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EXPERIENCE RELIGIEUSE


Guidés par rÉcriture, Dcus charitas est, I Joa., iv, S, et par ces raisons profondes que l’amour sans retour d’intérêt est le propre de celui qui est le Bien sans mesure, que Dieu est présent dans son action vivifiante, nos docteurs ont insisté surtout sur la vision de Dieu dans la charité. Quisqiiis habet charilalem, iilquid illiim millimiis longe iii vident Deum ? Conscienlium suam atlendat et ibi vidcl Deum. S. Augustin, In ps. rxLix, n. 4, t. xxxvii, col. 1951 ; In Epist. 1 Joa., tr. V, n. 7, t. xxxv, col. 2016. Mais en affirmant la valeur représentative de l’amour, jusqu'à dire oratorio modo qu’il n’est point seulement de Dieu, mais Dieu même, De Trinitate, 1. VIII, c. viii, n. 12, t. XLii, col. 958, ils ne sont pas tombés dans cette confusion si fréquente de nos jours de prendre pour la perception immédiate de l'Être divin celle de son action en nous. Cf. Confess., 1. X, c. xxv, n. 36 ; c. xl, n. 65, t. XXXII, col. 795, 807, et passi’m.

2. Influence sur l’intelligence des dogmes.

En apportant de Dieu l’image la plus haute, la charité n'éclaire pas moins sur ses pensées et ses actes, non seulement parce que la sympathie est la condition indispensable de toute iiiLellection pénétrante, quia si voluntatem hominis nosse quisqaani vcllcl, cujus amicus non essel, omnes ejus impudentiam ac slultitiam déridèrent, S. Augustin, De Genesi cont. manich., 1. I, c. II, n. 4, t. xxxiv, col. 175, mais parce que la charité divine est le principe de toutes choses dans l'économie du salut. De ce point d’observation, l'âme aimante perçoit donc le sens des dogmes et leur harmonie non d’une vue extérieure, mais dans leur raison intime, (lisons plus, dans des motifs qu’elle sent, parce qu’ils l'émeuvent des mêmes désirs, bref, dans l’harmonie de sa nature surnaturalisée avec celle de Dieu.

Il en faut dire autant de chaque dogme en particulier, à proportion des vertus spéciales qui s’y trouvent intéressées. Mais quoi I la charité parfaite est-elle autre chose que l’union affective de deux natures « déjà faites pour se comprendre ? » Chaque progrès moral prépare donc une intelligence plus vive de la perfection divine correspondante, et la pratique de toutes les vertus s'épanouit en un amour sans réserve, qui devient à son tour principe d’assimilation morale et d’intellection plus intense. De là vient que le sens religieux se révèle parfois plus juste chez les simples que chez les doctes, quand la piété est plus profonde, quod dum simplicius verilatem quærit, jacilius invenit, Maldonat, In IV Evangelia, Lyon, 1615, Luc, ii, .35, p. 948, ou quand les faveurs mystiques, comme il arrive, sont plus abondantes, quia ex lus quæ inlerius experiuntur perfectius divina percipiunt. Gerson, cité par Suarez, De oratione, 1. II, c. x, n. 8, 9, Venise, 1743, t. xiii, p. 90.

De là vient aussi que cette illumination intérieure n’est pas froide comme les intuitions dialectiques : née de l’amour, elle reste pénétrée de sa chaleur et de sa douceur. Par là se révèlent, de manière toute pratique, ces attributs de Dieu les plus difficiles à admettre, au milieu du désordre apparent du monde et des contrariétés multiples inhérentes à l'épreuve de la vie, la miséricorde et la bonté. Cf. S. Bernard, De diligendo Deo, c. IX, n. 26 ; c. xv, n. 39, P. L., t. clxxxii, col. 939, 998.

Si l’on distingue avec soin l'état mystique des visions et révélations qui l’accompagnent souvent, sans lui être essentielles, si l’on adopte cette interprétation du don de sagesse, qui semble préférable, col. 1822, on soupçonnera peut-être, par ce qui précède, ce que peuvent être les expériences supérieures des contemplatifs. C’est dans l’amour et par l’amour que Dieu les produit, le portant, par une action si spéciale que l'àme a conscience d'être plus passive qu’active, à une intensité extraordinaire. « Il n’est nullement nécessaire

que l'âme ait aucune connaissance distincte, ni qu’elle fasse de grands efforts de raisonnement. Dieu, alors, lui communique une connaissance amoureuse qui est une sorte de lumière, dont la clarté et la chaleur sont inséparables, sans qu’on puisse les discerner l’une de l’autre. » S. Jean de la Croix, Vive flamme d’amour, Paris, 1875, str. iii, v. 3, § 10, p. 251 sq. ; Cantique spirituel, str. vii, ibid., p. 167, 168. « La volonté est sans doute occupée à aimer, mais elle ignore comment elle aime. Si l’entendement entend, il ignore comment il entend. » S'"' Thérèse, Vie par elle-même, c. xviii, Œuvres, t. i, p. 226 ; c. x, ibid., p. 134, 135. « L’entendement est comme interdit. La volonté aime plus qu’elle ne connaît, mais elle ne sait si elle aime, ni ce qu’elle fait ; du moins elle est hors d'état de le dire. » Relation, uv, t. ii, p. 296.

Ainsi, sans révélation d’idées nouvelles, sous l'étreinte de Dieu, qui lui fait saisir, non plus par déduction, mais par cette appropriation et cette union qu’est l’amour, les réalités de la foi, l'âme comprend, dans l’excès même de sa jouissance, la transcendance du Dieu qui l’inonde, incapable, en cet instant, de voir autre chose que l’incommensurabilité de son état à l'égard de toutes les idées et impressions communes, mais trouvant dans cette impression même, avec le stimulant d’amour le plus énergique, une révélation si vive, qu’elle semble, comparée à nos modes de représentation, une intuition. Cf. de Séguier, dans les Éludes, 1908, t. cxvii, p. 261.

A des degrés moindres, le don de sagesse produit ses effets, non dans les âmes « partagées » qui s’appliquent à « servir deux maîtres à la fois » — « c’est une des existences les plus pénibles qu’il soit possible d’imaginer, » S Thérèse, Vie, c. viii, t. i, p. 118 sq. — -mais dans celles qui vivent une vie religieuse pleine et — c’est tout un — demeurent habituellement sous l’innuence de la grâce.

3. Influence sur la certitude religieuse.

- Il en résulte un accroissement singulier de certitude dans la foi. Sans doute l’habitude y est pour quelque chose, mais pour peu de chose, car si l’automatisme de la routine régnait seul, il ne laisserait point de place à ces accroissements de charité d’oii naissent les progrès de satisfaction et de lumière. Au contraire, quand une pratique intense « en esprit et en vérité » a procuré l’un et l’autre, l’effort pour croire devient moins sensible que la consolation qu’il apporte : les objets de foi restant obscurs en eux-mêmes, on a comme l’expérience indubitable de leur action ; en ce sens, on a l’impression de les voir et toucher, autant qu’ils peuvent l'être.

La plénitude relative de satisfaction que le fidèle éprouve devient aussi pour lui un argument obvie : il comprend qu’il est dans la vie normale, puisqu’il goûte un bonheur que les autres ne trouvent pas, que lui-même n’a pas trouvé dans d’autres attitudes, et qui s’est toujours révélé corrélatif de sa piété. Conclusion très différente du pragmatisme, parce qu’elle s’appuie sur ce raisonnement que le bien-être doit être uni au bien-penser et au bien-faire, comme une résultante de l’ordre réalisé, et parce que l’appréciation de ce bien-être n’est pas basée sur le caprice, mais sur un jugement motivé.

Ce que la raison suffit à dénoncer est d’ailleurs, à d’autres égards, une promesse formelle de l'Évangile, qui garantit un succès infaillible (dans les choses du salut) à la prière confiante, IMatth., xxi, 22 ; le centuple, dès ce monde, à l’abnégation, Matth., xix, 29 ; l’intelligence et la révélation du Fils à l’obéissance. Joa., VII, 17 ; xiv, 21, 23. La vérification qui en est faite s'élabore d’elle-même en un argument convaincant.

Bref, le fidèle qui va à Dieu « avec toute son âme » le voit venir à lui, si caché qu’il demeure encore, par