Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.2.djvu/296

Cette page n’a pas encore été corrigée
1891
1892
EXTASE


vie et tout l'éclat intérieur de son idée : il s’y acharne, il s’y épuise sans réussir. Mais les mystiques ne doivent-ils s’en prendre qu'à eux-mêmes ? Si les paroles Teur manquent, n’est-ce pas que les vérités et les sentiments qu’ils essaient de traduire, sont inclTables"? Le fond du problème est là.

Or voici ce qu’affirment les mystiques. Dans l’extase « l'âme se sent prés de Dieu, il lui en reste une certitude qui ne lui permet pas d’en douter… J’avais, dans les commencements, cette ignorance de ne pas savoir que Dieu est dans tous les êtres. Or, d’un côté, la présence si intime dont je parle me semblait incroyable, et de l’autre, il m'était impossible de ne pas croire que Dieu fût là, car j’avais comme une vue claire de sa réelle présence. » S*^ Thérèse, Vie, c. XVIII, t. II, p. 226, 227. Plus nettement encore la même sainte écrit : « Dieu s'établit lui-même dans l’intérieur de cette âme, de telle manière que, quand elle revient à elle, il lui est impossible de douter qu’elle n’ait été en Dieu, et Dieu en elle. » Château inlérieur, V demeure, c. i. Saint.Jean de la Croix dit de son côté : « Ces connaissances sublimes et amoureuses sont propres à l'état d’union : elles sont l’union même et consistent dans une mystérieuse touche de la divinité au fond intime de l'âme. C’est Dieu lui-même que l'âme ressent et qu’elle goûte ; mais non. sans doute, avec la plénitude et l'évidence de la claire vision bcatifique. » Montée du Carmel, 1. III, c. xxvr.

Ainsi, dans l’extase, l'âme est près de Dieu, en Dieu, elle le touche. Comment ? Évidemment, ce n’est ni avec les sens extérieurs, ni avec ceux de la partie sensitive de l'âme que l’on appelle parfois sens de l’imagination, mais avec les sens intérieurs ou spirituels, coinme les nomme saint Bonaventure. Expliquant cjue la connaissance expérimentale s’acquiert non pas par ce que nous pouvons entendre dire, mais par l’impression produite sur nos sens extérieurs, par les objets eux-mêmes, il ajoute : « Il en va tle même pour le goût intérieur et les autres sens spirituels. Si donc je lis ou entends dire que le Seigneur est doux, je n’en ai pas pour cela une connaissance expérimentale, il faut que mon goût spirituel soit atteint par la douceur divine, et que je puisse dire : son fruit est doux à ma bouche. » De septein ilineribus wtevnitatis ; de sexto itineie. dist. I, Opéra, t. viii, p. 464.

Il nous est bien difficile de con ; prendre ce que sont les sens spirituels dont parle le saint docteur, mais quelle bonne raison avons-nous de les nier, quand les mystiques nous parlent sans cesse de voix, d’odeur, d’aliment, d’embrassement ; quand surtout ils distinguent les elTets d’une action qui parfois ne sort point de l'âme et qui parfois, au contraire, atteint le corp :  ; lui-même : L'âme respire je ne sais quelle suave odeur ; c’est comme si audedans d’elle-même, dans l’endroit le plus profond, il y avait un brasier où l’on jetât d’excellents parfums. On ne voit, il est vrai, ni lu lumière du feu. ni l’endroit où il est ; mais la chaleur de la fumée odoriférante pénètre l'âme tout entière, et souvent, comme je l’ai dit, le corps lui-même y participe. S Thérèse, Chûteuii intérieur, ix" demeure, c. ii. l’ne femme a bien de l’imagination, pensera-t-on : on me permettra d’a’outer que cette femme s’appelle sainte Thérèse, et elle se rencontre ici avec saint Augustin, Confessions, I. X, c. vi ; saint Jean de la Croix : « C’est Dieu lui-même que l'âme ressent et qu’elle goûte. » Montée du Carmel, I. II, c. xxvi. Pour bien comprendre toute la porlée de cette dernière citation, il faut se rappeler que le grand mystique l>arle, dans le passage cité, des touches jiar lesquelles Dieu atteint la substance de l'âme, touches qui sont

ressenties et goûtées. Cf. Nuit de l'âme, I. ii, c. xxiii ; Expliealion du Cmi/ii/f » ', strophe xiv. Le P. Surin écrit que l'âme admise à la parfaite transformation en Dieu « connaît ce qu’il est, voire même elle le goûte par un contact divin dont les mystiques parlent, qui est une notion surnaturelle par laquelle l'âme sait ce que c’est que Dieu, non pour l’avoir vii, mais pour l’avoir touché. Car entre les sens spirituels le tact est le pliis délicat, quoique parmi les corporels il soit le plus grossier. » Traité de l’amour de Dieu, 1. III. c. VI. Le même auteur pense, toc. cit., que tout le monde est d’accord sur ce fait que « le point de la théologie mystique est pour l'âme de parvenir à toucher Dieu. »

Il y a donc, au témoignage des mystiques, dans cette expression, sens spirituels, autre chose qu’une métaphore : c’est une réalité dont ils se rendent compte, bien que nous ne la comprenions pas. Notre premier devoir est de rapporter ce qu’ils éprouvent, leur bonne foi étant absolue ; la science mystique n’est pas une science révélée, elle doit nécessairement s’appuyer sur l’expérience.

L’extase, pour eux, c’est donc, avec l’aliénation des sens, facile à constater, une rencontre de l'âme avec Dieu, une touche substantielle, dont ils se rendent parfaitement compte, sans la pleinement comprendre. Dieu est là, ils le voient, ils l’entendent, ils le touchent, ils l’embrassent, ils le possèdent. Au contact divin dans cette divine possession, leur intelligence s'éclaire, leur volonté s’enflamme. Comment ? Ils ne le savent pas : « La volonté est sans doute occupée à aimer, mais elle ignore comment elle aime. Si l’entendement entend, il ignore comment il entend : du moins ne peut-il rien saisir de ce qu’il entend. » S"^ Thérèse, Vie, c. xviii, t. i, p. 226. Mais qu’importe le comment ; les mystiques constatent le fait, et en le constatant nous permettent de le constater après eux et avec eux. Voilà qui doit suffire.

Un passage célèbre de saint Bernard, et plusieurs de saint.lean de la Croix, Montée du Carmel, 1. IL c. xii-xv, x.xiv ; Nuit obscure, 1. I, c. ix, auxquels on pourrait peut-être joindre le texte fameux où saint Augustin raconte son extase d’Ostie, Confess., 1. IX, c. X, nous permettent d’aMer plus loin et de dire que, dans cette rencontre de Dieu et de l'âme, l’intelligence laisse sa manière humaine d’agir, et converse avec Dieu, sans le concours de l’imagination et des sens intérieurs. « d’esprit à esprit. » S. Augustin, Confess., loc. cil. Voici le texte de saint Bernard : Moricdur anima mea morte etium (si dici potest) angclorum, ut pnvsentiuni memoriam cxccdens. rcrum se inferiorum corporearuni non modo cupiditatibus, sed et simililudinibus cxucd, sitque ei puru eum illis conversatio, cum t/uibus est puritatis similiiudo. Tcdis (ut opinor) exeessus aut tantum, cuit maxime contentpledio dicitur. Serm., lii, in Ccmtica, vers le milieu.

Voici ceux de saint Jean de la Croix : « Dès que l'âme se met en présence de Dieu, elle entre en possession de cette paix profonde, où elle boit à longs traits les eaux vives de la sagesse et de l’amour, sans qu’il soit nécessaire d’amener cette eau par les aqueducs des considérations, des figures et des formes. » Montée du Carmel, 1. ii, c. xiv. Le Seigneur ne se manifeste plus à l'âme par la voie des sens ainsi qu’il le faisait autrefois à l’aide du raisonnement qui compose et divise les matières. Les communications diines suivent maintenant la voie du pur esprit, d’où le discours successif est banni et fait place à l’acte simple de la contemplation inaccessible au concours de sens extérieurs et intérieurs. » Nuit obscure, 1. I, c. ix.

On entrevoit en quoi consiste cette conversation d’esprit à esprit i-nlre Dieu et l'âme, c’est un entre-