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EXPÉRIENCE RELIGIEUSE


cipes majeurs, que de l’agencement divin de toutes ses parties. Une méthode pédagogique est fausse qui laisserait sans l’orientation voulue une seule faculté dl’homme, ou qui laisserait s’infiltrer dans ses normes directrices un seul principe délétère. Ainsi d’une religion. Qui niera, par exemple, qu’introduire le libre examen dans l'Évangile, ce n’en soit transformer toute l'économie ? Le faire serait encore confondre l’ordre quantitatif et l’ordre spirituel. Une once de matière en plus ou en moins ne modifie par toujours une réaction chimique, mais un principe éthique de plus ou de moins, comme une vertu de plus ou de moins, modifient du tout au tout une attitude d'âme, parce que l'âme est une substance simple, que ses habitus intellectuels et moraux ne se juxtaposent pas, mais se compénètrent, et qu’elle les porte tous dans chacun de ses actes : elle agit donc et sent d’autre manière. De ce chef, une âme informée de la vérité pure, règle de pensée et règle d’action, est, à l'égard des autres, comme un organe différent. '-ii

c) On le croira d’autant plus volontiers que l'Église catholique a son ascèse propre. Il suffira de rappeler ses règles du discernement des esprits. Voir Discernement DES ESPRITS. Eu application de ces principes, elle rejette comme frelatés ou suspects les trois quarts des expériences qui fondent la vie des sectes. Elle vit donc d’autre chose.

2. Cette spécificité existe., — Procédons pas à pas en matière si délicate. i

a) Voie commune. — a. Signes extérieurs. — On en trouvera une preuve extérieure, mais d’autant plus inattaquable, dans l’efficacité spécifique que l'Église révèle. C’est une puérilité — encore qu’elle ne soit pas rare — d’expliquer la pratique de certaine abnégation par la constitution du caractère, comme si la pâte humaine n'était pas partout li même, comme si de croire sans voir n’excitait pas dans toutes les intelligences un malaise identique, et obéir une répugnance aussi instinctive. Si une Église se révèle plus docile à obéir et à croire, il faut bien conclure qu’elle a dans ses facteurs quelque chose qui manque aux autres. Et ce quelque chose n’est pas difficile à définir. L’héroïcité n’est nulle part le fait des masses ; si une masse réalise ces sacrifices spéciaux, on peut affirmer qu’elle a des compensations qui les rendent possibles et c’est dans l’ordre affectif qu’il les faut chercher.

Or l’obéissance à la foi et à la loi est bien le fait du catliolicisme : seul bientôt il conservera intact le symbole des apôtres — - voire un symbole défini ; — de plus, il se distingue à tel point par son organisation hiérarchique, que dans les sectes protestantes les sujets sortent de leur Église à proportion de la richesse de leurs expériences, pour fonder des sectes nouvelles ; taudis que les grands mystiques catlioliques se signalent par leur docilité à la direction des lois communes et ont travaillé, en grand nombre, à la restauration de la hiérarchie.

Non moins spécial le sacrifice qui consiste dans la pratique des conseils, pauvreté, célibat, abnégation volontaire de la sujétion religieuse. Où le type évangélique est-il copié d’aussi près ou poussé aussi loin ? Et d’où vient cette force qui manque ailleurs ?

Tout s'éclaire, si l’on se rapporte aux explications déjà fournies. Aucune norme divine n’est donnée pour étioler le sujet, mais pour l’aider à se dépasser, en endiguant et en dirigeant son activité. L’obéissance intégrale à la loi intégrale produit donc nécessairement un maximum de bien-être et de jouissance, qui fournit l'énergie nécessaire pour avancer dans le renoncement.

b. Analyse psychologique. — ^ Entrant plus avant dans la mentalité catholique, nous pourrons peut-être indiquer quelques traits plus importants. Trois suffiront.

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

Après ce que nous avons dit du dogme de la création qui l’appelle, de l’obéissance à la foi et à la loi qui la traduit de manière très expressive à la conscience moderne, nous avons quelque droit à indiquer en premier lieu l’humilité. De fait, dans une créature, elle ne doit pas être une vertu entre plusieurs, mais l'âme de toutes. Tel est l’enseignement catholique : il la donne comme pierre de touche de la sainteté véritable et du véritable esprit de l'Évangile ; pêne una disciplina christiana est, dit saint Augustin, Serm., cccli, n. 4, P. L., t. xxxix, col. 1538 sq. ; cf. De civitate Dei, 1. XIV, c. XIII, n. 1, t. xLi, col. 421 ; est ergo omnium magistra virtutum, Gassien, Collât., XV, c. vii, P. L., t. XLix, col. 1004 sq. ; propter quam solam veraciier edocendam [Christus] usque ad passionem factus est parvus, S. Grégoire le Grand, Moral., 1. XXXIV, c. XXIII, P.L., t. Lxxvi, col. 748 ; cf. c. xxii, xxiii. Et Augustin, qui doit tant au néoplatonisme, a signalé avec insistance cette divergence caractéristique des deux doctrines. Epist., cxviii, c. iii, n. 21, ^P. L., t. XXXIII, col. 442 ; Confess., 1. VII, c. xxi, n. 27, t. xxxii, col. 747 sq. ; c. ix, n. 13 sq., col. 740 sq. On a signalé ailleurs, voir Conservation, t. iii, col. 1191 sq., la prédilection des grands mystiques pour une thèse qui leur fait saisir tout leur néant. Le phénomène s’explique : si cette vérité est capitale, la lumière divine doit porter à la faire mieux comprendre au fur et à mesure des progrès de l'âme. Mais voici l’important : tout ce qui réduit la créature à sa vraie valeur permet d’apprécier à son juste prix la condescendance de celui qui l’a créée, rachetée, adoptée, appelée à partager sa gloire. Il en résulte que l’humilité fondée sur ce dogme est le plus efficace stimulant de l’amour, qu’elle porte logiquement à se complaire dans son néant, pour exalter la gratuité inouïe des prévenances divines, qu’elle excite par conséquent l’amour le plus pur et le plus béatifiant. Le panthéisme peut flatter l’orgueil ; a-t-il jamais offert au cœur rien ne pareil ?

Le second trait est la certitude. Elle naît dans le catholicisme de la démonstration rationnelle sur laquelle il se fonde et du contrôle constant d’un plein accord avec un magistère dogmatique autorisé. Elle manque dans le protestantisme : la meilleure preuve en est la multiplication incroyable des sectes, la versatilité de leurs adhérents, l’appel désespéré au critère affectif, faute d’une règle objective assignable. Cf. Newman, Difflculties, 4'" édit., lect. iii, § 4, p. 70 ; cf. p. 84. Newman converti déclare n’avoir jamais rencontré dans l’anglicanisme une personne « qui ait quelque confiance en la parole de son Église… Le plus haut degré de confiance, dit-il, y est accompagné de soupçon. "Discourses to mixed congrégations, conf. xi. Ce n’est pas là exagération polémique. Comment en serait-il autrement ? Fondée sur le libre examen, aucune secte ne peut sans contradiction s’arroger quelque autorité ; fondée sur l'évidence subjective, affective, comment la foi individuefie échapperait-elle aux fluctuations du sentiment ?

Troisième trait : la paix. La certitude intellectuelle produit la stabilité, le calme, en présence d’un devoir nettement formulé. La paix est bien autre chose. Elle est — mais il ne peut pas plus en être question dans une pratique religieuse formaliste, ou intermittente, ou négligente, qu’on ne peut goûter les charmes de l’affection Immaine dans des relations d'étiquette, ou dans une amitié.vulgaire sans délicatesse ni constance — elle est, non la sa/is/acf(o/i, irréalisable sur terre, mais le contentement, qui permet d’attendre la béatitude promise et la fait pressentir. Grâce à la foi, qui l’interprète, et à la raison basée sur le critère des œuvres, qui rappuie, ^ce sentiment prend, aux yeux du fidèle, le sens d’une approbation personnelle de Dieu, si douce qu’elle dispense des émotions grossières et des joies

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