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FANATISME


se persuadent que Dieu les lionore d’une telle distinction traitent les docteurs ordinaires de haut en bas. Mais en même temps ils font connaître qu’ils se vantent à tort d'être inspirés : car, si Dieu leur faisait ce grand honneur, il ne leur refuserait pas l’esprit de l’humilité chrétienne ; ils ne concevraient pas une si grande indignation contre tous ceux qui ne veulent point ajouter foi à leurs rêveries. » Bayle, Dictionnaire liisloriqiw et critique, Y^otterdam, 1715, t. i, p. 981.- — 2° Le fanatisme soutient ses visions ou ses inspirations par tous les moyens dont il peut disposer, et il va même, s’il le faut, jusqu’aux pires extrémités. Ses visions ou ses inspirations distinguent un fanatique d’un utopiste ; ce sont ses violences qui le distinguent du simple charlatan. Le charlatan attribuera volontiers ses idées à une influence supérieure ; mais il ne les suit pas pour cela jusqu’au bout. Une sorte d’instinct de conservation l’avertit qu’il se perdrait dans ses excès, qu’il ne peut manquer de succomber sous le coup des résistances qu’il provoquera et d'être finalement vaincu par la force des choses. Il préfère se reprendre, se ressaisir et se retourner. Il renonce, suivant une excellente expression, à réaliser ses idées, et il se contente de les manifester. Le fanatique, au contraire, est par excellence l’homme cjui réalise ses idées, qui s’abandonne à leur impulsion et qui, ne s’embarrassant point des ruses du charlatanisme, se laisse entraîner à tous les excès : « Celui qui a des extases, des visions, qui prend des songes pour des réalités et des imaginations pour des prophéties, est un enthousiaste ; celui qui soutient sa folie par le meurtre est un fanatique. » Voltaire, loc. cit.

II. Fanatisme, sectes, religion. — On voit par la définition de ses deux caractères cjue le fanatisme est aussi essentiel aux sectes qu'étranger à la religion catholique. Toutes les sectes sont, en elïet, fondées sur la négation de l’autorité ; et si quelques-unes affectent de croire encore à une révélation primitive, ce n’est point qu’elles s’en embarrassent beaucoup, puisqu’elles se chargent elles-mêmes de l’interpréter : « La doctrine du luthéranisme est fondée sur un principe semblable avec cette dift'érence que les purs déistes, comme JeanJacques Rousseau, pensent qu’il n’a jamais existé de révélation extérieure de Dieu à la société humaine, et quel’homme trouve toutes les lois au fond de son cœur, au lieu que Lutlier admet l’existence d’une révélation primitive, mais il pense que l’homme trouve dans sa raison les lumières nécessaires pour l’expliquer, c’està-dire que les uns veulent que l’homme soit sa loi à luimême et les autres veulent que l’homme soit à luimême son magistrat, n Bonald, Législation primitive. Discours préliminaire. Ainsi toutes les sectes se définissent par la prétention qu’elles ont de rendre à l’homme la possession de son esprit. « Il n’y a plus de maître : l’esprit ^de chaque homme est à lui, » J. de Maislre, Considérations sur la France, c. i, 5 : telle est la formule même de l’esprit de secte.

Il suit de là deux conséquences. La première, c’est quel’homme, délivré de toute contrainte, s’abandonne à toutes ses fantaisies ; il prend ses imaginations ou ses idées pour des révélations ; s’il cherche dans les Livres saints la parole de Dieu, il la tourne au gré de ses caprices, parce que, cette parole n'étant attachée à aucune preuve positive, il n’y a personne qui ne puisse ou s’en vanter sans raison ou même se l’imaginer sans fondement ; enfin il s’entête d’autant plus aisément dans son opinion qu’il n’y a point de contrôle pour l’en corriger. Mais nous savons, au contraire, qu’en matière de foi et de vérités révélées, celui qui ne pense pas comme l'Église est un hérétique ; et la religion ne se conserve que si ceux qui la composent consentent à faire à une tradition commune le sacrifice permanent de kur jugement propre. Ce que tout le monde croit.

ce que l’on a toujours cru, c’est ce qu’il faudra croire éternellement ; et ainsi, ce qu’il y a de plus vivant et de plus réel dans la religion, c’est la tradition. Ceux qui s’en détachent pour prétendre à des inspirations personnelles ou à des lumières particulières que l'Église n’avoue point, se jugent eux-mêmes et ils se condamnent. La seconde conséquence, c’est que les sectes n’ont pas en elles la force nécessaire pour se garantir contre les déplorables moyens auxquels elles sont entraînées d’elles-mêmes pour la défense ou la propagation de leurs idées ; elles sont fondées sur l’indépendance, et elles en vivent ; la cause de toutes les violences et de tous les excès que l’on voit chez elles est de ne pas connaître une autorité comme celle del'Église en dehors de laquelle, chacun étant livré à son chagrin et à ses passions particulières, non seulement il n’y a plus de vérité possible, mais il n’y a plus d’union réafisable ; et voilà pourquoi, après s'être détachées du tronc commun, les sectes glissent tout de suite vers le fanatisme ; celui-ci leur est tellement propre ou essentiel qu’elles ne peuvent se soutenir que par lui ; il est, au contraire, si étranger à la rehgion catholique qu’on ne peut en trouver chez elle aucun exemple, et qu’on la verrait toujours l’absorber au fur et à mesure qu’il se produirait.

III. Fanatisme et déisme.

Cela n’a point empêché les philosophes du xviiie siècle, qui furent aussi ignorants « qu’Adam venant au monde » de toute sorte d’histoire en général, et particulièrement de l’histoire religieuse, de reprocher premièrement et avant tout à l'Église ses ravages, ses violences sanguinaires, et en un mot son fanatisme. Telle est la véritable origine du déisme français, dont les commencements ne doivent rien, et le développement peu de chose aux librespenseurs anglais. S’il nous souffle, en effet, d’Angleterre, un terrible " vent philosophique » vers le milieu du siècle, et si tout devient anglais vers la fin, cela ne veut pas dire que tout le soit déjà dès le début. C’est Voltaire qui, en 1730, inaugura chez nous la fortune de ce libre pays où « la raison ne connaît point de contrainte. » Mais nos philosophes n’avaient pas attendu si longtemps pour se décider contre l'Église ; Voltaire lui-même, et avant lui, Bayle, le premier de tous, avaient trouvé dans le gallicanisme, et en particulier dans les persécutions exercées contre les protestants, les principales raisons de l’animosité qu’ils n’ont cessé d’entretenir contre elle ; et si nous ne doutons pas, à ce sujet, qu’ils ne se soient trompes en inscrivant au compte de la religion catholique les abus et les exagérations dans lesquelles le gallicanisme n’avait cessé de la compromettre aux yeux des incroyants, il n’en est pas moins vrai que c’est là, au fond de toutes ces querelles, que nous devons chercher le commencement ou, si l’on veut, le prétexte de cette opposition déclarée. Par la révocation de l'édit de Nantes, les protestants furent, en effet, mis en demeure de choisir entre leur pays et leur religion ; et, plus fidèles à leur « conscience » cju'à leur « prince » , ils optèrent en grand nombre pour l’exil, quittèrent la France, « cette Babylone enivrée du sang des fidèles, » et se réfugièrent pour la plupart en Hollande, dans cette « grande arche des fugitifs, >. d’où ils nous renvoyèrent la dure leçon des événements dont ils étaient victimes. Quelques convertis ayant publié un panégyrique de Louis XIV sous ce titre : La France toute catholique sous le règne de Louis le Grand, Bayle y répondit par trois lettres dans lesquelles il insistait avec complaisance sur les. te dragonnades » et essayait de définir à son tour Ce que c’est que la Frcmce toute catholique sous le règne rfeLouis le Grand (1685) : « Vous croyez en gros et par un honteux préjuge, y disait-il, que tout ce qui a été tait contre nous est juste, puisqu’il a été suivi d’un si glorieux succès à la religion. Mais ne vous y trompez.