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EXPERIENCE RELIGIEUSE


des formes institutionnelles assez riches pour répondre aux transformations profondes de la vie religieuse, elle ne se pose que dans l’hypothpse cvolutionniste et naturaliste. L’origine surnaturelle du christianisme une fois établie, il est aisé de concevoir comment Dieu peut avoir enfermé dans des formules très simples de quoi nourrir la vie affective (et intellectuelle) de toute une humanité, et dans des codes moraux et liturgiques largement définis, plutôt que précisés dans le détail, de quoi régler les lignes essentielles de la pédagogie qui lui convient. Quant à faire le départ de l’accessoire et du principal, du périmé et de l’opportun, outre que tout n’est pas dit pour tous et que le juste se trouve singulièrement à l’aise dans ces prescriptions qui étreignent l’injuste comme une camisole de force, c’est un soin qui relève de « la tête » et non « des membres » , se trouvant qualifiée pour dire, à un tout autre titre que l’individu : Pulo aiitem quod et ego Spiritum Dei habeam. I Cor., vii, 40.

VII. Analogies des expériences entre religions.

Tandis que les considérations précédentes acheminent à prévoir dans le catholicisme un ordre d’expérience à part, un coup d'œil rapide sur les religions du globe semble révéler partout des expériences identiques. « L'état d'âme et la vie pratique ne varient guère, écrit W. James, quand on étudie les grands saints, qu’ils soient chrétiens, stoïciens ou bouddhiques, » L’expérience religieuse, 2e édit., p. 420 ; et c’est un lieu commun, de nos jours, de parler des « grands inspirés » , des « grands initiateurs religieux » , Bouddha, .Jésus, Mahomet, Luther, Loyola, Westey. A'^oilà le problème, d’autant plus troublant, au premier abord, qu’il porte la question au plus intime de la vie religieuse. De l’estimer résolu par les procédés rapides du symbolo-fldéisme, du pragmatisme, de certaine histoire des religions, c’est tout autre chose I

Erreurs fréquentes de méthode.

 Voici le scandale —  d’ordre critique — qu’il suffit de signaler,

tant l’erreur apparaîtrait grossière, s’il s’agissait de faits matériels et de sciences naturelles. Les sciences morales et religieuses, plus délicates, sont les seules où l’on tolère encore d’y « regarder en gros » . Leur méthode n’est pas faite.

1. Acceptalion des fails sans critique.

N’est-il pas singulier qu’on admette comme valables, dans une matière où l’illusion et l’imitation inconsciente sont plus à craindre, toutes les descriptions autobiographiques ? Ainsi fait W. James. L’enquête vaut, si le texte des documents fait foi. Pour qui veut parler science, elle aboutit seulement à dégager quelques caractéristiques très générales de l’appétit religieux et de ses déformations.

2. Assimilations illégitimes.

Non moins grave ce nivellement arbitraire de tous les phénomènes, et cette élimination de différences profondes, au bénéfice des préjugés de l’enquêteur. Un détail de rien, nuance de dogme ou nuance de rite, prend une importance capitale, du point de vue psychologique, s’il revêt pour le croyant le caractère d’une hérésie ou d’un sacrilège. De manière plus générale, on ne peut oublier qu’une seule idée maîtresse suffit à modifier du tout au tout une attitude d'âme. Une mise au point critique s’impose donc, avant tout travail de synthèse, et pourtant rien de plus négligé.

Nous l’avons tentée plus haut, col. 1806-1814.

Identité de la fonction.

Plus correcte, parce que

le besoin naturel ne s’affirme pas luoins dans ses déviations que dans son expression normale, cette conclusion de W. James : « Du point de vue psychologique, la religion peut repousser les attaques de ses adversaires. Vraie ou fausse, avec ou sans contenu intellectuel, elle n’est pas un anachronisme, elle n’est point une survivance, elle est une fonction éternelle

de l’esprit humain. » L’expérience religieuse, 2e édit., p. 423. L’anthropologie, cf. de Quatrefages, L’espèce humaine, 3e édit., Paris, 1877, c. xxxv, et l’histoire des religions, cf. "W. Schmidt, L’origine de l’idée de Dieu, Vienne, 1910, conduisent à la même constatation. Nous en avons présenté l’explication catholique, appuyée sur la parenté de nature entre l’Infini et les êtres produits â son image, et sur son action immanente en chacun d’eux. Voir col. 1814-1828.

Ainsi ce que l’histoire révèle a posteriori comme un phénomène naturel, parce qu’universel, la métaphysique le montre a priori comme nécessaire.

Mais précisément, parce que l’objet de cette fonction humaine, implicitement ou explicitement connu, est le même, les impressions de tous ne peuvent pas ne point se ressembler.

Analogies inévitables.

1. Analogies de fond. —

a) Les attitudes d'âmes, surtout tant que l’on demeure dans les degrés inférieurs de la vie religieuse, sont forcément analogues : mêmes élans vers l’idéal, mêmes tressaillements, quand on croit l'étreindre, même déception, mêmes souffrances, quand on s'égare. La conscience suffisant à dénoncer les principales obligations morales, qui les observe, en quelque confession que ce soit, s'épure et se rend accessible à des émotions proportionnées : joie austère de la maîtrise de soi et du devoir accompli, sensibilité à l'égard de toutes choses nobles et belles, etc. Il faut ajouter, partout mêmes déviations : du sacrifice et de la purification intérieurs vers le formalisme, de la poursuite des biens spirituels vers le marchandage des avantages temporels, de la spontanéité vers la routine. Le thème est commandé ; les variations possibles se réduisent en nombre sous l’action de causes partout les mêmes.

Les ressemblances s’accentuent par conséquent à à un même étage de civilisation, spécialement entre religions apparentées. La séduction qu’exerce l’image du Christ, par exemple, éveillera forcément, chez tous ceux qui se réclament de son nom, des émotions analogues d’admiration, d’attrait, d’amour, et des satisfactions croissantes, à mesure qu’ils l’adopteront pour modèle. La valeur de l’idéal choisi suffit à expliquer le fait.

b) Les procédés de l’ascèse (éthique ou mystique) obéissent à la même loi. A moins de concevoir un culte qui ne tende plus vers la « catégorie de l’idéal » , la préparation du cœur doit tendre à la purification morale, celle de l’esprit à la conception d’un « plus grand » . Si l’on tient pour différence négligeable que ce « plus grand » soit intracosmique ou transcendant,

fini ou infini, corporel ou esprit pur, ce sera donc partout même chose. Spécialement l’extase dialectique, préparée par l’ascension logique du multiple à l’Un, aura exactement même apparence que l’extase mystique, qui soustrait l’esprit à la contemplation des concepts finis, pour l’absorber malgré lui dans une communication expérimentale de l’Infini.

c) Il y a plus. Les invites de la grâce, portant vers le même terme, doivent avoir des modalités analogues. Insister sur la diversité des occasions extérieures, c’est perdre de vue que l’essentiel est la réaction intérieure de l'âme et qu’elle dépend de sa condition morale. Appuyer sur la différence des sectes, c’est oublier qu’elles rentrent dans le plan divin. II Cor., ii, 19. Si la providence ne peut sauver personne sans la bonne foi et ne le veut faire que dans des conditions difficiles pour nous à déterminer, il n’entre pas dans ses desseins de faire aboutir à l'Église catholique toutes celles qu’elle établit dans la charité. Il peut donc y avoir des conversions très réelles, c’est-à-dire vraiment justifiantes, à des sectes fausses, si elles renferment l’indispensable au salut. C’est làuneconsé-