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EUCHARISTIQUES (ACCIDENTS ;


ne voyait qu’une impossibilité. N’est-il pas reniai’quable que le premier à formuler en termes de dialectique la thèse des accidenlia sine siibjecio soit précisément un écolâtre de cette célèbre école de Liège d’où sortirent des adversaires éminents de Bérenger, tels qu’Adelman, évêque de Bresse, jadis condisciple de l’hérésiarque aux pieds de Fulbert de Chartres, de cette école, précisément, dont les disputes eucharistiques, excitées par l’archidiacre, contribuèrent, d’après Gozechin, autre scolastique deLiége, à hâter le déclin ? Episi.ad 'Walch., c. xxixsq., P. L., t. cxLiii. C’est à l’autorité des Pères qu’en appelle l'évêque de Liège, Déoduin, dans sa lettre à Henri, roi de France, pour l’engager à refuser les honneurs d’un concile à Bérenger et à son protecteur, Eusèbe Brunon. P. L., t. cxlvi, col. 1439. Gozechin se plaint de voir les partisans de l’hérésiarque délaisser, dans l’exposition des mystères de la foi, la méthode prudente et respectueuse des Pères pour les détours tortueux de la dialectique. Op. cit., c. xxx. Adelman lui rappelle pareillement la recommandation de leur maître vénéré, Fulbert de Chartres : il faut marcher sur la trace des Pères ; les suivre, c’est prendre la voie royale, P. L., t. cxiiii, col. 1289 ; aux humbles, tels que lui et Bérenger, il peut n'être que salutaire de s’abriter à l’ombre des grands noms d’Ambroise, d’Augustin, de Jérôme. Ibid., col. 1291. Le cardinal Humbert, dans sa vigoureuse lettre à Eusèbe Brunon, lui remet en mémoire que le Christ, dont il tient son Église, a choisi pour propager l'Évangile, non des sophistes et des aristotéliciens, mais des hommes simples et dépourvus de culture : non per sophistas et aristolelicos, sed per simpUces et idiotus. Bibl. de Berne, n. 292, collection Bongers, cité par P. Brucker, L' A/sace et l'Église au temps du pape saint Léon IX, Paris, 1889, t. II, appendice. Enfin le moine Anastase, dans la belle lettre, publiée par Gerberon dans son édition des œuvres de saint Anselme, Epist., cvi. De sacr. ait., Opéra omnia, p. 452 ; lettre qui, en raillant ces hommes charnels dont la folie est destructrice de la foi eo quod magis suis corporalibus oculis quam veritatis atlestationibus credunt, vise manifestement l’empirisme eucharistique de Bérenger, fait profession de tenir en égal dédain le bavardage dialectique des écoles d’Aristote et de Chrysippe et l'éloquence cicéronienne ; il se contente de cueillir dans le jardin divin, les Écritures et les œuvres des Pères sans nul doute, ces fruits dont les racines glorieuses sont fixées au ciel : sed mémento quia simpliciler frucfus carpimus in divino horlulo, quorum radiées gloriosse fixée sunt in cselo. Nous assistons ainsi au conflit de deux méthodes, dont l’une, celle du passé, est un traditionalisme dont toute l’ambition est de se rattacher étroitement à la foi commune, énoncée par les Pères, dont l’autre, celle de l’avenir, s’essayant à naître et s’implantant peu à peu, malgré quelques essais malheureux, est un rationalisme avide d’explications naturelles et portant dans l’intelligence du dogme avec l’amour du système un vif besoin de cohérence logique. C’est parmi ces tendances opposées, qu’a dû se former peu à peu une théorie nette et précise des accidents eucharistiques. L’originalité de la scolastique, dans la matière qui nous occupe, comme en d’autres, consiste, croyons-nous, à avoir repris la question là où les Pères l’avaient laissée, à avoir posé des problèmes philosophiques, situés, il est vrai, dans le prolongement de leur pensée, peut-être même dans celui du dogme, mais enfin, à côté desquels les Pères avaient passé sans les voir ou peut-être en les dédaignant. L’effort eut ce grand résultat de faire de la théologie une science et de rendre possible, en la préparant, cette majestueuse

synthèse de la raison et du dogme qui s’appelle la Somme théologique de saint Thomas. Il est intéressant de voir la raison aux prises avec les problèmes posés par la foi.

Il y a des solutions malhabiles, qu’elle quitte successivement pour d’autres estimées meilleures ; la solution d’Alger, dont l’influence devait être si marquante en droit canonique par les emprunts que lui fit Gratien, ne s’imposa pas dès l’abord dans les écoles. On nia même, comme il a été dit plus haut, la persistance des qualités sensibles, mais il semble qu’en général on ait commencé par leur chercher un support. Ce ne pouvait être le corps du Christ : Dicunt quidam, écrit l’auteur des Sententiæ divinitatis, quod in corpore Christi rémanent et corpus Cliristt sunt. Non lumen taie est ad dextram, quale reprœsentatur, quia credimus quod sit longum, spissuni, habens easdem dimensiones quas et alius homo. Sicuti posi resurreclionem apparuit in specie peregrini, cum peregrinus non esset. Op. cit., p. 134. On se rappellera que la Summa sententiarum, attribuée à Hugues de Saint-Victor, disait de même : Nec audemus dicere quod insinl corpori Christi. Non enim habet corpus Christi rotundam figuram in se, sed qualem in judicio visuri sumus. Loc. cit. Abélard imagina de leur donner comme substrat l’air atmosphérique ; c’est la neuvième erreur que saint Bei-nard signale dans la Theologia chrisiicuia : De speciebus panis et vint quæritur, si sint modo in corpore Christi, sicui prias erant in substantia panis et vint, quæ versa est in corpus Christi : an sint in aère. Sed verisimilius est, quod sint in acre, cum sint in corpore Christi sua lineamenta, et suam speciem habeat, sicut alla corpora humana. Absel. opéra, édit. Cousin, t. ii, appendice, p. 768. h’Epitome theologiie christianæ, qui indubitablement est d’inspiration abélardienne, s’efforce de rendre acceptable cette opinion, au moyen d’analogies : Si enim nolumus dicere, quod illius corporis sit hsec forma, possumus satis dicere, quod in aère sit illa forma…, sicut forma liumana, in aère est, quando angélus in homine apparet. Ibid., p. 580. La même opinion apparaît dans les sententiaires, étudiés par le P. Denifle et composés à Bologne, vers le milieu du xii"e siècle. Archio fiir Literatur und Kirchengeschichte des Mittelatlers, Berlin, 1885, t. i, p. 403 sq. Seul, celui de Roland Bandinelli ne la mentionne pas. Die Sentenzen Rolands, édit. Gietl, Fribourg-enBrisgau, 1891, p. 234, note 11. Vraisemblablement, la condamnation de la théologie d' Abélard au concile de Sens en 1141 dut avoir pour effet de la faire abandonner. Déjà les Sententix divinitatis, dont la composition est certainement postérieure à cette condamnation, introduisent la solution d’Abélard, par la formule alii dicunt : Alii dicunt, quod in corpore Christi non rémanent, sed in prsefacenti aère, sicuti de angelo qui loquitur in aère, qui videtur esse homo et formant hominis hubere, cum tamen non est homo, nec formam hominis habet, sed in aère est forma illa. Op. cit., p. 134. A partir du Lombard, on peut dire qu’elle n’est plus citée que pour mémoire : Ne mireris vel insultes, écrit-il, si accidenlia videantur frangi, cum ibi sint sine subjecto, licet quidam asserant ea fundari in aère. Sent., 1. IV, dist. XII ; S. Thomas, Sum. theol., lU'^, q. Lxxvii, a. 1. Gabriel Biel la réfute encore : Post consecrationem, non inhærent accidenlia… aeri circumstanti : quia hic est locus specierum ; locus autem non est subjectum locali. In IV Sent., 1. iv, dist. XII, q. i, a. 2. Du reste, ni le corps du Christ, ni l’air ambiant ne pouvaient jouer le rôle de substance par rapport aux espèces sacramentelles. La solution était en opposition formelle avec l’axiome : Accidens non migrai de subjecto in subjectum, et, de plus, les accidents du pain eussent qualifié leurs