Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.2.djvu/38

Cette page n’a pas encore été corrigée
1375
1376
EUCHARISTIQUES (ACCIDENTS)


présence purement dynamique ; une transformation des oblats est affirméc, dont le terminus ad quem est la chair vivifiante du Verbe, celle qui est née de la Vierge Marie ; on voit même, ajouterons-nous, poindre chez Cyrille cette idée reprise par le pseudo-Ambroise, De sacramentis, 1. IV, c. iv, et Théophylacte, In Joa., c. VI, et où les scolastiques verront une des causes finales des espèces sacramentelles : Si l’expérience sensible demeure invariable, c’est condescendance divine vis-à-vis de notre faiblesse que la vue du sang et de la chair eût repoussée. Mais nous serions d’avis que saint Cyrille n’a pas songé au mode de cette transformation, et moins encore aux conditions d’existence de ce qu’il appelle ri ; atvd[j.E/a, cela, parce que pour lui le côté attachant du sacrement, et partant l’attention de la pensée, est ailleurs ; elle est dans le pouvoir vivifiant de l’eulogie ; Cyrille étudie surtout l’eucharistie dans sa relation à la christologie ; ce qui lui importe, c’est que la chair eucharistique soit la chair unie hypostatiquement au Logos divin ; elle l’est précisément, et Nestorius a tort, parce qu’elle confère son pouvoir vivifiant à notre chair. Nous ferions à peu près les mêmes réserves au sujet des conclusions de Nægle dans sa monographie sur la doctrine eucharistique de saint Jean Chrysostome, Die Eucharistielehre des heiligen Johannes Chrysostomus, Fribourg-enBrisgau, 1900. Nægle, en soumettant les textes à la méthode discursive et ratiocinante, dont certains théologiens ont incontestablement abusé, en dégage aisément toute l’analyse théologique postérieure du dogme eucharistique, y compris le tertiuin commune postulé par la transsubstantiation. D’après Nægle, la doctrine eucharistique de Chrysostome se laisse, rait condenser dans la formule suivante : absence de la substance du pain et du viii, présence du corps et du sang du Christ, en vertu d’un ierlium commune, qui, manifestement, ne peut être autre chose que les accidents du pain et du viii, comme signe sacramentc visible. Op. cit., p. 85. Cette analyse serait extrêmement intéressante, si elle était le fait de Chrysostome et non une élaboration systématique des textes due au théologien qu’est Nægle. Il serait ridicule de nier le réalisme de Chrysostome, si évident que Loofs le trouve « effroyablement massif, grossièrement sensuel et dépourvu parfois de tact dans l’expression, » Realencyclopàdie, art. Ahendmahl, Z^ édit., p. 54, 55 ; il est certain aussi que Chrysostome enseigne un changement, une conversion des upo/.£ia£va, mais nous tenons avec Rauschen, op. cit., p. 41, et Batiffol, op. cit., p. 277, qu’il n’a point précisé le mode de cette conversion. Encore moins a-t-il songé à déterminer la relation spéciale des apparences sensibles à la réalité que la foi nous laisse découvrir sous elles. Quand Nægle nous dit : « Ce que Chrysostome entend par apparences sensibles s’identifie réellement à ce que l'École entend par le terme « accidents « opposé à celui de « substance » , et spécialement par celui d’espèces là où elle traite du mystère eucharistique, op. cit., p. 81, nous répondons : Sans doute, mais il s’agit de savoir si Chrysostome lui-même opérait l’identification que vous signalez ; il a fallu des siècles pour passer des à-peu-près, des contours flottants du langage de l’orateur populaire que fut Chrj’sostome à la précision analytique du vocabulaire défini en usage chez les théologiens scolastiques. Même en accordant à Nægle que le langage de Chrysostome oblige à considérer le processus du changement eucharistique comme impliquant un changement substantiel, voire même une transsubstantiation unique en son genre, nous n’oserions avec lui motiver ce jugement en disant — croyant toujours interpréter la pensée de Chrysostome : « En effet, du pain et du viii, il ne reste plus que l-s accidents. » Op. cit., p. 89, 90.

Avant de chercher une théorie des espèces eucharistiques là où on a cliance d’en trouver une, c’est-àdire chez les initiateurs de la scolastique, signalons un dernier argument patristique auquel la théologie des âges passés eut plus d’une fois recours en la matière et qui n’a peut-être pas la valeur qu’on s'était plu à lui reconnaître ; il s’agit, dans l’espèce, d’un argument emprunté à YEranistts de "Théodoret. Dans ce dialogue, où l’orthodoxe combat, dans la personne de son interlocuteur, le monophysisme, le premier, qui représente Théodoret, rétorquant l’argument que son adversaire tirait de la conversion eucharistique en faveur de la conversion de la nature humaine du Christ en la nature divine, lui réplique : Quæ ipse texuisti retibus caplus es. Neque enim signa mystica post sanctifualionem recedunt a sua natura. Manent enim in priorc subslaniia et figura et forma et videri et frangi possunt ut prius. IniclliguntuT autem ea esse quse fada sunt et creduntur et adorantur, ut quæ illa sint quêe creduntur ; a pari, conclut-il, le corps du Christ n’a pas subi de changement substantiel, après la résurrection ; il est seulement devenu immortel. Pierre de Marca, Theodoreti sententia de sacra eucharistia. Dissert, postumee, édit. Paul de Faget, Paris, 1668, p. 71 ; Théophile Raynaud, Eucharistica, Lyon, 1665, t. vi, p. 74 ; Muniessa, De eucharistia, Barcelone, 1689, p. 567, n. 12, et Franzelin, De eucliaristia, Rome, 1868, p. 257, n’hésitent pas à reconnaître, dans ces symboles mystiques dont Théodoret écarte tout changement essentiel, les seules apparences sensibles. Raynaud impose résolument cette conclusion orthodoxe au texte de Théodoret, moyennant un contresens. Il traduit les mots : ixévei yy.ç àm 'f^ : irpoTsçia ; o-jnia. :, xa : toj (j/r||j.aTo ;, /.a. toj ei’Soui ; …, en disant : Manet enim in prioris substantiæ et figura et forma, loc. cit., et accompagne cette version de la réflexion suivante : Quod veritatem catholicam nullo modo collidit. Mais il s’agirait précisément de savoir si, dans V Eranistes, Théodoret n’est pas sorti des limites de la stricte orthodoxie et si, pour ruiner plus efficacement le monophysisme, il n’a pas adhéré à une sorte de dyophysisme eucharistique, inconcihable avec le dogme de la transsubstantiation. C’est la thèse de Mgr Batiffol, qui nous semble avoir pour elle le sens obvie des textes. Op. cit., p. 290 sq. Cf. J. Lebreton, Le dogme de la transsubstantiation et la christologie ancienne du ve siècle, dans Report of the eucharistie congrcss held at Westminster from 9 to 13'^ september 1908, Londres, 1909, p. 338-339. Toutefois, le passage contesté n'écarte pas non plus, du moins sans instance possible, le sens que lui donna longtemps l’enseignement catholique ; l’idée maîtresse qui s’en dégage est l’absence, dans les symboles mystiques, d’un changement d’ordre sensible. Cette prier substantia, demeurant ce qu’elle était, pourrait n'être que la nature purement phénoménale du pain et du vin. Cette interprétation laisse debout la réponse de l’orthodoxe : de même que dans l’eucharistie, après comme avant le changement invisible admis par la foi (intelliguntur autem ea esse que facta sunt et creduntur), les symboles mystiques restent une forme de réalité, tombant sous les sens (et videri tangique possunt sicut et prius), ainsi, le corps du Christ après l’ascension n’a point perdu sa vraie nature corporelle. Proposé ainsi, l’argument pourra paraître moins convaincant qu’il ne le serait dans l’hypothèse d’un dyophysisme eucharistique : de la négation d’un chan gement sensible des espèces eucharistiques, il conclurait à la négation d’une conversion réeUe du corps du Christ à la nature divine. A tout le moins accordera-t-on qu’un texte aussi ambigu et d’une orthodoxie contestable ne légitime pas l’attribution