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EXPÉRIENCE RELIGIEUSE


l’avait déjà, pour qu’elle jaillisse en sa conscience des profondeurs de cette action liéroïque qui soumet tout l’homme à la générosité de son élan. Car ce n’est point de la pensée qu’eUe passe au cœur ; c’est de la pratique qu’eUe tire une lumière divine pour l’esprit. » L’adion, p. 402, 403. La pratique intégrale de « la lettre » fait sentir la valeur de « l’esprit » , et « s’il est permis [alors] d’ajouter un mot, un seul, qui dépasse le domaine de la science liumaine et la compétence de la philosophie… il faut le dire : C’est, » p. 492. Cf. Introduction, p. xii sq.

Ce serait injustice, à coup sûr, de déprécier ce qu U y a de plus complexe et — par là même peut-être — de plus profond dans cette théorie de la connaissance, injustice plus grave d’oublier et les intentions de l’auteur et ses déclarations postérieures dans le sens de l’orthodoxie, mais il ne dépend pas de nous d’omettre ou de mentionner cette opinion. Les excès auxquels elle prête et l’abus qu’on en a fait y obligent.

Voir les déclarations de M. Blondel à rencontre du fidéisme. L’action, p. x sq., 440 ; à l’oncontre du pragmatisme, Revue du ctergé français, 1902, L..vxix, p. 652 ; 1907, t. L, p. 546, spécialement Vocabulaire cité, art. Action, juillet 1902, p. 182, 190 sq. Résumé précis de cette méthode « par siTJges^’O" plus que par démonstration… amenant l’incrédule à imiter l’action intérieure de celui qui croit… » J. Segond, Annales de philosophie chrétienne, avril 1907, p. 6, 7.

3. Le modernisme, dans un esprit nettement agnostique et fidéiste, semble s’être approprié la thèse précédente. L’encyclique Pascendi le condamne avec une juste sévérité. Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 2081 sq.

Sans reprendre dans le détail chacune de ces théories, sans les confondre surtout, on peut faire à l’idée générale d’expérimentation trois griefs principaux.

2° Illicéilé, inaptitude, inefficacité de l’expérimentation. — 1. Immorale, en effet, l’expérimentation qui dépasse certaines limites.

Rien de plus raisonnable que d’essayer toutes les voies autorisées par la raison et la prudence, de tenter, par exemple, la pratique de la vertu, voire de l’ascèse, pour éprouver ce qu’elle peut produire. C’est un droit pour cliacun ; pour l’apôtre, c’est bonne stratégie d’y inciter : bien faire prépare à bien voir. Mais comme il est inadmissible que l’on goûte au vice, sous prétexte de le juger d’expérience, parce que le bon sens avertit assez de sa malice, il est aussi criminel de poser, à titre d’essai, des actes qu’une religion présente comme sacrés et réservés : on ne traite pas des relations morales comme des réactions de laboratoire et c’est faire injure à quelqu’un de prendre avec lui, à titre d’expérience, des privautés qu’il entend n’accorder qu’aux intimes. « Quel scrupule l’arrêterait ? écrit M. Blondel. La crainte de profaner ce à quoi il ne croit pas ? Mais puisqu’il n’y croit pas avant d’agir, il ne saurait se reprocher un acte naturel du moment où il en avoue la convenance naturelle. » L’action, p. 403.

On hésite à penser que l’auteur ait songé à conseiller jusqu’à l’essai sincère des sacrements, fût-ce en s’astreignant à toutes les prescriptions de l’Eglise : confession nréalable et le reste. Et pourtant certains mots — comme profaner — le suggèrent et la logique du système paraît l’exiger. La « pratique littérale » , « intégrale » , ce n’est pas, ce ne saurait être seulement de se mettre à genoux et de prendre de l’eau bénite pour « s’abêtir » , au sens de Pascal. On laisserait en dehors de l’expérience ce qu’il y a de plus intime et de plus révélateur dans la religion.

Mais cela même est inabordable aux profanes. La première condition d’une expérience valide, c’est d’être faite normalement. Or, à violer ainsi les réserves

de l’Église, on ferait l’expérience de ses sacrements à rebours du sens où elle les prescrit. Elle ne demande pas cette « foi du sens » , chaleur sentimentale qui dépend du tempérament et des influences physiologiques, mais, avec la pureté du cœur, la conviction préalable de l’esprit.

2. Au surplus, la méthode apparaît psychologiquement inapte à produire ce qu’on lui demande.

Comment, si l’on aborde des relations d’amitié, à titre d’expérience, connaître jamais leurs charmes propres. On n’aime qu’à la condition de se donner, et tout amour sincère suppose, sinon dans l’effet, du moins dans la disposition du cœur, le don absolu et éternel de soi. Ici l’expérimentateur se prête à un essai I Dira-t-on de ces viveurs qui papillonnent de maîtresse en maîtresse qu’ils comprennent par le fait, qu’ils soupçonnent même, les émotions spécifiques du mxriage chrétien ? « Faire l’amour » et « aimer » sont deux choses. Ainsi des pratiquants « convaincus » et des pratiquants « à l’essai » , avec cette différence, assurément très grave, que Dieu ne refusera jamais la lumière àla pleine sincérité. La religion est une amitic, col. 1814. Où l’attitude d’âme est différente, la réaction affective et intellectuelle ne l’est pas moins.

Du seul point de vue psychologique, la pratique intégrale est-elle même possible, et si elle l’est, est-elle efficace ?, .

L’expérimentation consciencieuse suppose évidemment la fidélité entière aux prescriptions religieuses. Mais cette intégrité de l’essai, qui l’impose ? — La nécessité de tout faire pour tout voirl — Mais cette nécessité spéculative ne devient pour moi obligation pratique que si, entre les quelques centaines de sectes qui se réclament du Christ, la forme religieuse dont il s’agit se présente au moins à moi comme Za plus sûre pour réaliser une fin absolue. Qui l’a reconnue pour telle est bien près — est en droit même — de la tenir pour certaine. Qui n’en est pas là est dans l’obligation de prolonger son enquête, non de tenter une expérience à plus d’un titre ifiégitime. Ne se sentant hé d’aucune manière, chacun poussera l’expérience jusqu’au point où il l’estime opportun : c’est un fait. Il suffit de constater la versatilité des conversions entre les sectes protestantes pour en juger.

Supposée intégrale, la pratique, à défaut de conviction intellectuelle, produirait-elle le résultat attendu Sans doute, l’action modèle et façonne l’âme, col. 1818, mais à condition que, dans l’action, l’âme agisse vraiment (sinon la vertu, étant développement immanent, ne peut se développer en elle) ; à condition, par conséquent, que son agir soit devenu comme spontané, par un consentement libre, un effort vital, qui porte non sur le matériel, mais sur le formel de l’acte prescrit. La chasteté transforme le cœur. — Oui, quand elle n est pas pure privation du vice, abstention subie, mais renoncement voulu, progressivement aimé. Or un amour de ce genre peut-il provenir, d’ailleurs, que d une conviction du devoir d’abord purement logique et platonique, devenant par épuration physique, progressive, col 1820, progressivement « sympathique » etproportionnefiement senliel — On objectera que la seule abstention matérielle a déjà sa vertu purifiante. — il est vrai ; mais une distinction est nécessaire, bi les vertus morales, fondées sur des convenances naturelles plus intimes, souvent essentielles, ont une influence automatique certaine, en est-il de même des foriues positives du culte, toujours contingentes a

lettre » ? Ne sera-ce pas souvent l’étonnement, la lassitude, peut-être le scandale du « formalisme » ? Et combien durera l’épreuve ?