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EXTASE

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stabilité même ne vient pas d’une volonté qu'éclaire et soutient l’intelligence, c’est l’obcissance passive à une idée fixe qui s’impose sans qu’ils puissent la discuter.

Les extases des saints agissent bien différemment. Une seule suffira parfois « pour enlever tout d’un coup à l'âme certaines imperfections dont elle n’avait pu se défaire durant tout le cours de sa vie, et de plus pour la laisser ornée de vertus et comblée de dons surnaturels… Alors investie d’un courage invincible cl d’un désir passionné de pâtir pour son Dieu, l'âme est en proie à un tourment étrange : celui de ne pas soufl’rir davantage. » S. Jean de la Croix, Vie et œuvres, La montée du Carmel, 1. II, c. xxvi. « L'âme se sent pleine de courage, et si, à cette heure, on la mettait en pièces à cause de Dieu, elle en éprouverait une grande joie. C’est ici que naissent les promesses et les résolutions héroïques, les brûlants désirs, l’iiorreur du monde, la vue claire de sa vanité… Quelle souveraineté que celle d’une âme qui, portée à cette hauteur par Dieu lui-même, considère toutes choses, sans être enchaînée par aucune 1° S^ Thérèse, Vif, c. XIX, t. I, p. 229 ; c. xx, p. 259.

La volonté paraît alors fixée dans le bien avec une telle immutabilité que rien désormais ne pourra l’en séparer : la B'= Marguerite -Marie, sous cette impression, allait répétant que sa liberté était tellement en la puissance de Dieu, qu’elle-même n’avait plus aucun pouvoir sur elle. Elle exagérait, mais ces paroles nous aident à comprendre quel empire sur leur volonté l’extase confère à certaines âmes privilégiées.

Sans doute, une simple affirmation ne suffit pas pour faire la preuve de cette transformation de la volonté, il y faut des faits : une phrase vertueuse ne nous convaincra pas, une vie de vertus seule y parviendra. Elles existent ces vies de vertus : vie de souffrance, de pauvreté, d’obéissance, d’humilité, d’admirable dévouement, de sublime force d'âme. La volonté, malgré le penchant au mal, force constante qui pèse sur elle et tend à l'éloigner de Dieu, ne cède à la tentation que dans de rares et légères surprises, et d’héroïsme en héroïsme marche, en droite ligne, vers la plus haute sainteté. Sa force est inébranlable, elle naît de l’amour. « Je disais en moimême, écrit M. Olier, Seigneur, je ne puis vous témoigner mon amour qu’en souflrant. Hélas ! Seigneur, le moyen que je vive si je ne vous témoigne mon amour ! Le souffrir vous en donnera l’assurance. » H. Joly, Psychologie des saints, p. 182. « Qui donc vous empêchera de devenir saintes, demande la B^'^ Marguerite-Marie, puisque nous avons des cœurs pour aimer et des corps pour souffrir I Maïs hélas I peut-on souffrir quand on aime ? » Vie et œuvres, t. ii, p. 276. Ce sont tous les saints et toutes les saintes extatiques vénérés dans l'Église qui écrivent, parlent et vivent comme la B"= Marguerite-Marie et M. Olier. Il faudrait des volumes pour démontrer cette affirmation. Ils sont écrits ; l’admirable travail des bollandistes les résume, et l’on peut toujours en confiance s’appuyer sur leur autorité.

Cette volonté, que l’extase a fixée dans le bien par l’amour, est éminemment féconde. Ignem veni mittere in terram et quid volo nisi ut accendatur, dit Notre-Seigneur. Luc, xii, 49. C’est le même zèle qui brûle l'âme des extatiques. C’est pour les rendre capables de grandes choses que Dieu les console et les ravit : « Un saint Paul, où puisa-t-il la force pour supporter des travaux si excessifs ? Que nous voyons clairement en lui les effets des visions et de la contemplation qui procèdent de Dieu et non d’une imagination en délire ou des artifices de l’esprit de ténèbres I Après avoir reçu de si hautes faveurs, alla-t-il se cacher pour jouir en repos des délices

dont son âme était inondée, sans vouloir s’occuper d’autre chose. Vous voyez, au contraire, qu’il passait les jours entiers dans les occupations de l’apostolat, et qu’il travaillait la nuit pour gagner sa vie. » S'^ Thérèse, Le château intérieur, vii « demeure.

Sainte Thérèse, qui parle ainsi, prouve par sa propre vie que l’extase fait des apôtres ; c’est encore ce que démontrent les vies de saint Benoît, de saint Dominique, de saint François d’Assise, de saint Ignace de Loyola, de saint François de Sales, de saint Alphonse de Liguori, comme celles de tous les fondateurs d’ordres et d’instituts religieux ; saint Augustin, saint Bernard, saint Vincent Ferrier, saint Thomas d’Aquin, saint Bonaventure, saint François-Xavier, furent des extatiques et l'Église de Dieu se glorifie toujours de leurs travaux apostoliques et de leurs écrits ; les extases de sainte Catherine de Sienne, de sainte Claire, de sainte Jeanne de Chantai, de la B’s Jeanne d’Arc et de la B"^ Marguerite-Marie sont aussi connues que leur apostolat triomphant.

III. Critique des faits.

Les effets de l’extase que nous avons étudiés — et nous n’avons pu être complet — n’ont pas évidemment tous la même importance ; les uns ne dépassent pas les forces naturelles scientifiquement connues, pour d’autres, il semble bien que le doute soit permis, enfin il en est quelques-uns qui ne peuvent leur être attribues. Un corps sans appui et sans mouvement ne peut rester suspendu en l’air, et pourtant ce phénomène se produit dans certaines extases ; il n’est pas d’intelligence qui, à coup sûr, puisse prévoir l’avenir, et pourtant cela se rencontre dans certaines extases ; ni l’imagination, ni la suggestion, ni la maladie, ni l’ivresse, ni la subconscience ne peuvent donner une explication suffisante de la légèreté extatique, ni de la prophétie, je pourrais ajouter qu’elles n’expliquent pas mieux cette stabilité énergique de la volonté que nous avons constatée chez les extatiques ; mais comme je ne veux prendre que des faits faciles à vérifier et indiscutables, je néglige l’action de l’extase sur la volonté. Il reste que deux séries de faits tout au moins — légèreté extatique et prophéties — assez fréquents dans l’extase, ne peuvent être attribués aux forces natureUes scientifiquement connues : dès lors quelle en est la cause ?

Le spiritisme ? non ; la force psychique radiante, périsprit ou corps astral ? non, encore. Ces théories n’ont pas fait leur preuve ; il serait trop long de le démontrer ; je renvoie simplement à l'étude sur l’occultisme, du docteur Grasset. Idées médicales, p. 153160. D’ailleurs, ces théories, fussent-elles démontrées, et elles ne le sont pas, ne pourraient rendre compte de tous les faits ; elles sont insuffisantes à expliquer tout au moins la connaissance de l’avenir. Reste le recours à une force distiucte de toutes ces forces, à des esprits hiérarchiquement supérieurs à l’homme, c’est-à-dire aux anges bons ou mauvais, et enfin à Dieu.

II est des extatiques, en effet, qui affirment que leur âme, dégagée des sens, entre en rapport avec Dieu, lequel, directement ou indirectement, agit sur elle d’une façon merveilleuse. Voilà une cause qui suffit à tout expliquer.

Mais avant d’arriver à cette extase divine qu’il nous faudra étudier tout à l’heure, il importe de dire un mot de l’extase diabolique qu’on pourrait parfois confondre avec elle.

IV. Extase diabolique.

Le démon. Dieu le permettant, peut en effet produire des extases. Bona affirme que le démon cause des extases, en arrêtant dans le corps les effets de la vie physique. De discrctione spirituum, c. xiv, n. 14, et saint Thomas, parlant de la suspension des sens, dit qu’elle