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EXPERIENCE RELIGIEUSE


En possession d’une conviction arrêtée, la volonté trouvera la force de maintenir la pratique, jusqu’aux révélations qui normalement, col. 1849 sq., doivent la récompenser ; mais qu’adviendra-t-il, quand l’autorité qui devrait ainsi l’imposer (c’est-à-dire la légitimité objective de ce culte) est précisément ce qui est mis en question ? Tout dépendra donc de la constance d’un chacun, et d’un verdict final forcément relatif à son développement religieux actuel, fondé qu’il est sur des opinions que l’hypothèse suppose en lui irrésolues et flottantes. Nous touchons au plus délicat du problème.

3. Criliquemenl, le cas est beaucoup plus complexe qu’on ne le représente.

Le choix de la forme religieuse à expérimenter exige quelques motifs valables. On ne peut éprouver tour à tour ces centaines de sectes qui prétendent répondre à l’appel intime de la nature. On éliminera donc, par un procédé plus ou moins critique, un bon nombre d’entre elles que, d’instinct (c’est-à-dire en vertu d’inéluctables motifs implicitement perçus), on sent impropres au but poursuivi. Qui décidera entre les autres ? — L’histoire. — Toutes se réclament d’elle, et plusieurs ne se différencient que par quelques aspects de leur synthèse doctrinale. Voici le débat transporté sur ce terrain. Qui le tranchera ? Est-il même soluble autrement que par un magistère infaillible qui puisse, qui doive, quitte à justifier ses titres, dirimer ces incertitudes par voie d’autorité. Prononcer que ces questions spéculatives sont accessoires, c’est oublier qu’il suffit d’une idée maîtresse pour changer, avec l’attitude d'âme, tout le sens de l’expérience, et qu’il suffit d’une seule erreur de principe, pour altérer l'économie religieuse la plus parfaite. Exiger que l’autorité produise ses titres, c’est, par contre, requérir une critique intellectuelle préalable.

En fait, deux solutions sont de mise. Les uns reçoivent la religion qu’ils veulent expérimenter comme une synthèse intangible. C’est le cas de la Réforme à ses débuts, et celui de tant de protestants qui, rejetant le contrôle de la raison, tiennent cependant pour authentique l’apport traditionnel de leur confession. Procédé séduisant et illogique. Si la valeur de cet ensemble était rationnellement établie, l’expérience personnelle pourrait être, par passage de la connaissance catéchétique à la connaissance pratique, col. 1838, une conquête continue des facultés affectives et sensibles sur cette obscurité que leur laissent les preuves dialectiques les plus concluantes. Dans le cas contraire, le plus qu’on puisse conclure de cette satisfaction relative, c’est qu’il se trouve certainement dans ce bloc traditionnel quelques éléments recevables. Affirmer, sans plus, la valeur de tous est un paralogisme manifeste. D’autres, sans reconnaître aucune autorité à la synthèse qui leur est présentée, n’y voient qu’une matière à expérience. Dès lors, c’est dépasser encore les conclusions légitimes que de rien recevoir qui n’ait été jugé valable, à l’user : l'épreuve d’une partie ne permet pas de se prononcer sur les parties hétérogènes. Il faut donc choisir : ou le découpage dogmatique et moral, à la mesuredes expériences et du sens propre, chacun rapetissant le Christ à sa taille, au lieu de se hausser à sa plénitude, Eph., iv, 13, ou l’illogisme, si l’on admet quoi que ce soit sans ce contrôle.

Ou plutôt, il faut être plus sévère encore. De quel droit tenir pour valable cette impression dernière qui porte à poser l’affirmative : « c’est vrai » ? Si je risque comme justification, soit cette naturelle proportion entre la faculté et son objet propre, qui est la raison ontologique du plaisir, soit le rapport nécessaire entre la vie normale et la vie heureuse, soit la conformité de la réponse religieuse avec la question

posée au plus intime de mon être, quelle métaphysique ne se dissimule pas sous ces affirmations I Et pourtant, si l’expérience prouve, il faut bien qu’elle prouve pour quelque motif de ce genre. N’ai-je pas le droit de les dégager et le devoir de dénoncer l'équivoque ? La raison, non l’expérience, est au fond le critère de la vérité.

Si l’excellence de ces réactions intellectuelles ou émotives, comme le veut le pragmatisme, me garantit leur vérité, que signifie ce jugement de valeur (objective — si l’on veut qu’il exprime autre chose qu’une cote individuelle), sans norme objective. Utilité et valeur sont termes relatifs, inintelligibles par conséquent, avant qu’on ait établi l’existence et la nature de la fin auxquels ils se rapportent. Leur donner un sens absolu implique donc encore une métaphysique de l’Absolu.

Enfin supposé, en dépit de toutes ces difficultés, que la méthode expérimentale aboutisse à un jugement légitime de vérité, elle n’atteindrait pas encore son but. Le terme de l’apologétique, dans une religion positive, ce n’est pas précisément (et s’il est question de mystères stricts, ce ne peut être) la vérité intrinsèque des dogmes proposés. La foi n’est ni pur don du cœur, comme la charité, ni pure confiance, comme l’espérance, ni réception d’un corps de doctrines obscures, comme la croyance. Quelque large part que jouent i< les raisons du cœur » dans sa complexité psychologique, elle tire sa note spécifique, donc essentielle, du fait qu’elle est un assentiment intellectuel basé sur l’autorité d’un témoin. Or, l’expérience, efficace à quelque degré, s’il s’agissait de développer seulement un certain goût des choses religieuses, une certaine sympathie soit envers Dieu, soit envers son médiateur, ne peut renseigner sur l’origine des vérités de foi. Arrivât-on par elle à les reconnaître comme infiniment sages, et en ce sens comme divines, on ne les posséderait pas encore comme il les faut professer, comme révélées. Tout ensemble on manquerait adonner à Dieu l’hommage de l’obéissance intellectuelle auquel il a droit, et à trouver dans une norme reçue d’autorité les secours essentiels dont les réflexions précédentes font pressentir la nécessité et dont nous allons bientôt étudier l'économie.

Le lecteur le voit donc, d’une part, si l’expérience ne peut ni moralement, ni psychologiquement, ni critiquement, mener à elle seule l’enquête, il est indispensable, si extrinsèque et si pesante que puisse paraître une nécessité ainsi dénoncée, qu’au début de toute vie religieuse la raison vienne enjoindre le devoir ; d’autre part, le contact prolongé avec les réalités surnaturelles, la vie de foi, ajoute aux vues de foi une telle transformation intérieure, grâce à la pratique soumise, une telle lumière, grâce à cette révélation pratique, col. 1837 sq., une telle plénitude d’apaisement, grâce à la satisfaction respective des facultés aussi bien intellectuelles que sensibles, que les vérités et préceptes, subis d’abord comme une contrainte, sont agréés à la fin comme par une pente de nature. On n’aurait donc rien à reprendre aux thèses formulées plus haut, col. 1841 sq., si l’on expliquait qu’elles présupposent la conviction dialectique et proposent uniquement le moyen d’arriver à la certitude pratique. Si la foi est incompatible avec le doute sur le fait de la révélation, Denzinger-Bannwart, Enchiridion^ n. 1171 (1038), 1625 (1491) sq., et la pratique iUicite sans la foi, impossible de faire de l’expérience la condition de la foi, mais on peut, par contre, on doit, promettre au catéchumène cette lumière expérimentale comme une infaillible récompense d’une foi généreuse et agissante ; car (est-il besoin de le répéter ? col. 1826) une piété intermittente et qui se marchande à Dieu, ne répondant pas pleinement à la