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EUCHARISTIE DU XVP AU X.V SIÈCLE


les espèces sont intègres. Les docteurs de Salamanque établissaient cette union formelle entre le corps du Christ et la quantité diinensive, le seul accident absolu qui persistait sans support d’inhérence et qui était le support des autres accidents. Elle n'établissait qu’un simple rapport d’efflcience entre les deux extrêmes, mais il en résultait un certain être physique, qui n'était toutefois qu’un composé accidentel. De Lugo disait la même chose en d’autres termes, û/spuiationes scholaslicse et morales, De eucharisUa, disp. VI, sect. II, n. 26 sq. Il admettait, dans les espèces, l’existence d’une qualité surnaturelle intrinsèque par laquelle elles entraînent avec elle le corps du Christ comme l’aimant attire le fer, et qui établit entre elles et le corps du Christ quelque chose d’une union physique, cum sit nexus physicus et vinculum in aclii primo colligans corpus Christi, ita ul non possit non sequi species. — b) Descartes, ayant proposé une philosophie nouvelle, voulut la mettre d’accord avec la foi catholique sur la présence réelle. Il en donna deux explications différentes, qui ont été plus ou moins modifiées par ses disciples. Sur tous ces essais, voir Eucharistiques (Accidents). — c) Il faut signaler aussi la tentative de M. Edouard Le Roy, qui n’a pas trouvé d'écho, pour expliquer la présence réelle d’une façon purement pragmatiste. Cette nouvelle interprétation excluait d’abord toute interprétation intellectualiste de la théologie catholique. Que signifie d’habitude le terme de présence ? « Un être est dit présent quand il est perceptible, ou bien quand, restant en lui-même insaisissable à la perception, il se manifeste par des effets perceptibles. Or, d’après le dogme luimême, aucune de ces deux circonstances n’est réalisée dans le cas actuel de la présence réelle. La présence en question est une présencemystérieuse, ineffable, singulière, sans analogie avec rien de ce que l’on entend d’habitude sous ce nom. Alors je demande quelle idée c’est là pour nous ? Quelque chose qu’on ne peut ni analyser ni même définir ne saurait être dit « idée » que par un abus de mot. » Dogme et critique, Paris, 1907, p. 18-19. Loin d'être un énoncé d’ordre intellectuel, le dogme de la présence réelle est purement négatif ; il « ne m'énonce aucunement une théorie de cette présence, il ne m’enseigne pas même en quoi elle consiste. Mais il me dit très nettement qu’elle ne doit point être entendue de telle façon ni de telle autre encore qui ont été jadis proposées, que, par exemple, l’hostie consacrée ne doit pas être tenue seulement pour un symbole ou une figure de Jésus. » Ibid., p. 20. Comme les autres dogmes il a, avant tout, un sens pratique et moral. Quel est-il ? « Ici encore le dogme en tant que dogme nous dit simplement : « La t réalité est telle en soi que vous devez avoir en face de B l’hostie consacrée la même attitude que vous auriez « devant Jésus devenu visible. » Ou si vous préférez : « Cette attitude (attitude de l’esprit autant qu’atti « tude extérieure) — caractérisée analogiquement par aie mot présence — est la seule qui convienne dans le « cas actuel à la nature de la réalité en cause. » Quant à cette réalité elle-même, le dogme comme tel ne nous en définit pas les déterminations intrinsèques, il ne nous en donne pas une idée propre et distincte, il se contente de nous la révéler à titre de fait par ce qu’elle exige de nous. Chercher ensuite une représentation théorique de cette présence, tâcher de découvrir ce qu’elle doit être en soi pour entraîner légitimement en nous un tel devoir d’attitude et de conduite, c’est affaire de spéculation libre où le dogme n’intervient que sous la forme négative de ranathème fulminé contre telles et telles théories. » Ibid., p. 258-259. M. Le Roy explique dans le même sens les mots transsubstantiation et substance, qui n’ont pas, dans les définitions du concile de "Trente, « un sens idéologi quement défini, conforme à celui de la philosophie scolastique.mais un sens empirique, vulgaire, pragmatiquement clair et intellectuellement obscur, qui suffit pour la notification d’une donnée et qui laisse la porte ouverte à toutes les recherches théoriques. » Ibid., p. 260-262. Sur la condamnation de ce système au sujet de la valeur objective du dogme, voir la proposition 26" du décret Lamentabili, DenzingerBannwart, n. 2026, et l’encyclique Pascendi, ibid., n. 2079 ; voir aussi t. iv, col. 1584-1586. Sur la signification précise de la définition du concile de Trente, voir plus haut, col. 1345. Enfin, l’idée de présence, tout en exprimant une relation d’un être vis-à-vis d’un autre être, ne consiste pas exclusivement dans la perception que le second a du premier, mais exige une certaine compénétration de l’un dans l’autre. Ainsi la présence locale se fait rigoureusement par la pénétration adéquate du corps dans le lieu qu’il occupe. Elle est donc inséparable de la réalité de l'être présent. La présence du Christ au sacrement, si mystérieuse qu’elle soit, exige donc que le Christ, dans sa réalité propre, soit contenu par les espèces eucharistiques, qui l’enferment quant à son entité objective et absolue dans le lieu qu’occupaient le pain et le viii, encore qu’il n’y soit pas présent localiler, quant à sa quantité corporelle, parce que les dimensions du pain et du vin ne sont pas les siennes. Il ne suffit donc pas, pour qu’il y ait présence réelle, que cette présence soit appréhendée « par nous sous les espèces de notre devoir d’attitude et de conduite par rapport à elle. » Pour être appréhendée par les yeux de la foi, sinon par les organes des sens, elle doit exister, être physique, quoique son mode d'être soit incompréhensible. Bien qu’elle ne nous soit pas sensible, nous en avons l’idée, et cette idée peut être définie et analysée en quelque manière par l’esprit humain, éclairé par la foi. Elle représente quelque chose à notre esprit, puisque nous en parlons. Nous concevons le fait, encore que le comment nous échappe. Le corps et le sang du Christ sont des réalités dans l’eucharistie, et leur présence ne peut s’interpréter que comme une présence réelle. Cette présence réelle commande l’attitude du croyant. L’explication pragmatiste de M. Le Roy est donc de tout point insuffisante.

2. Mode de la Iranssubslanliation.

a) Sur ce point, les scolastiques ont continué à suivre des voies différentes. Ils admettent tous avec l'Église que la transsubstantiation est une conversion totale de la substance du pain et du vin au corps et au sang du Seigneur, mais ils expliquent diversement cette conversion et la manière dont elle s’opère. Pour tous, la substance du pain et du vin cesse d’exister, et il n’en reste que les accidents, qui ne sont plus inhérents à leur sujet naturel d’inhérence. Toutefois, elle n’est pas anéantie, puisqu’elle n’a pas pour terme le néant, mais une réalité, qui est le corps et le sang du Seigneur ; elle est convertie à ce corps et à ce sang. Mais comment ce corps et ce sang, qui auparavant n'étaient pas sous les espèces sacramentelles, y sont-ils en vertu des paroles de la consécration ? Y sont-ils amenés ou reproduits ? L’hypothèse de l’action reproductive, corrélative à celle de l’annihilation du pain et du viii, doit être rejetée, semble-t-il, puisque le corps et le sang de Jésus existent au ciel et n’ont pas besoin d'être reproduits. Bellarmin, de Lugo, ont adhéré à la théorie de l’action adductive, proposée par Duns Scot. Pour d’autres le corps et le sang succèdent au pain et au vin dans le même sujet, et il y a connexion entre la disparition de ces derniers et la succession des premiers. Ils sont présents là où ils n'étaient pas ; ils ne sont pas toutefois simplement coexistants aux espèces sacramentelles ; ils sont unis à ces accidents comme le pain et le vin l'étaient avant leur dispari-