Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.2.djvu/276

Cette page n’a pas encore été corrigée
1851
1852
EXPÉRIENCE RELIGIEUSE


prétexte fou de sauvegarder notre autonomie, il faut faire nôtre, jusqu’au dernier iota, cette pédagogie divine, dont l’imposition extérieure apparaît nécessaire dans la mesure même où elle heurte encore en nous quelque appétit qui lui répugne. C’est là ce que M. Blondel a mis admirablement en lumière. L’action, part. V, c. II, p. 405 sq.

Autopédagogie par la foi.

Illusion aussi regrettable de ranger les croyances dans l’institutionnel,

donc dans l’accessoire. Les grandes idées — le pragmatisme et ses succédanés, la mind-cure et la Christian science le prouvent bon gré mal gré — sont les grands ressorts de de la vie. Les jouissances religieuses les plus hautes se trouvent donc forcément où se concentrent les conceptions les plus épurées, celles qui donnent le nom le plus exact, en fait le plus relevé, à ces émotions qui d’elles-mêmes sont anonymes, faute d’un contenu intellectuel précis. C’est dire qu’elles se rencontrent dans l’effort spontané, aimé, pour entrer dans la pensée de Dieu que le dogme révèle, non dans ce dualisme meurtrier d’un esprit qui se débat contre la foi, ou dans ce caprice fou de donner un nom de son choix à des émotions qui se laissent en droit accoler toutes les étiquettes.

Si la foi oriente ainsi toute notre activité, il peut paraître inutile d’observer que ces consolations supérieures se distinguent profondément des commotions sensibles où se complaisent la presque totalité des sujets étudiés par Leuba, James et Murisier. L’illusion est presque fatale de prendre pour l’expression la plus juste du divin ce qui fait sur nous l’impression la plus forte. Les mystiques catholiques protestent : impossible, disent-ils, de progresser, si l’on s’arrête à ces images déficientes. S. Bernard, in Can/('c., serm. xxviii, n. 7 sq., P. L., t. clxxxiii, col. 924 sq. ; S. Jean de la Croix, Montée du Carmel, 1. III, c. xxx, p. 165 sq. ; Nuit obscure, c. vi, p. 267 sq. ; cf. Montée, 1. II, c. xvi, p. 220 sq. ; c. xvii, p. 230 sq.

En se servant de ces expériences, quand, critique faite, on a lieu de les croire divines, il faut les mépriser comme imparfaites, se guider par la foi, non par le goût, pour ce motif irréfutable, que seule elle prévient toute déception et que son obscurité est plus révélatrie que ne peut l'être aucune perception des sens, voire aucune conception définie : Summus ille Deus sciluT melius nesciendo. S. Augustin, De ordine, 1. II, c. xvi, n. 44, P. L., t. xxxii, col. 1015.

Singulière duperie, en effet. Les pragmatistes et tous les théoriciens de l’expérience religieuse, après avoir combattu l’anthropomorphisme intellectualiste, en arrivent à un anthropomorphisme sentimental, plus erroné et plus dangereux, quittes à traduire de manière évidente ce vice de leurs imaginations, quand ils se risquent à proposer leurs hypothèses préférées. « Puisque Dieu n’est pas l’Absolu, dit W. James, mais est lui-même partie, dans une conception pJuralistique du monde, ses fonctions peuvent être considérées comme n'étant pas pleinement dissemblables de celles des parties plus petites. » A pluralistic universe, lect. viii, p. 318. En déprimant à ce degré la conception du divin, on déprime d’autant les réactions affectives qu’elle éveille.

La mentalité pragmatiste ne s’embarrasse pas, il est vrai, de l’inconséquence : « Admettez à côté de Dieu, écrit encore W. James, le moindre infinitésimal autre de quelque espèce que ce soit, dès lors empirisme et rationalisme, pragmatisme et intellectualisme peuvent se tendre la main dans un traité de paix durable. » Op. cit., p. 312. Qui se refuse à ces compromis hybrides concevra sans peine que l’esprit assez vigoureux pour ne s’arrêter à aucune notion comme satisfaisante, orientant sans cesse sa pensée, quelque lumière qu’il ait perçue, quelque expérience qu’il ait faite, vers

l’incommensurable transcendance que la raison proclame et que la foi confirme, se trouve dans l’attitude d'âme propre à lui ménager les jouissances intellectuelles et morales les plus intenses.

40 Révélation intérieure. — Cette transfiguration progressive de la foi, récompense de la pleine obéissance, le Christ l’a expressément promise : Qui babel mandata mea et serval ea ille est qui diligit me… et ego diligam eum et manitestabo et meipsum. Joa., xiv, 21. VoirS. Cyrille d’Alexandrie, /nJoa., xiv, 21, 23, P. G., t. Lxxiv, col. 285, 290 ; S"= Catherine de Sienne, Dialogues, Paris, 1855, c. lxi, lxii, t. i, p. 149 sq. ; S'" Thérèse, Relation, xi, dans Œuvres complètes, 1907, t. ii, p. 236 ; S. Jean de la Croix, Montée du Carmel, 1. II, c. xxvi, t. ii, p. 323. La plénitude de la vision est sans doute réservée au ciel, S. Augustin, In Joa., tr. LXXV, n. 5, P. L., t. xxxv, col. 1830 ; mais, de parla nature des choses, les premiers rayons en filtrent déjà jusqu'à nous : ut sit nobisnon exlrariavisio, sed interna, tr. LXXVI, n. 4, col. 1832 ; [in qua] soli eum in seipsis vident electi. S. Bernard, Serm., v, de advenlu, n. 1, 2, P. L., t. CLXXXIII, col. 50, 51.

Les Pères, qui n’ont pas rattaché cette doctrine au texte de saint Jean, xiv, 21, 23, l’ont exprimée à l’envi, à l’occasion de la traduction d’Isaïe, vii, 9, d’après les Septante : Nisi credideritis, non intelligetis. Saint Anselme, par exemple, écrit : Qui non crediderit non intelliget. Nam qui non crediderit non experietur, et qui expertus non fuerit non intelliget. De ftde Trinitatis, c. II, P. L., t. CLviii, col. 264. Cf. Proslog., c. i, col. 227 ; Car Deus homo, 1. I, c. i, 11, col. 361 sq. ; Epist., XLi, col. 1193.

Aussi ont-ils dénoncé cette interversion singuhère qui réclame de voir pour croire : videre velle ut animum purges, eum ideo purgetur ut videos, perversum certe atque præposterum est. S. Augustin, De utilitale credendi, c. xvi, n. 24, t. xlii, col. 90. Cf. Soliloq., 1. I, c. VI, n. 12, t. XXXII, col. 875 ; De Trinitate, 1. VIII, c. iw, n. 6, t. XLII, col. 951. Un malade refuse-t-il un remède, tant qu’il ne connaît pas d’expérience son

pfïi ffici té Y

Au début de toute vie religieuse se place donc un extrinsécisme et une hétéronomie nécessaires. Quand le libéralisme protestant, le symbolo-fidéisme, le pragmatisme et le modernisme réclament, au nom du critère expérimental, l’exemption de toute règle, A. Sabatier, Esquisse, 1. III, ci, § 5, p. 285 sq. ; cf. H. Bois, La valeur de l’expérience religieuse, c.i, p. 158, c’est par l’expérience de l’histoire qu’il convient de leur démontrer la nécessité d’une pédagogie extérieure. Quand ils prétendent que la Réforme est venue, en ce sens, ramener la religion de l’extérieur vers l’intérieur, qu’elle est moins une doctrine qu’une méthode, et une méthode de « majeurs » exonérés d’une tutelle déprimante, on peut leur montrer l'équivalent de ces prétentions dans tout enfant qui regimbe contre ses éducateurs, veut « faire l’homme » et n’en croire que

soi.

La contrainte est partout l’indispensable éducatrice, aussi longtemps que la tendance au parfait n’est pas le mouvement spontané de la nature : Lex jusia non estposita ; I Tim., i, 9. S.Bernard, De diligendo Deo, c. XIV, P. L., t. CLXXxii, col. 997.

De manière toute spéciale, on le voit, prêtant à de telles déceptions, l’expérience appelle un contrôle ; fruit de la vie saine, elle est une récompense, non un procédé de recherche ; douée d’une telle puissance, elle appelle une pédagogie divine qui prévienne ses écarts et prépare ses révélations. Qui la rejette n’en goûtera pas.

50 Les formes de l’avenir. — Quant à la grande question qui préoccupe à juste titre Sabatier, James, Hôffding, Bois, de savoir si l’avenir pourra imaginer