plus au courant de la science de son temps. La première partie du Traité de Fénelon parut, en 1712, sans la participation de l’auteur ; la seconde partie, réunie à la première, fut publiée en 1718 par les soins de Ramsay et du marquis de Fénelon. Dans la seconde partie, l’auteur part du doute méthodique de Descartes, établit, par le principe d’évidence, la réalité de son existence, et prouve l’existence de Dieu par l’imperfection de l’être humain, par l’idée que nous avons de l’infini, par celle que nous avons de l’être nécessaire, par la nature même des idées. Adversaire de Malebranche en théologie, il se rencontre sur le terrain philosophique avec le hardi oratorien ; lui aussi représente cette doctrine moins sûre que brillante qui, au xixe siècle, devait se nommer Vontologisme. Voir part. II, c. IV. Le c. v traite longuement des attributs divers que Fénelon fait découler tous de la notion de Dieu. Ici se présente une objection qui porte plus haut que la tliéorie fénelonienne, et qui vise l’enseignement catholique. « On se demande, écrit M. Paul Janet, comment la pluralité des personnes divines peut s’entendre dans un être absolument un, d’une suprême unité. » Non certes, à cette question l’on ne répondra pas que « c’est l’esprit humain qui distingue les personnes divines, pour proportionner la nature divine à la nature humaine, » car, comme le remarque M. Paul Janet, ce serait « détruire la réalité des personnes divines considérées en elles-mêmes, et par conséquent dessécher le christianisme à sa source. » On pourra dire que « c’est une question de foi, » et ajouter même que « la philosophie n’a rien à y voir, » pourvu que la philosophie ne s’évertue pas à découvrir une contradiction entre la suprême unité de Dieu et la trinité des personnes divines. Sans doute.