Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.2.djvu/386

Cette page n’a pas encore été corrigée
2071
2072
FAMILLE DAMOUR — FANATISME


s’accommoder des unes et des autres et vivre en paix avec tout le monde. Inutile par conséquent de perdre son temps ou d© dépenser ses forces en faveur de tel ou tel système religieux, car le martyre n'était que la plus maladroite des inconséquences. Il n’y avait point de résurrection des corps à attendre, car en fait de résurrection, il n’y a que celle qui consiste à sortir du péché ; et l’on sortait définitivement du péché dès qu’on était admis dans la famille de l’amour.

Cette doctrine simplifiée était grosse de conséquences immorales, car elle libérait l’esprit et débridait les instincts. Elle s’affirma en face de la théorie protestante du salut par la foi seule et elle dut facilement recruter des adeptes dans les bas-fonds de la société. Henri Nicolaï la propagea par la parole €t aussi par la plume ; car, malgré son peu de culture, il écrivit beaucoup sous des titres pompeux, dans un style emphatique, à grands renforts de citations bibliques, pour en imposer aux simples et aux ignorants. Il signait ses lettres de deux initiales H. N., précédées de ces mots : Charitas cxslorsit. Entre autres opuscules, il composa en hollandais l'Évangile du royaume, la Terre de paix, la Prophétie de l’Esprit d’amour, qui furent traduits en anglais pour servir à la propagande.

Chassé peut-être de sa patrie ou désireux de porter sa doctrine dans un milieu plus favorable, Nicolaï se rendit en Hohande, ferax hasrclicorum provincia, comme dit Camden, Annales rcrum anglicarum, Londres, 1615, t. i, p. 300, et se fixa pour longtemps à Amsterdam. Là il fit connaissance de Volkart Koornheert, un illuminé comme lui, déjà chef de secte, qui prétendait que la religion consiste principalement dans la lecture et la méditation de la Bible, voir t. III, col. 1770-1771 ; il essaya même de le convertir, mais sans y réussir. A la fin du règne d’Edouard VI, vers 1552 ou 1553, il passa en Angleterre, où il groupa un certain nombre d’adeptes, puis il rentra en Hollande, sans qu’on sache exactement la suite et la fin de sa vie.

En Angleterre, les partisans de Nicolaï ou familistes contribuèrent à augmenter les désordres politicoreligieux de la fin du xvie siècle ; ils furent l’oljjet d’accusations d’hétérodoxie de la part des protestants, -et de poursuites de la part de l’autorité civile. Une première fois, en 1575, ils durent publier une Confession de foi ; cela ne les empêcha pas d'être condamnés, en 1580, par un édit de la reine Elisabeth. Une autre fois ils furent accusés de pactiser avec les partisans de Brown, dits les brownistes ou séparatistes, en même temps cjue ceux-ci étaient a ?cusés de faire cause commune avec eux. Qu’en était-il au juste ? De part et d’autre on se disculpa. Dans la requête que les familistes adressèrent au roi Jacques, en 1604, et à laquelle ils eurent soin de joindre leur pr^^'cédente Confession de foi, ils déclarèrent bien n’avoir rien de commun avec les brownistes, mais sans parvenir â dissiper toute prévention. Ils végétèrent ainsi, étroitement surveillés par la ] olice, et finirent par se fondre dans d’autres sectes.

Au point de vue religieux, Volkart Koornheert avait déjà composé contre Henri Nicolaï un dialogue intitulé : Klein Monster. D’autres contemporains avaient discuté ses idées ; un browniste, Henri Ainsworth, répondit aux lettres qu’il avait adress.es à deux filles de Warwick ;.lean Knenstub réfuta so 1 Évangile du royaume ; Gaspard Grevinchovius écrivit également contre lui. Plus tard, ce furent Jean Etherington, Samuel Rutherfurd et surtout Bayllie, -qui attaquèrent la famille de l’amour. Ce dernier est l’auteur de Anabaptismus, fons Independenlismi, Brownismi, Antinomismi et Familial ismi, où l’on voit la famille d’amour rangée à la suite et ciinme

une conséquence naturelle de l’anabaplisme et des autres sectes de libertins. Cf. Hoornbeeck, Sumnm controversiarum, Utrecht, 1651, p. 420, 647. Il est difficile de croire, en efïct. que ces sectaires, grâce aux principes aussi relâchés que ceux qu’ils tenaient de leur fondateur, ne se soient pas rendus coupables un jour ou l’autre de tristes excès et n’aient encouru, avec la réprobation des honnêtes gens, la condamnation des tribunaux ; car il n’y a rien comme l’erreur de l’esprit pour s’accompagner du libertinage des sens chez ceux qui sont parvenus à se croire impeccables et assurés du salut ; et tel fut le cas des membres de la famille de l’amour.

Camden, Annales rcrum anglicarum et hibernicaruin régnante Elisabclha, Londres, 1615-1627, t. i, p. 300, 301 ; Hoornbeeck, Siimma controversiarum, Utrecht, 1653, p. 410 sq., 647. Pour la bibliographie, Migne, Dictionnaire des hérésies. Paris, 1847, t. i, col. 711, renvoie au Lexique de Stukman, et àVIIistoire de Ui Réforme dans les Pays-Bas, de Brandt, t. i, p. 84 ; Wetzer et Welte, Kirchentexikon, 2e édit., t. IV, col. 1227-1228, signalent, outie Camden, déjà nommé, le Lexic. histor. de Broughton, V Encyclopddie d’Ersch et Gruber, le Kirchenund Kcizerhistorie d’Arnold.

G. Bareille.

    1. FANATISME##


FANATISME. — I. Définition. II. Fanatisme, sectes, religion. III. Fanatisme et déisme.

I. Définition.

Le fanatisme est aujourd’hui communément « applicjué à la passion de servir une cause ou un parti avec un droit prétendu devant lequel tous les autres droits s’eflacent, » Renouvier et Prat, La nouvelle monadologie, Paris, 1899, p. 236 ; c’est ainsi que la politique, la science et la littérature elle-mêine ont leurs fanatiques ; mais ce n’est là, comme on le voit bien, qu’une acception tout à fait secondaire et dérivée où l’on ne retrouve déjà plus l'étymologie du mot. Ce qui constitue, en effet, le fanatisme, et qui nous reporte à ^a première origine, ce ne sont point tant les droits qu’il s’arroge que les visions ou les inspirations divines qu’il s’attribue. On appelait fanaticjues chez les anciens des espèces de devins ou prétendus prophètes. Ils étaient ainsi nommés du latin fanum, parce qu’ils ilemeuraient dans les temples. C'étaient surtout clés prêtres d’Isis, de la Mère des dieux, de Bellone. La signification du mot s’est ensuite étendue comme d’elle-même à tous ceux qui s’imaginent avoir des révélations ou des inspirations et qui, s’attribuant par suite des pouvoirs divins, humainement irresponsables, soutiennent leurs idées jusqu'à vouloir les imposer par la force ou par la violence.

Il y a donc deux choses dans le fanatisme, dont l’une en est le fondement, et l’autre la conséquence. — 1° Les fanatiques sont essentiellement des visionnaires ou des illuminés ; « ces gens-là sont persuadés que l’Esprit-Saint… les pénétre, » Voltaire, Dictionnaire ]>lnlosophique, art. Fanatisme ; et c’est ce qui les distingue, par exemple, des utopistes qui ne tiennent leurs rêveries que d’eux-mêmes. Les utopistes affirment leurs chimères en face de l’expérience qui les contredit ; ils ne les laissent ni entamer ni réduire ; mais ils ne cherchent pas non plus à vaincre la résistance qu’elles éprouvent. Le fanatisme, au contraire, exaspéré par cette résistance, mais non pas instruit par elle, s’obstine à la l^riser, ou il met son amourpropre à ne pas la sentir. L’enivrement de ses idées, qu’il affecte d’avoir reçues du ciel, non seulement le ferme à toute expérience et le prévient contre toute autorité, mais il le met en révolte contre elles. Là est le grand danger de tous ceux qui, comme disait Bayle, « se vantent d’inspiration. > On les accuse « d’un orgueil énorme, et l’on remarque que c’est le défaut ordinaire de ceux qui prétendent avoir part aux inspirations d’en haut. Effectivement cette faveur est d’un si grand prix, qu’il ne se faut pas étonner que ceux qui